RECHERCHER SUR LA POINTE :

Maison Chaos ©DR

Maison Chaos

Émois

La poétesse est d’abord seule sur scène, son regard se plante dans le nôtre, comme une fléchette qui atteint inexorablement sa cible. Tout est déjà dit, dans sa simple présence, ses pieds bien ancrés. Droite, fixe, debout, solide. Pourtant ses mots-rafales ont de quoi faire vaciller, mais c’est dans  le public qu’on tangue, l’artiste, elle, semble à peine ébranlable.

Maison Chaos, le nouveau spectacle de Joëlle Sambi est, comme on pourrait s’y attendre, aussi poétique que politique. L’écrivaine maîtrise le verbe et peut accoucher d’autant de fleurs que d’épines. Ses mots, ses métaphores, les couleurs, les textures, tout ce que sa plume révèle, sont aussi teintés des violences du monde qu’elle dénonce presque sourire aux lèvres: pas de cynisme ni de détachement, juste une forme de dignité qui lui est propre.

Joëlle Sambi ©DR

Dans cette dernière création, l’autrice de Et vos corps seront caillasses, nous livre une part d’intime: elle relate un viol et une succession d’agressions. Elle parle de son corps mais aussi de ceux de toutes les femmes, depuis toujours et en tous lieux. Elle dissèque: le viol est politique. Nos lits sont politiques, la main incestueuse d’un tel oncle est politique et le secret de nos chambres, les basculements de nos soirées aussi. Tout ce qui aurait pu, ne pas ou ne devrait jamais advenir, est politique. Le viol gicle sur nous et nous appartient aussi. On ne s’écroule pas par  faiblesse, mais parce que c’est tristement ce que les minorités de genres, les corps des marges portent comme stigmates depuis toujours. Le viol n’est pas inédit, le viol est une culture et cette culture, c’est la nôtre. Elle n’a pas de frontière, elle n’a pas d’ethnie, c’est la violence de corps sur d’autres.

Les mots sortent avec calme et force, la slameuse n’a jamais eu besoin d’hurler pour se faire entendre. En écho pourtant, la voix d’une cantatrice éclate – est-ce un appel au secours? Les sanglots trop longtemps contenus? La colère dans la poitrine? Raphaële Green nous embarque, posant sa voix impeccable sur les notes planantes de Sara Machine. La chanteuse majestueuse se déplace dans ce temple vide, peuplé de fantômes, des ombres que nous avons évitées ou que nous aurions «dû» éviter, celles qui trônent dans les rues, dans nos sommeils ou nos mémoires. Celles qui nous habitent et que nous ne pouvons pas fuir, peut-être.

Tant d’amour pour tous ces corps meurtris.

Il y a aussi tant d’amour pour tous ces corps meurtris, qui ne sont pas pour autant réduits à leurs meurtrissures. Corps bâtisseurs, corps de soin, corps adelphes, corps survivants, corps puissants, corps-ciment, corps-socle, corps infaillibles même si faillir n’est pas un mal, corps debout.

La scénographie est simple, sobre, va à l’essentiel, comme les mots. La mise en scène ne les occulte pas mais les accompagne, juste ce qu’il faut. Magnifique miroir de cette parole puissante car dépouillée, fine et nécessaire.

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Maison chaos, écriture et mise en scène Joëlle Sambi
Avec Joëlle Sambi, Raphaële Green – en alternance avec Elisabeth Moussous – et Sara Machine.

Une production du Théâtre de Namur, à voir du 7 au 10 février au TCC de Namur, à la Triennale de Kigali du 16 au 25 février, le 27, 28 et 29 mars au Palace à La Louvière et du 3 au 13 avril 2024 au Théâtre National Wallonie-Bruxelles.

Par ailleurs, une nouvelle version augmentée de son recueil de poésie Caillasses (L’Arbre de Diane, 2021, épuisé) sort justement en février sous le nom de Et vos corps seront Caillasses (L’Arche, 2024).


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