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Z&T ©Barbara Buchmann

Z&T sont dans la place

Grand Angle

Karolina SvobodovaZouz, T.A, vous présentez au Théâtre des Doms votre première forme théâtrale, Beat’ume. Pouvez-vous revenir sur votre parcours et nous raconter comment chacune d’entre vous a circulé jusqu’à présent entre ces deux pratiques et univers (slam et théâtre)?

ZouzJe fais du théâtre depuis que je suis toute petite, je suis passée par les académies et puis les humanités artistiques. Ensuite, je suis entrée au Conservatoire de Bruxelles. À la sortie, je deviens comédienne, et puis quelques années après je rencontre le slam: il y a un stage organisé par Slameke et là, ma vie est chamboulée. Depuis, je ne fais plus que ça, du slam et du rap.

T.AJ’avais fait l’examen d’entrée à l’Insas et puis, en testant, je me suis rendu compte que ce n’était pas un monde qui m’intéressait ou qui me correspondait; j’étais jeune, c’était instinctif… Donc finalement je me suis inscrite en régendat, parce que c’était trop tard pour m’inscrire à l’université et parce que j’aimais bosser avec les jeunes, je bossais déjà pas mal dans des maisons de quartier. Donner des cours à des adolescent·es, ça me fait kiffer, c’est des cours de français, de morale, de philo, ça me plait. Ça m’a aussi permis de commencer assez jeune à travailler dans une école professionnelle, dans laquelle je travaille toujours aujourd’hui.
Ensuite, je me suis inscrite à l’ULB parce que dans les maisons de quartier, je montais des spectacles slam et qu’on m’avait parlé d’un Master en Arts du spectacle avec une orientation didactique. Je me suis dit que ça me permettrait de continuer à monter des spectacles avec les ados. Le slam, je l’ai découvert parce qu’un des jeunes à qui je donnais cours était dans une situation un peu compliquée, et je lui avais proposé de venir à une scène slam. Je lui ai dit de monter sur scène, et de faire un rap. Je lui ai écrit un petit slam, c’est le premier slam que j’ai écrit. Et puis j’ai continué, avec des stages et des scènes.

Et puis vous vous êtes rencontrées.

T.AChacune de notre côté on faisait les mêmes scènes mais sans doute pas aux mêmes dates car on ne se croisait pas. Et puis un jour, on s’est retrouvées dans un slam sauvage dans le métro, on était engagées pour faire du slam sauvage dans un festival. Et là, on se voit et on se dit que c’est fou qu’on ne se soit jamais rencontrées, on est de la même génération, on fait les mêmes scènes, on a la même dégaine!

ZouzOn a bu un café et depuis on se colle, on est tout le temps ensemble, ça, on l’explique dans le spectacle, on fait tout ensemble. On a créé un duo, on a fait un spectacle et on rappe ensemble.

À quel moment avez-vous créé votre duo?

C’était en 2020 qu’on a créé officiellement le duo. Pendant le confinement…

T.AOn vivait une situation de harcèlement sexiste et pendant le confinement, le harceleur a repris sur les réseaux. On a fait un clip pour qu’il arrête et ça a marché pendant un temps. On a ensuite été interviewées et contactées par des collectifs hip-hop féministes. Z&T ça vient de là, pendant une interview on nous a dit «prenez un nom de duo» et on a pris Z&T, on s’est dit on va changer après mais on n’a jamais changé. Et ensuite, on a écrit d’autres textes…

À partir de ces textes, vous avez finalement créé un spectacle.

ZouzOui, on avait plein de slams, plein de raps, on a été prises par Level Up, une initiative de l’association Lezarts Urbains pour accompagner les artistes émergents. Rosa Gasquet, chargée de projet de l’association, nous disait de faire un spectacle. Mais moi, qui venais du milieu du théâtre, je n’avais pas envie de revenir dans les institutions théâtrales, le milieu underground me convient mieux. Puis on commence à relier des slams et des raps chaque fois qu’on nous demandait de présenter des formes, on a eu plusieurs résidences et finalement un spectacle s’est créé.

Est-ce que vous pouvez nous raconter ce processus de création?

T.AVu qu’on avait plutôt des shows, avec des slams et des raps et qu’on ne voulait pas seulement faire des successions de textes, on a d’abord commencé à créer des petits interludes humoristiques entre nous, qui relayaient à comment on était au quotidien.

Au début, c’était aussi un vrai débat d’entrer, ou non, dans les institutions.

Nos regards extérieurs nous ont dit que ça marchait, que ça créait un côté théâtral, avec un fil rouge, un liant, que ça donnait une idée de spectacle. Ils nous ont conseillé de penser à une dramaturgie. On a eu des résidences dans plusieurs lieux dont la Maison Poème, le Jacques Frank, on a eu pas mal de regards extérieurs. Diana David est devenue ensuite notre dramaturge. On avait toujours ce dilemme d’aller vers une forme théâtrale mais en évitant de tomber dans le théâtre, au début, c’était aussi un vrai débat d’entrer, ou non, dans les institutions.

ZouzPour le spectacle, moi, par exemple, je n’avais pas envie de jouer un personnage, parce que dans le slam tu ne joues pas un personnage, c’est toi, et j’avais peur qu’à partir du moment où tu es sur une scène de théâtre, un autre rapport s’instaurerait.

D’où vient votre méfiance vis-à-vis des institutions?

T.AJusque-là, le slam n’était pas bien entré dans les institutions. Quand on avait des discussions avec des personnes reliées aux institutions, le slam était pris de biais, pour jouer dans le bar plutôt, donc on se disait que les institutions n’étaient pas encore prêtes à l’intégrer comme forme artistique. Je pense qu’il y avait une méfiance réciproque, on a eu l’impression en échangeant avec des directions de théâtres qu’il y avait une méfiance envers le slam. Là où, par contre, il y avait beaucoup de confiance, c’est dans les ateliers slam qu’on donnait avec des jeunes souvent issus des quartiers des lieux culturels où on bossait. On a vu qu’ils avaient confiance dans le slam comme intermédiaire mais pas dans le slam en tant que forme en elle-même, c’est donc par là qu’on est d’abord entrées. Ce qui est cool c’est que, petit à petit, ils nous ont fait confiance et qu’on a finalement pu entrer comme on est: on n’a pas essayé de coller aux institutions et ils nous ont acceptées avec notre forme et nos codes.

ZouzIl y a peut-être aussi une peur de réappropriation, on aime bien l’idée que le slam reste un mouvement et une communauté qui est très bienveillante, très à l’écoute et qui est humble aussi. Ça a été des grands débats intérieurs, je pense que c’est pour ça qu’aller sur une scène dans une institution théâtrale avec une proposition slam, il fallait faire ça bien. On a essayé de le faire sincèrement, de ne pas se changer. Finalement, on voit aussi que ça nous permet de faire découvrir notre univers à d’autres gens, à des gens qui n’iraient pas nécessairement voir ça, c’est ce qu’Avignon et les théâtres nous permettent de faire. Avignon avec la longue série de représentations, ça nous rôde, c’est un gros apprentissage, on ne s’attendait pas à ça.

Zouz et T.A ©Barbara Buchmann-Cotterot

Vous vous définissez également en tant que rappeuses.

ZouzRappeuses en herbe! On apprend humblement et j’espère qu’on apprendra de plus en plus le level…

T.AOui parce que c’est beaucoup de travail, on est toutes les deux fans de rap depuis longtemps. On a commencé à faire du slam avec du son, on travaille avec un beatmacker, ce qui nous rapproche du rap, on s’entoure d’une communauté rap et on va pas à pas mal d’événements open mic’. Il y a quelques mois, on a créé Anticyclone.

Zouz

Ce sont en général les mecs qui prennent le mic’.

C’est un collectif rap où on a des invités Finta (Femmes, Intersexes, Non-binaire, Transgenres et Agenres) et on essaye que l’open mic’ de rap et de slam soit priorisé pour les personnes Finta parce qu’on observe que dans les open mic’ ce sont en général les mecs qui prennent le mic’, il y a très peu de meufs qui passent sur scène et même si en tant que meuf tu veux passer sur scène, tu dois parfois arracher le micro. Le milieu du rap c’est un lieu qui ne reste pas facile…

T.AOn s’est rendu compte que c’était pas facile pour les personnes Finta de se rencontrer dans ce milieu, entre djettes, slameuses, rappeuses, beatmackeuses… On a eu une édition 1 dans allée du kaai avant que ce soit détruit, une édition 2 dans les Marolles et on va bientôt avoir une édition 3. On veut continuer parce que c’est vraiment important.

ZouzLà c’est vraiment underground, on le fait complètement en bénévole. Dans Anticyclone, il y a beaucoup de mixité. Le public veut voir ça dans le hip-hop et on sent dans le milieu que les gens veulent voir ce changement. Même des rappeurs qui sont dans le game depuis longtemps, qui sont d’une autre génération, sont venus nous soutenir. Et c’est très encourageant. Anticylone c’est l’urgence et ça n’aurait pas de sens de continuer Beat’ume sans mettre notre énergie là-dedans.

D’autres projets en ébullition?

Z&TIl y a une forme longue du spectacle Beat’ume qui a été achetée par différents théâtres à Bruxelles, on a notre première à l’espace Magh en septembre, et puis on va à la Maison Poème, à la Balsamine et au Jacques Franck. On veut continuer aussi à travailler pour Slameke, on a beaucoup d’activités ensemble. On a sorti notre livre aux éditions Maelstrom. On va encore sortir un clip en septembre. Bref, on a un million d’idées!

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Retrouvez le duo Z&T et leur spectacle Beat’ume du 6 au 27 juillet à 19h30 au théâtre des Doms.


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