RECHERCHER SUR LA POINTE :

Une série de chroniques imaginée par Nouche Lits, pour mettre en avant ces espaces et ces moments où le public est majoritairement composé de personnes queer. Pour expliquer l’importance de ne pas être, toujours et constamment, la seule personne queer de la pièce. Pour déjouer l’épuisement de la marginalité et lui opposer la joie de la communauté. C’est une série qui se veut instructive, personnelle, un chouia intime parfois, tendrement politique si c’est possible, célébrante et rassembleuse. À destination des personnes non-queer qui sont curieuses, de celles qui doutent de la nécessité des espaces en mixité choisie, de celles qui n’ont pas la moindre idée de nos fêtes et de nos calmes. À destination des personnes queer à qui ça fait plaisir de me lire.
épisode 2/2
2/2
Les trois repreneuses du Crazy Circle ©Marie Meuleman

Le Crazy Circle

Émois

épisode 2/2

J’ai trois copines, parmi toutes mes copines, qui reprennent un bar. Il s’appelait le Crazy Circle et il ne va pas changer de nom ni d’importance.  

C’est un bar qui leur est cher, et qui est cher à beaucoup d’entre nous. Dans le «nous», j’inclus les lesbiennes, les bi·es, les personnes sexisées et allié·es[1][1] C’est à dire les personnes dites “FLINTA”: femmes, lesbiennes, personnes intersexes, personnes non-binaires, personnes trans et personnes agenres). En gros, les personnes discriminées du fait de leur genre. qui vivent à Bruxelles ou qui y passent. Ça englobe pas mal de monde et pourtant, c’est le seul bar de la capitale qui s’adresse à nous, spécifiquement, en tant que communauté. Il y a d’autres bars queer dans la ville mais déjà, pas des masses, et surtout aucun qui ait cette spécificité: être un bar les·bi·en et FLINTA[2][2] voir note 1. Pour la définition de chacun de ces mots, je vous renverrai vers internet.. C’est un vrai enjeu.  

Le Crazy Circle tel qu’on le connaît est né en 2019 des mains d’Axelle et Laïla et depuis cinq ans, c’est le seul bar lesbien permanent en ville. On leur doit beaucoup pour l’avoir ouvert. La plupart des gens sont étonnés quand tu leur dis que c’est le seul alors qu’au sein de la communauté, nous sommes bien conscientes que c’est le seul endroit permanent pensé pour nous. Je ne saurais le répéter suffisamment. 

Quand l’annonce que le commerce était à remettre a commencé à circuler, je me souviens qu’il y a eu un réel sentiment d’urgence et de nécessité, un refus d’admettre que le Crazy puisse fermer, et une immense tristesse à l’envisager. Ce lieu, on en avait besoin, il fallait que ça continue. Il suffit d’ailleurs de voir la foule s’y presser et déborder sur la rue pour en admettre la nécessité. 

©DR

Les bars LGBTQIA+ ont toujours été des lieux de résistance, ils ont une histoire et un héritage. Les Prides qu’on connaît aujourd’hui, dont l’une a maintenant lieu dans la rue du Prince Royal, en face du Crazy, sont nées à la suite des mouvements de révolte tels que les émeutes de Stonewall de 1969. Stonewall Inn était un bar gay (c’était le terme utilisé à l’époque) new-yorkais. Après une descente de police de trop, qui visait à démanteler le bar et à en embarquer les client·es pour motifs homophobes, la foule a grondé. Les personnes queer[3][3] Le StoneWall Inn n’était pas seulement fréquenté par des hommes gays. Des lesbiennes et des personnes trans ont aussi participé à ces émeutes et en furent même des forces vives. Marsha P. Johnson, entres autres, une femme trans afro-américaine, y prit part le lendemain lors de la seconde nuit de révolte. Pour plus d’information, je vous conseille le podcast Queer as Fact. C’est assez fascinant., violemment réprimées et privées de leurs droits, ont résisté et ont combattu les forces de police. Par la suite, ces émeutes furent commémorées et avec le temps et d’autres évènements, la première marche des fiertés a eu lieu. Les bars queers sont des lieux indispensables, ne fut-ce que pour nous permettre d’exister, ensemble. Pour résister aussi. 

©DR

Alors reprenons mes trois copines les·bi·ennes qui reprennent un bar. Mes trois copines qui ne prétendent pas réinventer la sauce et qui sont mal à l’aise quand la télé vient les interroger, mais qui quand même retroussent leurs manches pour s’assurer qu’on puisse toujours se retrouver au Crazy dès le mois de mars. Je leur ai demandé pourquoi elles s’étaient lancées et elles m’ont répondu par une citation, ce qui m’impressionne toujours quand même un peu:  
[…] le but des terres lesbiennes était, et demeure, d’accueillir d’autres lesbiennes, d’autres marginales qui ont besoin de cet espace, non comme d’une oasis fantasmée, mais comme d’une bulle d’oxygène dans l’asphyxie hétéropatriarcale[4][4] Myriam Bahaffou. Des paillettes sur le compost. Écoféminismes au quotidien. Le passager quotidien, 2022..  

 
Elles ont précisé: tu remplaces «des terres lesbiennes» par «le Crazy». 

Alors elles décident d’en garder le nom, le logo, l’esprit, la clientèle, les activités, le kicker, le karaoké, les open mics. Le bar, il était déjà là. Elles y amènent un peu d’elles, de leurs expériences professionnelles précédentes et veillent au côté inclusif et préventif. On y reviendra. Elles créent une asbl pour pouvoir continuer à recevoir des artistes, conserver et développer la dimension culturelle et sociale du lieu. Elles travaillent en gouvernance partagée et n’ont pas de but lucratif, comme c’était d’ailleurs déjà le cas auparavant. Parce que comme elles le disent simplement, le Crazy c’était déjà trop bien. Elles ne sont pas là pour tout changer, mais pour y ajouter leur touche et veiller à garder la possibilité d’y être en majorité (on y revient, c’est le thème de la série). 

Y être en majorité ça veut dire plein de trucs. Ça veut dire essayer de créer du lien, et de composer ensemble un lieu qui soit le plus safe possible. Ça veut dire arriver avec nos gueules, nos tenues, nos amours et nos amitiés et que plus rien de tout ça ne soit une question. En discutant à quatre, on s’est rappelé l’origine du terme «queer»: c’étaient les gens bizarres, les marginaux, les freaks. C’était une insulte. Et quand on est dans la rue parfois, on s’en souvient, qu’on n’a pas la tronche de la norme. Puis on rentre au Crazy et la question s’évanouit. Faut se rendre compte du poids que ça enlève, aussi. De l’atmosphère que ça y fait régner, pour nous: quelque chose d’enveloppant, de rassurant, de joyeux. Quelque chose qu’on ne retrouve pas ailleurs. Et ce, pour les habitué·es ou celleux qui viennent trois fois par an. Comme exprimé dans leur communiqué de presse, elles souhaitent que «dans la continuité des valeurs de l’équipe fondatrice, […]toutes les personnes qui se reconnaissent sur le spectre lesbien, bi et trans se sentent bienvenues dans ce lieu». La communauté les·bi·enne et FLINTA est plurielle; le Crazy en a conscience et veille à se faire la bulle d’oxygène de toustes les concerné·es. 

Alors maintenant, elles ont besoin de trucs très concrets. Du genre, un accord des pompiers pour réouvrir. De l’argent pour racheter le fond de commerce, ce à quoi vous pouvez contribuer via ce growdfunding: Levée de fonds Crazy Circle | Sauvons le seul bar lesBIen et FINTA de (whydonate.com). Et puis elles ont besoin de monde à la réouverture, qu’elles espèrent avoir lieu à la fin du mois de mars (restez au courant via insta). Mais jusqu’ici la communauté est là, les encourage et les soutient et comme dirait Gougoutte: ça fait chaud au cœur! 

Informations supplémentaires 

Le Crazy Circle se trouve à Ixelles, vous pourrez trouver toutes les informations pratiques sur leur site: Bar Lesbien Queer Féministe | The Crazy Circle | Belgique 

Ou sur Instagram: @thecrazycircle 

Elles sont en ce moment en plein travaux, mais devraient réouvrir fin mars ! 

Pour les soutenir financièrement, c’est par ici.


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