RECHERCHER SUR LA POINTE :

Baleine ©Emmanuel Tête.

Archipel

En ce moment
À l’occasion des deux premières dates d’Archipel au Marni les 31 mars et 1er avril 2022, Charles-Henry Boland, dramaturge sur le projet, nous parle du processus de création et des thématiques du spectacle.

Archipel, c’est l’alliance de la musique et du dessin au sein d’un même spectacle, le premier du musicien Frédéric Lepaffe, dont les compositions viennent rencontrer l’univers graphique d’Emmanuel Tête. C’est l’histoire d’un voyage initiatique et onirique. Un homme se retrouve embarqué dans une étrange odyssée qui l’amènera sur des îles lointaines et minuscules. Durant ce voyage, il sera confronté à des événements du passé qui lui rongent le cœur et tentera de s’en libérer. Sur scène, cinq musiciens interprètent des compositions oscillant entre folk, musiques du monde et jazz, tandis qu’un dessinateur réalise une performance graphique et plastique, déployant un monde insulaire fait de sons et d’images. L’histoire se dévoile ainsi sous la forme d’une bande dessinée musicale aux multiples formes.

Pieuvre ©Emmanuel Tête.
Je n’avais pas entendu parler de la plupart d’entre elles…

Les îles sont le cœur du projet, tout est parti de là. Fred est un jour venu me trouver avec une idée. Cela faisait quelque temps qu’il avait pris pour habitude de parcourir le globe via Google Earth à la recherche de coins complètement isolés. Il s’intéressait particulièrement aux îles, il en avait identifié comme ça plus d’une quinzaine, je n’avais pas entendu parler de la plupart d’entre elles…

Ces îles n’avaient rien de remarquable en soi si ce n’est qu’elles étaient totalement perdues au sein des océans, inhabitées dans leur majorité, parfois même inhospitalières. C’était très curieux car elles nous semblaient à la fois très distantes et pourtant très familières. On a alors commencé à échafauder une réflexion et un imaginaire autour de ces îles et du sentiment qu’elles suscitaient en nous. À force de se projeter en elles, toutes ces petites bandes de terre, on les voyait un peu comme des parts de nous-mêmes qui se seraient éloignées de nous depuis longtemps. On s’est mis à penser ces îles à travers cette idée d’identité brisée, un peu comme si elles étaient finalement des morceaux épars de notre personne qu’il fallait rassembler. C’est là qu’est venue la notion d’archipel: l’unité est nécessairement constituée de fragments qui ne se rejoignent jamais vraiment mais qui, ensemble, forment une entité faite de multiplicité.

Ces îles étaient comme des terrains de jeu vierges.

On s’est alors mis à l’écriture. Ces îles étaient comme des terrains de jeu vierges, on pouvait les investir complètement à notre manière, les doter chacune d’un folklore propre que l’on voulait aborder de manière très libre. À la base, il s’agissait de s’accrocher à quelques éléments que les îles présentaient, des fragments d’histoire, des anecdotes ou même simplement leurs géographies ou leurs climats.

On se laissait porter par elles, s’imaginant ce qui pouvait bien s’y passer, ce à quoi l’on aurait pu bien assister, des scènes réelles (le transite de Vénus devant le soleil en 1874) ou complètement tirées de notre imagination (l’enterrement de Darwin sous l’arche qui porte son nom). On s’est fait plaisir à rêver et inventer ensemble, en toute liberté. Et c’est tout un folklore imaginaire que l’on a commencé à créer, pour des populations insulaires qui n’ont bien souvent jamais existé.

Darwin ©Emmanuel Tête.

L’étape suivante était la composition musicale pour chaque île. Les inspirations de Frédéric sont très variées, puisant dans des traditions différentes, provenant d’une multitude d’endroits autour du globe. Sur base de ce que l’on avait inventé en termes de folklore, Fred s’est mis à la création et a proposé rapidement une douzaine de pièces initialement composées à la guitare.

Ça swinguait, ça dansait, on se serait cru à chaque fois au sein d’une célébration très lointaine…

C’était assez surprenant car tous ces morceaux semblaient vraiment différents, comme des cartes postales musicales provenant de lieux inconnus mais familiers à la fois. Ça swinguait, ça dansait, on se serait cru à chaque fois au sein d’une célébration très lointaine mais que nous connaissions depuis toujours à travers les folklores qu’on avait imaginés.

Carte ©Emmanuel Tête.

Après cela, on est allés chercher d’autres musiciens afin d’étoffer ces compositions. On ne voulait pas forcément des instruments traditionnels et on voulait surtout éviter que cela sonne «exotique». Les musiciens qui ont rejoint l’aventure (Fanny Perche au saxophone, Julien Gillain au violon et piano, Guillaume Malempré aux percussions et Boris Schmidt à la contrebasse) ont tous une solide formation en jazz, ce qui a permis d’introduire des sonorités plus complexes mais aussi de laisser libre cours à des parties d’improvisation. C’était assez fascinant de voir comment les morceaux gagnaient en intensité et se développaient assez naturellement. 

Proposer un genre de voyage musical et graphique.

On avait la musique de nos îles, restait à leur donner une chair, un corps, bref, une existence visuelle. À ce stade, on ne voulait pas simplement donner un concert de musique folklorique imaginaire mais proposer un genre de voyage musical et graphique, un spectacle où les deux disciplines se répondraient l’une l’autre.

C’est alors que le dessinateur Emmanuel Tête est entré dans l’aventure. Au début, on l’a laissé assez libre d’explorer les îles à sa façon, avec les mêmes éléments d’histoire qui nous avaient servi pour créer nos folklores imaginaires. Emmanuel a pu donc partir dans pas mal de directions, ne se refusant aucun moyen, aucun médium. Durant chaque morceau, Emmanuel manipulait des objets, des livres, des photos de naufrage, convoquait le réel et le mêlait à son univers personnel. On a accumulé beaucoup de matière et ce fut très intéressant de confronter tout cela à la musique qui existait déjà. Cela a donné une autre lecture des pièces, une alchimie inattendue se déployait si bien que l’on commençait vraiment à croire que ces folklores avaient toujours existé.

La dernière étape fut d’organiser tout cela au sein d’une histoire. Il fallait qu’on crée un véritable voyage organisé autour d’un fil rouge, une trame narrative qui permettrait de traverser toutes les îles. L’histoire qu’on a écrite a ensuite été transformée par Emmanuel en bande dessinée. Cela a permis encore d’affiner notre matière, certaines choses ont été écartées, d’autres préservées et même exagérées. Au bout du processus, nous avons développé un genre de conte, où se mêle géographie et imaginaire au sein d’un archipel fantastique.

Julien Gillain (violon), Emmanuel Tête (dessin), Boris Schmidt (contrebasse), Fanny Perche (saxophone), Frédéric Lepaffe (guitare) et Guillaume Malempré (percussions). ©Frédéric Lepaffe.


Vous aimerez aussi

Yasmine Yahiatène (à l’avant-plan) et les quatre participantes de l’installation «Les châteaux de mes tantes », à découvrir à l’Espace Magh. ©Pauline Vanden Neste

Les châteaux de mes tantes

En ce moment
Sandrine Bergot, artiste, créatrice, cofondatrice en 2007 du Collectif Mensuel, prendra le 1er septembre la direction du Théâtre des Doms, vitrine de la création belge francophone à Avignon. ©Barbara Buchmann-Cotterot

Sandrine Bergot, cap sur les Doms

Grand Angle
À gauche, Daniel Blanga-Gubbay et Dries Douibi, codirecteurs artistiques du Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, et, à droite, Jessie Mill et Martine Dennewald, nouvelles codirectrices artistiques du Festival TransAmériques (FTA) à Montréal | © Bea Borgers et Hamza Abouelouafaa

Diriger un festival: à deux, c’est mieux

Grand Angle