Footeuses
Émois29 avril 2024 | Lecture 5 min.
épisode 3/4
Tu fais du foot. Tu sais précisément quand ça a commencé parce qu’en fait, c’était il n’y a pas si longtemps et tu l’as fait dans des conditions particulières. Il y a à peu près un an, t’as participé à la Wapa[1][1] WAPA International – War-Affected People’s Association International – lutte contre l’utilisation d’enfants dans les conflits armés et pour leur réintégration au sein de communautés renforcées. L’association organise des tournois de foot en Belgique pour récolter des fonds. avec une équipe de personnes FLINTA[2][2] Femmes, lesbiennes, personnes intersexes, personnes non-binaires, personnes trans et personnes agenres. En gros, les personnes discriminées du fait de leur genre., sans avoir jamais vraiment tapé dans un ballon sur un terrain avant ça. Aujourd’hui, tu joues au futsal avec une équipe de personnes queer sexisées, nouvellement créée par BGS[3][3] Brussels Gay Sports, une association qui propose des activités sportives pour des personnes issues de la communauté LGBTQIA+. Le 6 avril, tu as pris part pour la deuxième fois au tournoi de Brousailles Bruxelles, un collectif de football transféministe accueillant et inclusif. Dans moins d’un mois, tu participeras pour la deuxième fois à la Wapa. En gros, tu joues avec des personnes de ta communauté, à un sport auquel tu débutes, et t’as envie d’expliquer pourquoi c’est si réjouissant.
Tu peux le dire, ça fait du bien de gueuler en groupe.
Ce qui fait du bien aussi c’est de faire huit kilomètres à vélo pour aller jusque Kraainem, passer devant un Mediamarkt et des magasins géants auxquels on ne va qu’en voiture alors on ne va pas, sentir le soleil et le vent par dessus le guidon, n’avoir ni trop chaud ni trop froid dans le short de sport de ta coloc et laisser le ballon de foot te faire une carapace sur le dos.
Ce qui fait du bien c’est d’arriver Rue au bois un mardi soir, croiser ta coéquipière en garant ton vélo et te rendre compte qu’aujourd’hui au menu c’est burger. Ta coéquipière tu la connaissais pas il y a six semaines. Aujourd’hui vous allez découvrir votre passion commune pour Andrew Scott et partager des feuilles de chicon. Vous allez aussi vous rassurer quant à vos performances sportives puisque, depuis six semaines, vous avez commencé à jouer au foot ensemble.
Ce qui fait du bien c’est que c’est arrivé comme ça. T’étais tranquille en train de faire pipi et t’as reçu un message Hé Nouche, est-ce que tu joues au foot ? Et t’as dis non mais dis toujours, ça m’intéresse. T’as un peu vendu tes capacités à courir vite et ta non-peur du ballon et puis t’as dis oui à tout. «Tout», c’est d’abord créer une équipe FLINTA queer, pour aller en septembre à Paris jouer à la Bernard Tapine organisée par les Dégommeuses. La Bernard Tapine c’est un tournoi de foot et les Dégommeuses, c’est une équipe de lesbiennes et de personnes trans qui luttent contre la discrimination dans le sport et qui, franchement, te donnent envie de te lever le matin. T’as googlé quand même Bernard Tapie pour piger la vanne mais ça valait le coup, c’est une bonne vanne.
« Tout », c’est se préparer pour aller taper dans le ballon, à Paris. Et pour le plaisir d’y être, et pour le plaisir du nous. C’est prier pour croiser la triade Adèle Haenel, Céline Sciamma et Virginie Despentes, t’avoue tout. C’est boire des coups, jouer à un nouveau jeu qu’on nous a jamais trop vendu comme le nôtre et qui, franchement, est carrément le fun (tu savais que c’était si gai, le foot? Tu savais pas). C’est passer pas mal de temps à faire un truc nouveau et excitant pour arriver jusque là, jusqu’à septembre si ça a lieu, jusqu’à faire groupe de toute façon.
«Tout», c’est envoyer des messages frénétiques aux meufs queer que tu connais, leur dire tu joues au foot nan ben c’est pas grave, viens quand même. On va bien rigoler. «Tout» c’est se retrouver dans un bar place Jourdan avec trois personnes un jour où ça drache sec, trois personnes dont l’une semble être dans une gueule de bois à t’achever un cheval tandis que les deux autres commandent chouffe sur chouffe en cherchant des jeux de mots pour le nom de l’équipe. Tu te souviens de «Jupigouine, les lesbiennes savent pourquoi». «Tout», c’est le soir même, s’inscrire à un tournoi de foot à Kraainem pour lequel on a pas encore suffisamment de joueuses en réfléchissant à créer des faux noms parce que la deadline c’est demain, et que faut récolter 10 x 50 euros et 10 x une personne motivée pour se pointer les mardis soirs à Kraainem justement, plus loin que le Media Markt mais sous le soleil et le vent.
Voilà, «tout», c’est en six jours, motiver onze personnes sexisées à se retrouver deux à trois fois par semaine au parc du Cinquantenaire pour s’entraîner, en vue du tournoi bruxellois qui a lieu dans un mois. «Tout», c’est nous qui l’avons fait.
Tu sais comment ça fait du bien?
C’est fou, comment ça fait du bien. Ça te donne envie de chialer, comment ça fait du bien.
En six semaines, t’as vu des dizaines de meufs se retrouver, s’autorganiser, s’autoentrainer, s’autoencourager, s’autoaimer, s’autofuckingaméliorer. Elles ont créé leurs habitudes, leurs exercices d’échauffement fétiche, leurs passes à travailler, leur confiance à brandir. Elles ont trouvé leur place sur le terrain elles ont dit leur place sur le terrain elles ont pris leur place sur le terrain. Elles sont incroyables. Tu les as vues se concentrer pour apprendre à contrôler la balle, à aller vers l’adversaire même s’il est grand, rapide et chiant, purée ils sont chiants, tu les as vues applaudir et s’applaudir, tomber, courir vite, tu les as vues courir si vite, tu les as vues choper le ballon avec une joie venue de la gorge et du bide et des ami·es sur le bord du terrain.
Elles débarquent et elles sortent le pique-nique, elles sortent les blagues misandres et elles écoutent comment ça va aujourd’hui, comment tu te sens, et est-ce que tu veux une galette de maïs ou une bière. Elles se mettent en cercle et elles se disent. Elles se disent où elles veulent jouer. Elles se disent comment elles se sont senties jouer. Elles se félicitent. Elles remarquent les victoires; les victoires c’est toucher le ballon, c’est crier un nom, c’est faire une percée, c’est réussir sa passe. Les victoires c’est avoir pris du plaisir et avoir essayé un truc pour voir, tiens je ferais bien gardienne, tiens vas-y tire quand tu peux c’est rigolo de tirer. C’est marquer aussi parfois ou faire un bel arrêt, ben ouais. Elles se mettent en colère aussi parce que les hommes, déjà, mais les hommes sur le terrain, en plus. Elles sortent le baffle, écoutent le Club ouin ouin et lâchent jamais rien, certainement pas la force du groupe et ce qu’elles accomplissent, ensemble.
Parce qu’elles sont devenues mur en défense et fusée en attaque ouais, ouais, et peu importe si l’équipe adverse passe les murs et dépasse les fusées, elles sont murs et fusées et on leur enlèvera jamais ça. Certainement pas. Elles ont progressé, purée, t’as jamais vu ça. Fulgurant. Elles sont la force et le magma nés d’une prise de décision absurde, collective et amatrice, au plus beau sens de ce beau terme. Amatrices. Elles sont pleines d’amour les Mouillettes. Pour le jeu, pour le temps passé à se donner le temps, pour le corps qui se contracte et qui ose, pour les autres autour d’elles qui les voient et qui savent la joie. Elles sont pleines d’amour les Mouillettes et purée, t’as l’impression qu’elles te rappellent où c’est que ça fait du bien, de partager les soirs.
Tu sais ce que ça fait de gueuler mouille, mouille, mouille, Mouillettes toustes ensemble?
Ben ouais tu sais.
PS: Depuis lors, les Mouillettes ont gagné la coupe du fair play, qui se trouve actuellement fièrement exposée au Crazy Circle. Elles repartiront pour de nouvelles aventures dès ce mois de mai et vont, qui sait? Peut-être gagner un match à Etterbeek. En tout cas, elles sont toujours super contentes.
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