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Malaise dans la civilisation, avec Florence Blain Mbaye, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon et Alice Moreault ©Julie Artacho

Malaise dans la civilisation

Émois

Imaginez-vous entrer dans une salle pour voir un spectacle qui finalement n’aura pas lieu. Sur ce schéma de départ, Étienne Lepage a bâti – avec Alix Dufresne à la mise en scène – une sorte de vivarium. En position d’observation, le public découvre quatre individus qui débarquent en touristes dans le théâtre, explorent les lieux sans ménagement, interagissent avec une remarquable absence de compassion pour les autres et leur environnement. Leurs pulsions priment, les maladresses s’enchaînent, en dépit de tout code, de toute convention.

Le quatrième mur n’est qu’un leurre; le quatuor, conscient des présences et des regards qui le scrutent, s’en désintéresse cependant. Leur désinvolture tient lieu à la fois de paravent, de microscope, de miroir.

Parmi les sources de ce spectacle créé fin mai 2022 au Théâtre Prospero, à Montréal, dans le cadre du Festival TransAmériques, Les Idiots de Lars Von Trier, que la metteuse en scène Alix Dufresne a fait découvrir à l’auteur Étienne Lepage. Les quatre personnages de Malaise dans la civilisation, sans âge défini, refusent les normes, ou plus exactement s’en fichent. Car ce rejet, contrairement à celui des personnages du film, relève moins de la contestation que de l’indifférence.

Cependant interdépendants, ces idiots-ci sont plus naïfs que politiquement révolutionnaires. Leur candeur évoque celle aussi du trio de Simple d’Ayelen Parolin.

Hilarantes et dérangeantes, leur exploration des conventions, leur expérience de la transgression, les vibrations de la frustration qui en découlent, bouillonnent avec alacrité.

Catastrophe burlesque, exubérance résignée

Allégorique du peu de soin que nous prenons du monde et de nous, d’autrui dans le monde, Malaise apparaît également comme un exemple brillant de ce que peut donner l’écriture de plateau. Les rares répliques, irrésistibles, infusent dans un jeu créé pour et par ses interprètes Florence Blain Mbaye, Maxime Genois, Renaud Lacelle-Bourdon et Alice Moreault.

Pour cette reprise à Charleroi, les interprètes sont Alix Dufresne, Maxime Genois, Debbie Lynch-White et Éric Robidoux.

Ces quatre «innocent·es» cultivent la catastrophe burlesque, l’exubérance résignée, le sans-gêne absolu dans un opus dont la vertigineuse maîtrise théâtrale – corps, espace, occupation du plateau, rythme – se met au service de ce qui apparaît comme tout l’inverse.

Habile paradoxe pour une expérience vertigineuse et souvent désopilante.

Alice Moreault et Renaud Lacelle-Bourdon, dans «Malaise dans la civilisation», créé au Théâtre Prospero à Montréal, au FTA 2022. ©Gunther Gamper

À noter que l’Ancre, à Charleroi, entretient avec le théâtre d’Étienne Lepage un lien de curiosité et une complicité de longue durée. Comptant parmi les structures coproductrices de ce spectacles – avec entre autres le FTA et DLD –, l’institution belge avait déjà accueilli notamment le grinçant Logique du pire.

À noter de plus belle: la découverte de Malaise dans la civilisation (titre au passage emprunté à Freud, sic) peut s’assortir de celle des Jardins de l’Ancre, fraîchement ouverts au public.

Un théâtre envahi de «touristes» sans gêne ni scrupules ©Gunther Camper

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