RECHERCHER SUR LA POINTE :

Série Recto/Verso
La série Recto Verso part à la rencontre de ces artistes qui exercent un double métier, par plaisir, passion, ou tout simplement pour «sur»vivre.
épisode 3/18
3/18
Rokia Bamba ©Dikave studio.

Rokia Bamba

Grand Angle

épisode 3/18

Professions: DJ/Artiviste sonore/animatrice radio/Professeure de français langue étrangère/maman de deux ados, Abel et Léa.

En cours ou créations récentes: animatrice de l’émission «L’agenda culturel» sur Radio Campus, les mardis à 17h. Ambiance sonore de l’Expo «Resist ! The Art of Resistance» à Cologne, au Rautenstrauch-Joest Museum. Soirée DJs toutes les semaines dans divers lieux. Participation à «L-Slam» dans le cadre d’Afropolitaine. Joue dans Buddy Body, d’Elsa Poisot, Théâtre National. Participe à Ça va, ça va le monde, Festival d’Avignon 2021, une production RFI/(e)Utopia/Festival d’Avignon…

Par quoi et comment avez-vous commencé?

Par la radio. Le décès de mon père m’a fait prendre une direction inattendue. À 14 ans, j’ai commencé à animer «Sous l’arbre à palabres», l’une des premières émissions consacrées à la diaspora et aux expatriés à Radio Campus, initiée par Monique Mbeka Phoba. J’ai appris de mes pères et de mes mères, comme également Sylvie Nawasadio de Zap Mama. Beaucoup de personnalités africaines sont passées par la phase radio libre, c’était une excellente formation parce qu’il fallait être autonome et polyvalent, être bon en animation et savoir se débrouiller sur le plan technique. Le medium radio est d’ailleurs très répandu en Afrique.
Après mes études secondaires, j’ai fait deux ans de journalisme à l’ULB, et ensuite j’ai trouvé du boulot à «Bruxelles nous appartient» et à la «Zinneke Parade», qui avaient été créés pendant Bruxelles 2000-Capitale de la Culture. Je travaillais à la création d’une sonothèque qui récoltait des témoignages des habitants de Bruxelles. On a aussi créé Radio Zinneke.
C’est là que j’ai appris à organiser, à animer des ateliers de radio, et que j’ai développé petit à petit une passion pour le son, le bruit, la narration sonore.

C’est devenu vital pour moi aujourd’hui, je ne peux pas vivre sans un casque sur la tête, me balader, me lever, me coucher sans musique.

C’est devenu vital pour moi aujourd’hui, je ne peux pas vivre sans un casque sur la tête, me balader, me lever, me coucher sans musique. On partage cette passion en famille, mes enfants sont dans le même moule, il y a toujours beaucoup de bruit à la maison! Et sur le tard, vers 40 ans, je me suis lancée dans le Dj-ing.

Comment vivez-vous de votre pratique?

Je ne reste pas cantonnée dans un seul domaine. Si je n’étais que DJ, je serais sans doute au chômage. Je suis aussi prof de français langue étrangère, d’initiation à l’histoire et à la citoyenneté pour la mission locale de Molenbeek. C’est ce qui me fait vivre économiquement.

Comment êtes-vous devenue enseignante?

Mon père travaillait pour l’ambassade de Côte d’Ivoire à Bruxelles, ma mère est arrivée du Mali après lui, en 1970. Elle ne savait ni lire ni écrire. Elle me laissait à la crèche pendant qu’elle prenait des cours de français et je l’entendais parler de loin. Ça a dû me marquer.
Juste après «Bruxelles nous appartient» et la «Zinneke», j’ai été au chômage pendant deux semaines environ, et cette offre d’emploi comme prof de français pour la mission locale de Molenbeek est arrivée. Ça fait partie de mon cheminement personnel, et je suis persuadée que ce n’est pas un hasard si cette fonction est arrivée à moi.

Y a-t-il un lien entre vos différentes professions?

Mon bagage d’animatrice radio m’a servi à développer des activités originales pour l’apprentissage du français autrement, liées à mon expérience de la radio et de la prise de son.
De plus, je pense que si on ne sait pas qui est l’individu qu’on a en face de soi, on ne peut pas l’aider à progresser, à déblayer les éléments qui l’empêchent de s’approprier la langue pour pouvoir l’utiliser à bon escient. Il faut un certain esprit d’empathie.

Cette empathie, je l’utilise aussi quand je fais du Dj-ing.

Cette empathie, je l’utilise aussi quand je fais du Dj-ing: je regarde les gens quand je joue, j’essaie de me synchroniser avec eux. Un ami Dj m’a dit que j’avais un «mojo», une sorte de pouvoir qui permet aux gens d’oublier qui ils sont et où ils se trouvent.
Au début, je n’arrivais pas à prendre toutes ces bonnes ondes qui émanaient du public, j’étais trop concentrée sur ce que j’étais en train de faire, j’avais trop peur de mal faire. Maintenant, j’arrive à profiter de ces moments, et c’est magique.

Citez un artiste, un livre ou un objet qui vous accompagnent ces derniers temps ?

John Coltrane, A Love Supreme. Un album incroyable que je connais par cœur.
En référence à mon père qui m’a ouvert à la musique, je citerais l’époque du Fania all Stars avec Celia Cruz, Tito Puente; et la musique cubaine assez funk des années 1970 comme Orquesta Aragon, Héctor Lavoe. Ce sont des chansons qui me ramènent à mon enfance et à l’époque où j’étais vraiment bien.
Comme livre, je citerais Décolonisons les arts, écrit par un collectif sous la direction de Leïla Cukierman, Gerty Dambury et Françoise Vergès (L’Arche éditions). Les artistes contributeur·ices parlent de leur profession et de la manière avec laquelle ils·elles tentent de décoloniser la cité. Ça donne différents horizons. J’admire leur manière de dire les choses. C’est un devoir de mémoire qu’on a pour ceux qui suivent.

Rokia Bamba ©Dikave studio.

En savoir plus sur Rokia Bamba.

Les portraits ont été réalisés par Lukas et Pierre (Dikave studio), étudiants à l’école de photo Le 75.


Dans la même série

Vous aimerez aussi