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À la scène comme à la ville au Théâtre National

Grand Angle

Emilie Garcia GuillenD’où est venue l’idée de ce nouveau festival, dont la particularité est d’être conçu avec des amateurs?

Isabelle CollardOn a souvent mené des projets avec Pierre Thys, avant qu’il devienne directeur du Théâtre National, autour des amateurs et amatrices, mais c’était des choses toujours plutôt satellitaires par rapport à l’activité centrale du théâtre. On s’est toujours dit qu’il fallait qu’on renforce le lien avec les citoyen·nes. Pierre a eu l’idée d’inscrire ce festival comme un temps fort de la programmation du Théâtre National, au même titre que les autres. On a trois temps forts cette saison : Scènes nouvelles en novembre, avec des artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles dont les spectacles n’ont pas été beaucoup vus, MAD (Mots à défendre), et À la scène comme à la ville .
Il y avait vraiment cette envie de donner de la place à ce type de projet, avec leur fragilité.

Où se joue cette différence, pour la structure qui accueille le festival?

Ça met les équipes à l’épreuve et surtout les équipes techniques, parce que tout s’invente sur le moment même. Les techniciens sont sollicités pour venir en aide à la création lumière, son, etc.

Comment avez-vous mobilisé les artistes impliqués?

Transcender la parole d’un groupe pour l’amener à un niveau artistique de qualité.

Pour que ce soit un geste artistique, il fallait qu’on travaille avec un artiste qui ait l’envie de créer avec un groupe d’amateur·ices, qui ait la capacité de gérer et de transcender la parole d’un groupe pour l’amener à un niveau artistique de qualité. L’année dernière, j’ai parlé du projet aux artistes associé·es au Théâtre National: présenter des rendus d’ateliers menés durant la saison sous forme de spectacle lors d’un festival.

Comment ont-ils répondu à cette invitation?

Leurs motivations pour aller se frotter à ce type de travail sont toujours assez différentes. Par exemple, Gaia Saitta souhaitait se confronter au travail de plateau avec des enfants – chose qu’elle n’avait jamais faite auparavant.

C’est donc aussi une expérimentation pour leurs propres recherches artistiques, pas seulement une «bonne action» faite par charité…

Je pense que c’est un élément clef: que ça apporte quelque chose à l’artiste dans sa pratique, que ça le nourrisse vraiment.

Exactement! Et je pense que c’est un élément clef: que ça apporte quelque chose à l’artiste dans sa pratique, que ça le nourrisse vraiment. Par exemple, Clément Papachristou, artiste associé au Théâtre National, a fait un travail avec son frère Guillaume qui est infirme moteur cérébral, et il est venu tout de suite proposer à l’équipe de médiation de travailler avec un groupe porteur du même handicap que Guillaume, avant même qu’on pense la programmation de la saison. La recherche de Clément Papachristou porte sur un langage commun à trouver entre acteur·ices valides et non valides. Le travail a été mené avec les résident·es d’un centre de jour situé près de l’hôpital Erasme, Facere. Les rencontres ont commencé en 21-22 et l’atelier s’est déroulé durant toute la saison 22-23 pour aboutir à une petite forme durant ce premier festival À la scène comme à la ville.

C’est une construction sur le temps long…

Pour ce type de projet, la question du temps est centrale: quand est-ce que les ateliers s’arrêtent et qu’est-ce qu’on en fait ?
Avec le centre Facere, on va essayer qu’ils continuent à venir au théâtre et voir si on peut faire des ateliers plus ponctuels qui ne donneront pas lieu à des restitutions mais qui seront des moments où ils pourront continuer à toucher à la matière artistique.

Qu’est-ce qu’on va voir concrètement pendant le festival?

Une diversité de citoyens et de citoyennes sur les plateaux, une mixité des publics.

Je pense qu’on va voir sur les plateaux une diversité de citoyens et citoyennes; ça va être intergénérationnel, interculturel, social… tous·tes vont se mélanger. J’espère qu’on verra aussi une mixité des publics. Notamment pour le spectacle des artistes associés: les trois petites formes sont rassemblées dans un spectacle, Une traversée, qui rassemble des enfants, des seniors et des résidents. La thématique qui les réunit c’est les grandes joies et les petits bonheurs, les grands et les petits malheurs.

Et j’imagine que vous aimeriez aussi toucher le public des habitués du théâtre?

J’espère! Je crois que certain·es seront intéressés. Soit par la thématique, par exemple dans le cas du spectacle La cité des dames, qui est porté par des dames passées par le sans-abrisme; soit par le travail d’un artiste en particulier; soit par la démarche en général. Pour Une traversée, je pense que l’accroche résidera davantage dans le geste artistique posé par ces citoyen·nes que dans leurs rôles de simples témoins. Même si leur histoire est au centre du propos.

C’est un aspect sur lequel vous insistez : la dimension théâtrale de ce qui se passe dans ces spectacles, la transformation de l’expérience vécue.

Oui, c’est cet espace de transformation, de transcendance artistique très difficile à décrire. Une forme de création collective avec une écriture de plateau. On les emmène sur le terrain de la création et ça je crois que c’est important.

Quels sont les premiers retours des artistes et des participants sur l’expérience qui a été menée?

Je pense que ça les modifie vraiment la pratique des artistes, que ça leur permet d’avoir une accroche sur le réel.

Je pense que ça modifie vraiment la pratique des artistes, que ça leur permet d’avoir une accroche sur le réel. On donne aux participant·es la possibilité de toucher à l’écriture artistique et théâtrale. Les enfants prennent tout ça avec beaucoup d’appétit et de plaisir.

Est-ce que vous vous êtes inspirés d’autres événements ou projets du même type ? Ou de spectacles qui ont réuni des non artistes ou se sont inspirés du travail avec eux – on pense par exemple à Jérôme Bel ou Alain Platel…

Il y a des choses évidemment qui nous ont nourri·es. Je pense à Raimund Hoghe qui avait mené un travail chorégraphique avec des adolescents, ou à Thierry Thieu Niang, Eric Castaing… Beaucoup d’expériences différentes en fait. La difficulté, c’est de définir le sillon qu’on a envie de creuser.

C’est un espace d’expérimentation.

Exactement. Pour les artistes comme pour les participant·es, il me semble que le plus important c’est d’expérimenter le «faire ensemble».


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