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Edoxi Gnoula en création aux Récréâtrales, Ouagadougou ©Daddy Nkuanga Mboko

D'ici et d'ailleurs

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En Belgique, le public a pu voir jouer Edoxi Gnoula dans Le Songe d’une nuit d’été et Last Exit to Brooklyn, tous deux mis en scène par Isabelle Pousseur, ou dans son seul en scène, Legs (suite). Edoxi est actuellement en création à Namur, pour le spectacle Reprendre, mis en scène par René Georges et Salifou Kientega. La sortie de résidence est prévu le 16, 17 et 19 avril 2022 au Delta!

L’entretien que nous vous proposons a été réalisé à Ouagadougou en octobre 2021. Il porte sur sa découverte du théâtre et son parcours professionnel et permet de mieux comprendre le contexte artistique au Burkina Faso, les opportunités et les difficultés pour les comédiens et, encore plus, pour les comédiennes. Il montre aussi comment vie personnelle et professionnelle se mêlent, comment la petite histoire rencontre l’histoire nationale et comment de cette rencontre naissent des spectacles qui parviennent à toucher un public international.

Comment as-tu découvert le théâtre?

J’ai rencontré le théâtre au lycée, en province, grâce à mon professeur de français, Somé Gaëtan Phélix. Il avait remarqué que j’étais une élève assez perturbatrice. En classe, c’est moi qui racontais tout le temps des histoires pour les autres, sans jamais me faire prendre. Au fil des années, il a compris que c’était moi le problème et il m’a poussé vers le théâtre. Lui-même avait sa troupe à Ouaga, qui s’appelait «Éclat de Sosaf».

«Viens on va travailler, tu vas faire du théâtre parce que telle que je te vois, tu peux faire du théâtre.»

Il me parlait beaucoup de celle-ci et un jour, il m’a dit: «Viens on va travailler, tu vas faire du théâtre parce que telle que je te vois, tu peux faire du théâtre.» Pour moi, à l’époque, le théâtre ce n’était pas trop connu, les gens ne vivaient pas de ça. C’était vraiment vu comme le métier le plus minable qui existe! Donc je ne voulais pas. Finalement, je l’ai rencontré par hasard dans une rue de Ouagadougou, pendant les vacances scolaires. Il m’a dit: «Ah tu es là ! Il faut venir.» Le dimanche qui a suivi, j’y suis allée. Quand je suis arrivée, j’ai vu cette convivialité, comme dans une famille. Des gens qui se retrouvent, qui travaillent ensemble. Et ça m’a emballée. Et ça résonnait particulièrement dans mon histoire personnelle d’enfant en train de chercher un repère, son identité et tout… Là, j’ai trouvé des gens, une famille, même si c’était des inconnu·es.
J’ai décidé ensuite de ne plus aller à l’école, parce que j’en avais marre qu’on me fasse toujours sortir de la classe quand je n’avais pas payé les frais de scolarité. C’est une situation que je vivais depuis mon école primaire et j’ai dit à ma mère: «Cette année, je n’irai plus à l’école. Je vais chercher un métier et puis je vais aussi faire du théâtre.» J’ai continué à travailler avec la troupe de mon ancien professeur et je faisais aussi un métier à côté, dans un kiosque. Le tout premier salaire que j’ai reçu au théâtre c’était 7500 Fcfa et ça, c’était énorme. Avec mon travail au kiosque [au Burkina, le kiosque désigne un bar ou un café], je touchais 5000 Fcfa par mois et là, d’un coup, je touchais beaucoup plus! J’ai réalisé que cela pouvait être un métier et j’ai décidé de me consacrer à ça. J’ai continué à faire du théâtre pendant trois ans et après je me suis retirée, parce que c’est compliqué pour les femmes. Quand tu es dans ce milieu, tu te fais toujours draguer et j’en avais assez. Je me suis dit que si c’était ça le métier de comédienne, je devais arrêter. C’est ce que j’ai fait pendant une année. C’était en 2003, ça m’a permis de prendre le temps de réfléchir et de savoir si je voulais vraiment continuer la formation en théâtre ou s’il fallait que je fasse autre chose. J’étais jeune, je n’avais alors que 19 ans.

Quand tu as finalement décidé de poursuivre le théâtre, tu as rejoint la troupe de Jean-Pierre Guingané.

Oui, j’ai entendu à la radio que le Théâtre de la Fraternité de Jean-Pierre Guingané recrutait des nouveaux comédiens à Gambidi et je suis allée passer le casting. J’ai été retenue et je me suis formée au sein de la troupe pendant quatre ans. On était aussi formé par des metteurs en scène qui venaient de l’extérieur. Dans la troupe, tu peux rester 10 ans, 20 ans comme tu veux. On faisait aussi beaucoup de théâtre de sensibilisation donc on jouait beaucoup dans les régions et ça nous permettait d’avoir un peu de sous. J’ai beaucoup tourné en Europe et au Burkina Faso à ce moment-là.
J’ai quitté la troupe en 2007. J’ai ensuite travaillé avec différentes compagnies, et puis, j’ai eu envie de créer ma propre compagnie pour être autonome. J’ai fondé ma compagnie qui est en collaboration avec la compagnie kala-kala de Sidiki Yougbaré. On a fait pas mal de créations ensemble. C’est à partir de ce moment-là que j’ai commencé à travailler avec d’autres metteurs en scène, notamment Dieudonné Niangouna et Isabelle Pousseur, avec laquelle on a fait Le Songe d’une nuit d’été au Théâtre National à Bruxelles, en 2012.
En 2014, après ces voyages et contrats nationaux et internationaux, je me suis rendu compte que j’avais besoin d’un lieu dans lequel je pourrais travailler à tout moment. J’ai vu un terrain disponible à Saaba. Je l’ai acheté et j’ai créé le Centre Culturel Pan-taãbo. Aujourd’hui, on reçoit des spectacles là-bas, et on forme aussi des enfants, des amateurs et des professionnels.

Est-ce que tu peux revenir sur le processus du spectacle Legs (suite) qui a tourné en Belgique et pour lequel tu as obtenu le prix Maeterlinck du meilleur seul·e en scène?

En 2014, j’ai écrit mon histoire. Je suis une enfant que l’on considère comme bâtarde. J’avais envie d’écrire là-dessus depuis longtemps. Mais je n’avais pas vraiment les clés. Je me disais toujours: pourquoi Edoxi viendrait convoquer un public pour parler d’elle…? Et puis, en 2014, j’ai rencontré le formateur Philippe Laurent qui venait donner un workshop aux Récréâtrales sur le thème de la carte d’identité. C’est là que j’ai compris comment je pouvais écrire une histoire, mais il y avait toujours quelque chose qui coinçait. Après cette formation, je suis partie en tournée en Suisse et en France et il y a eu l’insurrection populaire [des milliers de manifestants sont alors descendus dans les rues pour empêcher Blaise Compaoré – au pouvoir depuis 27 ans – de changer la Constitution afin de se maintenir au pouvoir]. J’étais là-bas, j’ai ouvert mon ordinateur on m’a dit que Blaise était parti. J’avais enfin les clés pour écrire mon histoire! Je l’ai écrite durant ma tournée, en un mois. C’était un premier texte, qui s’appelle Legs.

Tu as mélangé la micro et la macro-histoire, en somme?

Voilà. Et c’est ça qui a donné naissance à Legs et puis au spectacle Legs (suite). L’année suivante, Isabelle Pousseur m’a invitée à son festival Mouvement d’identité. Étant donné que c’est Philippe Laurent qui m’avait donné les clés pour l’écriture et que je n’avais jamais pu le lui dire, je voulais que ce soit lui qui fasse la mise en scène. Mais il voulait travailler par rapport à l’actualité et quatre ans s’étaient écoulés depuis 2014. On a fait des recherches et on a créé Legs (suite)!


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