RECHERCHER SUR LA POINTE :

Depuis 2005, le festival fondé par le chorégraphe-danseur-pédagogue Taoufiq Izeddiou, constitue un rendez-vous important pour les professionnels et amateurs de la danse contemporaine au Maroc. Dans cette série, on vous emmène à la découverte du festival et des artistes qui s'y sont réunis.
épisode 1/6
1/6
©Mehdi Chavana

À Marrakech, On danse!

Au large

épisode 1/6

18 ans plus tard, «On Marche» constitue l’une des rares initiatives à conjuguer enjeux pédagogiques, créatifs et professionnalisants, dans un contexte où les écoles d’art et les espaces consacrés à la danse contemporaine font défaut. Les contraintes financières et la mobilité limitée par les conditions d’octroi de visa constituent d’autres freins pour le développement et la reconnaissance internationale des artistes marocain·nes et, plus largement, africain·es. Mais s’il est difficile de se rendre en Europe pour les jeunes artistes, les échanges et les collaborations sur le continent africain sont tout aussi difficiles, comme le souligne Taoufiq Izeddiou. En effet, les coûts aériens sont excessifs et la situation sécuritaire de certains pays empêche les trajets terrestres. Aussi, les artistes africain·es sont confrontés au paradoxe de devoir se rencontrer en Europe pour initier et rêver de collaborations panafricaines. Le festival fonctionne dès lors comme un rendez-vous annuel, offrant l’occasion à des artistes émergent·es et confirmé·es de se découvrir, de rencontrer des programmateur·ices mais aussi, grâce aux différents workshops et moments de rencontre, d’expérimenter et de réfléchir ensemble aux enjeux et possibilités de la danse contemporaine.

©Mehdi Chavana

2023-2026, un nouveau tournant

La pandémie et la détérioration d’une situation déjà difficile a forcé un certain nombre d’artistes marocains à abandonner leur pratique.

«On marche» constitue l’une des rares initiatives à conjuguer enjeux pédagogiques, créatifs et professionnalisants.

Confronté à cette désertion, Taoufiq Izeddiou a d’abord créé un spectacle. Intitulé HMADCHA, le spectacle lui a donné l’occasion de réunir et de faire travailler des danseur·euses, mais aussi d’explorer en groupe les questions de l’être ensemble et d’interroger ce faisant les enjeux et possibilités de la danse dans le contexte de crise. L’épreuve de la pandémie a également conduit à une réflexion sur les urgences auxquelles un festival tel que «On marche» devait répondre. Un nouveau projet fut élaboré, il commence avec l’édition 2023 du festival. Quelles en sont les nouvelles initiatives?

Les Prix «Taklîf». Un concours, oui mais…

Afin de répondre au manque d’espaces et de moyens pour des résidences mais aussi au manque d’accompagnement dramaturgique pour les jeunes artistes marocain·es, le festival a initié cette année les Prix «Taklîf». Les prix « Taklîf » sont un concours en ce qu’il fait concourir des artistes devant un jury international chargé d’opérer un classement et de distribuer des prix. Toutefois, il ne s’agit pas de souscrire à une logique médiatique et concurrentielle mais plutôt de créer un dispositif qui sert à la fois d’espace de rencontre et d’échange entre jeunes artistes d’horizons différents et de professionnel·les nationaux et internationaux, un dispositif qui fonctionne comme un levier de création en apportant des réponses concrètes aux difficultés rencontrées par les artistes marocain·es. En effet, ce ne sont pas des œuvres achevées qu’il s’agit de présenter mais des œuvres en création, qui pourront bénéficier ensuite de résidences organisées au sein des institutions partenaires lesquelles s’engagent à les accompagner (regard extérieur, dramaturgie) dans le développement de leur forme. Le dispositif offre l’occasion pour les artistes de parler de leur projet et crée de la place pour la discussion entre participant·es. Le concours devient ainsi une plateforme où la danse se pense, collectivement, déplaçant ce faisant la logique individualiste qui caractérise habituellement ces moments. Pour cette première édition, les trois premiers prix ont respectivement été décernés à Abdel Mounim Elallami pour son solo IDEE, à Aïda Jamal qui présenta également un solo, TAMAT, et, enfin, à Yassine Alaoui Ismaili & Friederike Frost – Cie Chara – pour leur création HIT 7AYT. À Bruxelles, c’est le théâtre Marni ainsi qu’Adhoc Platform/ Nedjma HB (membre du jury et coordinatrice de Taklîf,) qui accueilleront en résidence Imane Elkabli et l’accompagneront dans la création de Metamorphosis.

Le public de la danse/la danse des gens

Les masterclass sont un autre volet important de cette édition, organisées pour permettre aux danseur·euses professionnel·les de travailler avec des chorégraphes reconnu·es ; aux amateur·ices de s’initier à la danse ; et, aux professionnel·les, semi-professionnel·les et amateur·ices de danser ensemble. Parmi ces workshops, soulignons l’atelier animé par Sylvain Groud (Ballet du Nord CCN Roubaix (France), qui s’est en partie développé dans l’espace public et qui invitait à interroger les modalités de la rencontre avec l’autre, les dynamiques de regards et de toucher possibles. Le corps et le regard posé sur lui s’éprouve dès lors dans la rencontre entre passants et performeurs tandis que la corporalité dans l’espace public devient un sujet sensible et réflexif.

À travers cette initiative, le festival souhaite rencontrer différemment les spectateur·ices afin de concourir à l’élargissement du public de la danse contemporaine au Maroc. Si, par la gratuité et l’inscription d’une partie de la programmation dans l’espace public, il s’agit déjà de rendre la danse plus accessible, cela ne suffit pas et les organisateurs sont conscients de l’importance du temps et de la confiance pour qu’un public réellement engagé se construise. Leur pari est celui d’une entrée effective dans la danse: si ce public se met lui-même à danser, c’est sa pratique qu’il partagera ensuite avec d’autres encore. De proche en proche, la danse se transmet et c’est le rêve d’une cité dansante qui commence à se réaliser.

©Mehdi Chavana

Une culture de la danse: réunir le corps et la tête

Enfin, le troisième axe de cette réorientation du festival est celui de la place donnée à la pensée de la danse. En posant la question des rapports entre les intellectuel·les ou, plus précisément, celle de l’abandon du corps et donc de la danse de la part des intellectuel·les marocain·es, «On marche» a voulu interpeler ces dernier·es. Un forum a été organisé pour à la fois tenter de comprendre ce déni mais, surtout, créer un espace-temps pour actualiser cette pensée. Coordonné par Driss Ksikes et Nedjma Hadj Benchelabi, ce dernier est un pas supplémentaire pour actualiser l’un des principaux objectifs du festival: produire une culture de la danse. Or, celle-ci ne se fait pas que par la pratique, un accompagnement et une réflexion critiques sont nécessaires pour réfléchir, notamment, à la question de la place du corps dans la société marocaine.

C’est donc à travers la transmission, la réflexion, l’élargissement de l’expérience de la danse au sein de cercles de plus en plus étendus que le festival poursuit, à travers sa 16e édition, l’objectif qui l’anime depuis sa création, celui de l’intégration effective de la dimension corporelle dans l’ensemble des strates de la société marocaine. Pour ce faire, les chorégraphes, danseurs et danseuses doivent être soutenus. Les formations et les Prix «Taklîf» sont des réponses concrètes aux besoins et difficultés rencontrés par les artistes marocain·es.

Les effets de ces initiatives sont à suivre à travers les parcours de ces artistes, dans le développement de la scène de la danse au Maroc ainsi que par l’observation de la corporalité dans la rue, dans les réflexions des intellectuel·les et dans les débats publics au Maroc. Mais ce qui ressort déjà de cette édition, c’est l’énergie suscitée par cet espace d’échange et de rencontre. Des danseur·euses de hip hop y ont rencontré des danseur·euses contemporains, des chorégraphes reconnu·es se sont mêlés à des débutant·es, des programmateur·ices ont posé des questions et se rendus disponibles. Comme le disait un des jeunes danseurs issu de la scène hip hop lors de l’échange organisé sur les Prix «Taklîf», si les espaces d’échange entre danse contemporaine et urbaine restent rares, la danse est la maison que tous·tes les praticien·nes ont en partage. Mais alors qu’une maison peut constituer une zone de repli, et ce particulièrement en temps de crise, on ne peut qu’admirer l’ouverture et la qualité d’accueil dont le festival a fait preuve. Les organisateur·ices ont agi en hôtes bienveillant·es, attentif·ves à la place laissée à chacun·e et généreux·ses dans les échanges. C’est sans doute cette bienveillance rare qui a constitué le cœur du festival et qui a permis – parallèlement à la programmation elle-même – sa principale réussite: celle de jeunes praticiens et praticiennes mis en confiance, celle d’une communauté réunie pour continuer à faire vivre la danse et ce malgré les nombreux obstacles rencontrés.

©Elallami Abdel Mounim

Voyage réalisé avec le soutien de WBI. Merci à la délégation de Rabat.


Dans la même série

Vous aimerez aussi

À gauche, Daniel Blanga-Gubbay et Dries Douibi, codirecteurs artistiques du Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, et, à droite, Jessie Mill et Martine Dennewald, nouvelles codirectrices artistiques du Festival TransAmériques (FTA) à Montréal | © Bea Borgers et Hamza Abouelouafaa

Diriger un festival: à deux, c’est mieux

Grand Angle