
Trois jours au FilmFestival d’Arras
Au large22 novembre 2023 | Lecture 7 min.
«Les gens du nord ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors».
Je pense à la chanson d’Enrico Macias quand je débarque à Arras, parce qu’en ce mois de novembre, la pluie tombe drue quand j’arrive.
La ville n’est pas forcément séduisante au premier abord. La gare est terne, le ciel est gris et les rues sont dépeuplées. Je me faufile entre les gouttes et mets un pied sur la grand-place. C’est déjà plus joli, notamment ses bâtiments et ses arcades influencés par l’architecture baroque flamande. Devant moi se dresse un chapiteau, lieu de rassemblement du FilmFestival. Je suis étonné: soyons honnêtes, quand je pense au cinéma, j’imagine quelque chose de grand, de clinquant, de tape-à-l’œil…
Pourtant ici, les infrastructures ne sont pas impressionnantes, ce n’est ni brillant ni rutilant, je ne vois personne en smoking ou en long manteau…
Mais il suffit de mettre un pied au FilmFestival pour être conquis, car ce qui s’y passe est bien plus fort que les apparences (et que mes projections). Sous cet étonnant chapiteau, c’est un public de connaisseurs et de connaisseuses qui s’agite. Comme dans une fourmilière, les gens vont et viennent, on les voit sortir de la séance du matin, manger un bout sur le pouce avant de retourner en salle pour la séance de l’après-midi. Entre deux films, on les voit débattre, s’écharper, se conseiller telle petite pépite ou tel film méconnu, parler de telle actrice, encenser tel plan magnifique… le centre névralgique est clair: c’est le septième art, et rien d’autre.
Je comprends vite l’esprit de ce festival. Arras, c’est l’anti bling-bling. On n’y voit ni limousines, ni yachts, ni starlettes, ni champagne (bon allez quand même un peu ), par contre on en prend plein les yeux humainement. Ce qui impressionne, c’est l’accueil formidable, le courage et la générosité de l’équipe qui se déploie pour offrir neuf jours de cinéma.
Retour aux origines
Pour mieux comprendre, rembobinons, avec Nadia Paschetto et Eric Miot, directeur·ices.
«Nous avons créé le festival en l’an 2000 pour que la région du Nord ait aussi son festival. À ce moment nous étions itinérant, nous nous sommes définitivement installés à Arras en 2006».
Mais Arras n’est pas un festival de films en plus: «L’idée, c’était de ne pas répéter ce qui se fait à Cannes, à Locarno ou autre. Nous ne voulions pas montrer des films qu’on aurait vus ailleurs, cela n’a pas de sens» ajoutent en chœur Nadia et Eric. «Comme nous sommes portés sur les films d’Europe de l’Est et d’Europe du Nord, on les a mis en avant, et on s’est rendu compte que le public les plébiscitait, était demandeur de ce genre de propositions».
Et c’est vrai que ce qui fait le charme du festival, c’est sa programmation, faite de découvertes qui épatent, de rencontres qui déplacent, de films qui sortent de l’ordinaire.
Ainsi la compétition s’attache à défendre (et montrer) des longs-métrages qui n’ont pas ou peu de distributeurs, à proposer des films venant de pays moins «glamour» que les grandes puissances habituellement représentées.
Le but, toujours selon Nadia, est «d’offrir une visibilité, une aide à la distribution. Nous ne voulons pas simplement sélectionner des films et les montrer. Nous tentons de les accompagner au mieux et nous sommes heureux quand ils trouvent un distributeur». «Nous ne sommes pas dans une recherche absolue de l’inédit», ajoute Eric, sourire en coin.
Pour trouver leur bonheur, Nadia et Eric cherchent, prospectent et sondent le paysage cinématographique pendant une année entière. Pas d’appel à projet, ils le font par eux-mêmes et au gré de leur instinct, avec le même plaisir qu’il y a trente ans. En cela, ils me font penser aux pionniers qui partaient chercher de l’or en Arizona.
Des films qui ébranlent
Les films qu’ils trouvent ne sont pas là pour vous épargner, mais pour vous bousculer.
«On aime les films qui parlent de société, ce qui est en lien avec l’histoire, ce qui gratte».
Et effectivement, cette année on se retrouvait plongé en pleine révolution sous Ceaucescu (Libertate ,éprouvant et très immersif), dans le combat pour la préservation des territoires Saami (Let the river flow, hymne à la nature et aux grands espaces), dans la misère et les arnaques Bulgare (le saisissant Blaga’s lessons, petit bijou noir et pessimiste) ou encore dans le métro ukrainien, nouveau centre de vie pendant les bombardements russes (Photophobia, documentaire-fiction qui s’attache à nous montrer comment deux enfants vivent durant la guerre).
Rien de très réjouissant ni de très optimiste, mais un cinéma social et cru, qui rend compte de la réalité. Comme le répète Nadia: «Le cinéma est le reflet de l’état du monde, et le monde va mal. L’idée est de faire réfléchir les gens, les sortir de leur cocon, de leur quotidien, qu’ils se posent des questions.»
D’ailleurs cette édition, plus que les autres, faisait écho à la triste actualité, puisqu’elle survenait trois semaines après le meurtre de Dominique Bernard, cet enseignant tué à coups de couteau par un élève radicalisé.
Plus que jamais, il fallait s’intéresser aux autres, montrer d’autres façons de vivre, décloisonner les idées, les pensées et les philosophies. Plus que jamais, c’était nécessaire pour les Arrageois·es de se retrouver, de refaire le monde, de vivre.
Un festival pour tous·tes
Le festival se veut accessible pour tout le monde. Les catégories répondent aux multiples envies et besoins. Les cinéphiles avides de découvertes se délectent de la compétition européenne et des sections «Visions de l’Est» et «Cinéma du monde», le public local se dirige vers les avant-premières qui recèlent de rencontres avec les équipes (cette année on pouvait y trouver Et la fête continue, La fille de son père, l’Abbé Pierre ou Je ne suis pas un héros, entre autres), les nostalgiques peuvent se tourner vers des rétrospectives: Sales bêtes (spécialisé cinéma d’horreur) ou Drôles de Tchèques (pépites du cinéma très inventif et très singulier de la République Tchèque durant les années soixante et septante). Et chaque année, le festival fait la part belle à des invités d’honneur. Cette année, Dominique Blanc et Matéo Garonne (réalisateur de Gomorra ou de Dogman) étaient attendus.
Les deux ont donnés une masterclass et présentés plusieurs de leurs films devant des salles conquises et heureuses de bavarder avec de grands noms de cinéma.
Et les enfants me direz-vous? Ne vous inquiétez pas, eux aussi ont droit à leur festival, avec huit films spécialement programmés pour eux. De quoi les voir quitter la salle dans de grands éclats de rire.
Coup de foudre lituanien
Dans cette joyeuse multitude, quelques coups de cœur viennent immanquablement frapper à votre porte. C’est le cas de Slow, film lituanien porté par une réalisatrice, Marija Kavtaradze, qui relate la rencontre entre Elena et Dovydas. Si le coup de foudre est immédiat entre eux, les protagonistes se heurtent immédiatement à un écueil conséquent: Dovydas se déclare asexuelle alors qu’Elena a une sexualité épanouie et accomplie. Le jeune couple va s’apprivoiser, tenter de fonctionner, de vivre et le film va pousser les personnages dans leurs retranchements, avec une tendresse et une sensualité (oui oui) débordantes!

Coup de coeur aussi pour Blaga’s lessons, (du réalisateur bulgare Stephan Komandarev), sorte de thriller social qui voit une femme de septante ans s’improviser dealeuse pour offrir à son mari un enterrement décent. Le synopsis a un air de déjà-vu (notamment dans les comédies françaises) mais rien n’est drôle ici, le film est sec (dans le bon sens du terme), il cogne dur et imprime votre rétine par sa cruauté. L’épure de sa proposition fait rejaillir plus vivement encore le cynisme du film et le pessimisme de son réalisateur quant à la société bulgare.

À noter – pour la minute chauviniste – que c’est un film belge qui a remporté l’Atlas d’or cette année: Holly, de Fien Troch. Le film (l’un des chanceux à avoir une distribution) sortira très prochainement en Belgique et on le félicite d’ores et déjà pour sa récompense!

Fêtons ensemble, avant de nous dire adieu (ou à la prochaine…)
Que faire après avoir fait le plein d’images et de souvenirs? Célébrer la vie pardi! Sur la place des héros, le public se retrouve pour savourer la gastronomie locale. C’est autour de tartes au maroilles ou de welsh qu’on discute encore et encore des films, qu’on les interprète, qu’on les égratigne ou qu’on les porte aux nues. Pour finir, on retourne sous le chapiteau où les festivaliers boivent et dansent pour bien clôturer la journée. Et au rayon fête, il faut avouer qu’ils se défendent pas mal dans le nord. On se couche, vannés et heureux on se demandant foutre comment nous allons pouvoir nous lever pour voir quatre ou cinq films durant la journée du lendemain.
Mais on arrive – bizarrement – à se relancer, à se laisser porter par l’écran et ses multiples propositions, à revivre au rythme du septième art. Et si parfois on file faire une petite sieste réparatrice, c’est pour mieux revenir et parler, encore et encore, de cinéma, et donc, refaire encore et encore, le monde.
Le Arras Film Festival est un moment unique dans l’année, un moment de communion qui unit autant la ville que les passionné·es alentours. Il est voué à s’éterniser et à se développer de plus en plus. On ne peut que s’en réjouir.
Personnellement, je m’en vais le cœur rempli de joie et de sourires.
Enrico m’avait prévenu.
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