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Série Recto/Verso
La série Recto Verso part à la rencontre de ces artistes qui exercent un double métier, par plaisir, passion, ou tout simplement pour «sur»vivre.
épisode 8/18
8/18
Pierre Vaiana ©Dikave studio.

Saxophoniste et importateur d'huile d'olive

Grand Angle

épisode 8/18

Formation: Études de peinture aux Beaux-Arts à Liège, étude de musique à l’Académie de Seraing, au Conservatoire de Liège et à la Long Island University de New York (USA). Autodidacte pour l’huile d’olive.

Comment êtes-vous devenu musicien, puis importateur/vendeur d’huile d’olive?

Je viens d’une famille d’origine sicilienne et j’ai grandi dans la région de Liège. J’ai commencé à étudier la peinture et la musique très jeune – vers quatorze ans – et je suis très vite devenu musicien professionnel. Vers 30 ans, en 1986, je suis allé parfaire ma formation de saxophoniste avec Joe Lovano aux USA grâce à une bourse. Là-bas, je faisais toutes sortes de choses pour gagner ma vie: je jouais de la salsa, je faisais la plonge dans des restos, je donnais des cours de français et d’italien…
C’est bien plus tard que j’ai renoué avec ma région d’origine, la Sicile. En 1994, ma tante sicilienne m’appelle et me dit: «Viens». Je suis retourné à ce moment-là quelques jours dans mon village d’origine, Palazzo Adriano (NDLR: là où a été tourné le film Cinema Paradiso). Et puis, on est partis vivre quelques années au Burkina Faso, il y a de nouveau eu une coupure.
En 2000, j’ai suivi la classe de Giovanna Marini sur les chants de tradition orale d’Italie du sud, à Paris VIII, et on est allés ensemble en Sardaigne pour la Semaine Sainte. C’est là que j’ai entendu parler pour la première fois des chants de charretiers (mon grand-père était charretier et faisait partie d’une confrérie de «charretiers/poètes/chanteurs»). J’ai lancé mon projet sur les «Funduq» (nom donné aux auberges qui accueillaient les charretiers) de la Méditerranée. Je me rendais de plus en plus souvent en Sicile, et j’ai redécouvert toute la magnifique nature qui entoure mon village de Palazzo Adriano, et notamment les oliviers. Inévitablement, nous ramenions de l’huile d’olive en Belgique, on avait de plus en plus de demandes d’amis et de proches. On a d’abord fait ça en activité complémentaire, et en 2017 on est passé en SPRL (avec OLIO SI); aujourd’hui, notre activité a créé de l’emploi aussi bien en Sicile qu’en Belgique.

Il y a toute une jeune génération qui s’occupe de la production d’huile d’olive.

J’ai beaucoup œuvré à améliorer l’huile produite dans mon village car je sentais que le terroir était exceptionnel pour les olives: je l’ai faite analyser par des experts, j’ai encouragé à cueillir les olives plus tôt, à les presser différemment, etc. Aujourd’hui, il y a toute une jeune génération qui s’occupe de la production d’huile d’olive, les moulins se sont modernisés, même l’administration communale a beaucoup investi dans cette activité. Le tout jeune maire distribue 40000 oliviers gratuitement aux jeunes qui veulent s’investir dans l’oliviculture!

Qu’est-ce que ce second métier vous apporte?

C’est devenu une passion. L’huile, c’est un peu comme le vin, l’expression d’un terroir. Et ça me rappelle des souvenirs d’enfance, quand j’accompagnais mon oncle dans ses oliviers, que ma tante me faisait gouter du pain fait maison avec de l’huile d’olive. Ça m’a marqué.

Je suis beaucoup moins affecté par les aléas de la musique.

Moralement, ça me fait beaucoup de bien de vendre ça et pas que de la musique. La relation à l’argent est plus claire: les gens comprennent mieux que l’huile d’olive, ça se paie. En musique, il faut toujours rester concentré sur le positif, donner le meilleur de soi-même parce qu’elle est l’expression de soi, et que sinon, ça ne marche pas. Pour un musicien ou une musicienne, le plus dur c’est de ne pas faire transparaitre ses frustrations, qui sont fréquentes dans ce métier. Aujourd’hui, je suis beaucoup moins affecté par les aléas de la musique; ma deuxième passion me permet d’avoir une relation plus sereine avec les autres.

©Dikave studio.

Y a-t-il un lien entre vos deux activités professionnelles?

Pour la promotion de mes produits, j’ai appliqué tout ce que j’avais appris avec la musique.
On a organisé beaucoup de concerts chez moi, qui mêlaient dégustation et musique de façon très conviviale. De nombreuses amitiés sont nées chez nous, de ces soirées. C’était un peu l’esprit du funduq, recréé en Belgique. On avait parfois jusque 80 personnes. Mais on a arrêté car c’était épuisant; on réfléchit aujourd’hui à une autre formule, plus légère.
Mes deux passions, je les vois comme une chance. Elles me donnent toutes les deux accès à une force créative. Générer de la musique est une chose incroyable. C’est un métier extraordinaire, le fait de pouvoir jouer avec d’autres, de vivre des rencontres musicales, créer des moments de grâce qui sont partagés. Le résultat des deux activités est le même: réunir des personnes autour d’une passion. Que ce soit celle des bons produits du terroir ou la musique.
Et ma musique a changé aussi. Aujourd’hui je l’aborde davantage dans l’écoute de ce qui m’entoure. Pour mon dernier album amuri & spiranza (HOMERECORDS, 2020), je me suis inspiré des quatre éléments: le vent, l’air, l’eau, la terre.

NB: Pierre Vaiana sera en concert le 13 avril 2022 à la Jazz Station (Bruxelles).

Pierre Vaiana – saxophone soprano / Artan Buleshkaj – guitare / Lode Vercampt – violoncelle / Boris Schmidt – contrebasse / Lionel Beuvens – batterie

 À lire en lien:

«C’est de l’or, disait l’oncle. Ceux qui disent que nous sommes pauvres n’ont jamais mangé un bout de pain baigné de l’huile de chez nous. C’est comme de croquer dans les collines d’ici. Ça sent la pierre et le soleil. Elle scintille. Elle est belle, épaisse, onctueuse. L’huile d’olive, c’est le sang de notre terre. Et ceux qui nous traitent de culs-terreux n’ont qu’à regarder le sang qui coule en nous. Il est doux et généreux. Parce que c’est ce que nous sommes: des culs-terreux au sang pur. de pauvres bougres à la face ravinée par le soleil, aux mains calleuses, mais au regard droit. Regarde la sécheresse de cette terre tout autour de nous, et savoure la richesse de cette huile. Entre les deux, il y a le travail des hommes. Et elle sent cela aussi notre huile. La sueur de notre peuple. Les mains calleuses de nos femmes qui ont fait la cueillette. Oui elle est noble. C’est pour cela qu’elle est bonne. Nous sommes peut-être des miséreux et des ignares, mais pour avoir fait de l’huile avec des cailloux, pour avoir fait tant avec si peu, nous serons sauvés. Dieu sait reconnaitre l’effort. Et notre huile d’olive plaidera pour nous.»

Extrait de Le Soleil des Scorta de Laurent Gaudé, Actes sud.


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