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La montagne - Cie Les Vrais Majors ©Dephine Mendel

Danse Avec les Foules

En ce moment

Karolina SvobodovaLe festival Danse Avec les Foules dévoile le programme de sa 11ᵉ édition. Il s’agit de l’un des rares festivals de danse en Belgique francophone qui n’est pas porté par un lieu culturel mais bien par une structure, en l’occurrence l’asbl L’espaï. Tu es interprète et créateur dans la danse et le cirque, comment as-tu rejoint cette initiative?

Harold HenningNous sommes trois organisateurs/programmateur·ices. Céline Curvers est à l’origine de ce rendez-vous culturel d’octobre, initié avec Géraldine Harckman en 2011. Cette dernière, ayant poursuivi d’autres projets, Colline Etienne, puis moi-même avons rejoint l’équipe de direction pour former le trio actuel. Tous trois sommes, par ailleurs, très actifs dans le secteur de la danse depuis de nombreuses années, comme créateur, interprète ou pédagogue.

L’association veut promouvoir «des projets artistiques engagés, joyeux et accessibles». Comment le festival participe à ces objectifs?

Il y a donc un véritable défi pour attirer ce public peu habitué à fréquenter les salles obscures institutionnelles.

Un des objectifs majeurs du festival est de donner accès à la culture, et à la danse contemporaine en particulier, au plus grand nombre, sans distinction. À cette fin, tous les spectacles présentés sont gratuits et se déroulent dans l’espace public. Dans cette démarche de sensibilisation, on sélectionne des pièces qui sont préférablement accessibles et qui conviennent à un public transgénérationnel et diversifié, en tentant malgré tout d’éviter de tomber dans le consensuel. De fait, nous ne craignons pas de proposer certaines formes qui, de prime abord, peuvent sembler pointues. Le secteur de la rue Foulons, et de la place Anneessens, dans lequel se déroule le festival est un quartier où cohabitent différentes communautés, majoritairement peu habituées à franchir la porte d’un théâtre. Il y a donc un véritable défi pour attirer ce public peu habitué à fréquenter les salles obscures institutionnelles. Pour y répondre, un travail de communication est à l’œuvre dans le quartier, entres autres par la mise sur pied de projets participatifs ou d’ateliers. Et malgré cela, nous faisons encore trop souvent face à une forme de méfiance, ou de timidité, à s’engager dans un projet participatif, ou même de s’aventurer simplement comme spectateur…

Cette année, vous accueillez le projet Être Chorégraphe de Carolina Mantovano, qui tente d’inverser les rôles généralement à l’œuvre dans les dispositifs participatifs.

Nous avons passé commande à Carolina Mantovano, une danseuse qui développe un projet de film qui place le quidam, interpelé dans la rue, à l’endroit de chorégraphe. Accompagnée d’un musicien et d’un cameraman, elle déambule dans le quartier en demandant aux gens de devenir son chorégraphe. Être Chorégraphe est un projet qui consiste à se mettre en relation avec des inconnus afin de développer ensemble une forme chorégraphique qui révèle sur l’instant, le potentiel artistique insoupçonné de chacun·e. Elle aborde des gens dans la rue en leur suggérant de lui donner un mot, une image, qui leur traverse l’esprit, qui agira comme un déclencheur. Ensuite, elle propose une réponse en mouvement. Sous forme d’allers-retours, le dialogue s’installe. Ça prend le contre-pied des spectacles participatifs, dans lesquels on dit qu’on va apprendre des choses aux gens, dans lesquels on leur demande d’intégrer des groupes… Ici, on propose aux gens d’être chorégraphe. En invitant ce projet, nous souhaitons aussi convoquer le public du quartier à venir voir le film: si Carolina Mantovano arrive à faire improviser quelques jeunes du quartier, c’est en partie gagné, car l’idée, en outre, c’est qu’ils viennent ensuite voir le film avec leurs familles, les copains… qu’ils franchissent la porte de l’espace du Centre Lorca et se fidélisent progressivement comme public du festival.

Subito – Cie Dame de Pic/Karine Pontiès ©Cédric Castus

Qu’en est-il de la programmation des spectacles? Quels sont vos critères de sélection?

Dans l’espace public, l’attention des spectateurs est soumise à rude épreuve.

On veille surtout à l’accessibilité des formes et à la transdisciplinarité. Il y a du cirque, de la danse, des arts plastiques mais aussi parfois du théâtre. L’année passée, il y avait du théâtre de rue, tout public. On privilégie quand même un langage physique et visuel. Les pièces sont généralement courtes aussi. Dans l’espace public, l’attention des spectateurs est soumise à rude épreuve. C’est un véritable challenge pour tout le monde parce qu’on est constamment stimulé par des éléments extérieurs. C’est donc plus ardu si c’est long: ce sont généralement des formats d’environ vingt minutes. Si la proposition demande une écoute plus fine, on les programme dans des lieux un peu plus clos, voire en salle. Cette année, un spectacle de cirque, qui requiert l’obscurité totale et le silence, sera joué dans la salle de spectacle de la Tour à Plomb, un autre solo de danse, dans le gymnase. L’interdisciplinarité, les formats, les espaces choisis contribuent au décloisonnent des approches artistiques et, espérons-le, des publics également. Bien que la danse contemporaine puisse apparaître réservée à un public d’initiés, et ça peut être intimidant, beaucoup de gens entretiennent l’idée qu’il leur manque des clefs de compréhension, or souvent, ils les ont, c’est juste qu’ils n’osent pas les utiliser. Le festival vise à donner cette confiance.

C’est donc aussi un défi pour les artistes qui doivent adapter leurs pièces pour le festival.

Oui, c’est un challenge pour les artistes. Il y a des contraintes techniques. On n’a pas la lumière et l’installation sonore est limitée… C’est chouette pour nous mais aussi pour eux parce que c’est aller à la rencontre d’autres publics que ceux qu’ils rencontrent dans les salles des institutions. D’ailleurs, au fur et à mesure que le festival se développe, d’années en années, on est davantage sollicité par des artistes qui souhaitent avoir l’opportunité d’adapter leurs créations à l’espace public, de créer des versions plus modestes et redécouvrir l’essence de leur langage.

J’observe que la programmation regroupe des artistes déjà reconnus et d’autres qui sont en début de carrière.

Concernant les artistes invités, on s’est chargé, parmi nos objectifs, de faire découvrir le vivier artistique bruxellois, avec une attention un peu plus particulière aux artistes de la Fédération Wallonie-Bruxelles, car le réseau de diffusion en danse est assez limité et encore trop peu développé sur ce territoire. Il faut souligner aussi que nous avons des budgets réduits et qu’il y a donc une contrainte par rapport à la mobilité. Malgré cela, on programme aussi de l’international et du bi-communautaire. On tente d’équilibrer entre des noms plus implantés et des jeunes qui démarrent. On prospecte notamment en assistant à des plateformes de découvertes, des vitrines promotionnelles, des ouvertures studio, des travaux de fin d’études… Il y a aussi, parmi d’autres, la plateforme Grand Studio qui accompagne des jeunes chorégraphes, et qui présente chaque année au Théâtre 140 une sélection d’artistes de la nouvelle génération.

Le festival n’est pas organisé autour d’une thématique annuelle. Quels sont les liens que vous tissez entre les spectacles au sein d’une programmation?

Il n’y a en effet pas une thématique mais on cherche du lien entre les pièces programmées pour que les spectateurs puissent tisser un fil et que le sens se renforce tout au long du festival. Une thématique ça peut enfermer les manières de percevoir le festival et les pièces, pour l’instant, on aime laisser ouvert. Notre credo serait avant tout «bienvenue à tous·tes» !
Afin que tout le monde puisse tout voir, on imagine un parcours, en y insufflant une articulation, une sorte de dramaturgie de la programmation. Il n’y a jamais deux spectacles en même temps et il est important qu’il soit facile de se rendre, à travers le quartier, d’un spectacle à l’autre. On essaye également de lier des lieux et des spectacles, de sortir des salles pour changer le regard sur le quartier en même temps que sur le spectacle. Si on arrive déjà à faire sortir les gens de chez eux pour venir voir, c’est super.

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Danse avec les foules / 7&8 octobre 2023, entrée libre et gratuite, centre Lorca, 47-49 rue des Foulons, 1000 Bruxelles.


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