RECHERCHER SUR LA POINTE :

©Debby Termonia

Marionnettes et manipulations

En chantier

Tu es comédien de formation, comment s’est faite la rencontre avec la marionnette?

Avec la compagnie Point Zero, on a toujours été dans une recherche plastique. On travaillait avec Natacha Belova comme costumière et on faisait des essais sur des costumes qui allaient vers le masque: c’était des costumes en latex qui déformaient le corps et c’est tout naturellement qu’on allait un peu vers tout ce qui est mannequin, masque… J’avais déjà utilisé pas mal de masques et j’avais envie de travailler sur le thème de l’identité. Je cherchais un auteur. Comme j’avais déjà monté un texte d’Alejandro Jodorowsky (Opéra Panique en 2004) et qu’on s’était vraiment bien entendu, je me suis dit: pourquoi ne pas lui proposer.
Il y avait à l’époque une pièce, un embryon de pièce, dix pages… C’était quelques scènes jetées comme ça sur le papier, à l’époque elles étaient encore en espagnol. Et ça m’a plu, ça s’appelait L’école des ventriloques. On a foncé dans l’aventure. C’est une pièce qui se passait dans une école de ventriloques, de marionnettes… Il nous a donc poussé dans la marionnette, on a été obligés de s’y mettre et heureusement… c’est le début d’une très belle et très longue aventure! Depuis lors, elles ne m’ont plus quitté, quand j’essaye de m’en débarrasser, elles reviennent toujours par un autre côté, tu fermes la porte et elles rentrent par les fenêtres…
Ça, c’est le chemin. On reste une compagnie de théâtre qui utilise des marionnettes et c’est vraiment cette relation entre l’acteur et les marionnettes qui nous intéresse.

Comment se déroule le processus de création, comment se tissent les relations entre acteurs, textes et marionnettes?

On travaille par laboratoires. On a la chance d’avoir un lieu qui appartient à la compagnie, ça permet d’avoir pas mal de laboratoires de recherche et on essaie de trouver pourquoi elles seraient pertinentes ou pas, on essaie de voir ce que dramaturgiquement la marionnette peut apporter. Pour L’herbe de l’oubli par exemple, on savait qu’on voulait de la marionnette, on savait qu’on voulait travailler sur Tchernobyl, on a été faire les interviews… Mais on trouvait que ça n’allait pas de faire dire les textes par les marionnettes, c’était presque insultant par rapport aux personnes qui témoignent, d’autant que les marionnettes étaient assez chargées esthétiquement, elles sont assez lourdes, elles n’inspirent pas la joie de vivre. On s’est dit que les marionnettes pouvaient être comme une matérialisation des radiations elles-mêmes; c’est notre interprétation. Le propre de la radiation est inodore, impalpable et pourtant elle est présente et donc on est parfois dans des paysages merveilleux, on est bien accueillis, il y a des tables magnifiques et pourtant les radiations sont là… et les marionnettes permettaient de faire exister ça sur le plateau.
On n’hésite pas à jeter les marionnettes si ça ne fonctionne pas, si on n’en trouve pas la pertinence, on essaye qu’elles ne soient pas gratuites, esthétisantes, c’est une recherche, il n’y a rien de gagné.

Le Songe d’une nuit d’été ©Debby Termonia

Quand et comment se déroule la conception de la marionnette au sein du processus de création?

En général, on décide avant. Il y a un aspect recherche de la marionnette qui nous intéresse, les possibilités sont tellement grandes, tellement larges, ça se décide toujours en amont. Là, par exemple, je vais monter Le songe d’une nuit d’été avec plein de marionnettes, une vingtaine, pour le Théâtre de Poche. On a fait une fiche d’identité pour chaque marionnette et on va avoir toutes les marionnettes avant de commencer.
Le travail d’invention et de conception dépend donc de chaque spectacle mais aussi des gens avec lesquels on va travailler. Avec Natacha Belova, on avait un contact très régulier et très nourri sur le plan de la recherche, de la dramaturgie, on se voyait sans arrêt. Sur les deux derniers spectacles, avec Ségolène Denis qui ne vient pas du théâtre, on s’est moins vu, on travaillait davantage sur le plateau. Et là, avec le nouveau spectacle, on collabore avec Loïc Nebreda. C’est à nouveau quelqu’un qui vient du théâtre, il y a beaucoup de discussions et on cible beaucoup plus en amont. On a fait une banque de données des marionnettes. Sur cette base, Loïc Nebreda va faire des dessins et, si on est d’accord, il va faire les moules, en accord aussi évidemment avec la costumière. On va ensuite commencer les répétitions avec les marionnettes; il y a toujours des allers-retours, des adaptations, c’est obligé étant donné que la somme de marionnettes est tellement énorme…

C’est la première fois que tu adaptes un grand classique?

J’avais fait un autre Shakespeare, c’était La Tempête. Je me suis un peu planté, je crois que j’ai été trop poli avec Shakespeare… J’avais eu la chance de rencontrer André Marcovicz qui est traducteur de Shakespeare et de Dostoïevski principalement et qui est d’une richesse incroyable. Il est venu travailler avec nous pendant une semaine et il nous a tellement donné l’amour de Shakespeare en nous montrant que chaque virgule, chaque mot était tellement réfléchi, tellement beau, que je n’ai pas osé trahir Shakespeare… Je pense finalement que ça ne convenait pas à la marionnette. La marionnette s’épuise rapidement sur les longs monologues, ça ne marche pas toujours. Ça marche vraiment bien dans l’action mais sur de longs monologues ce n’est pas gagné. Il y avait de belles choses mais le spectacle n’a pas été là où il aurait pu aller…. Pour Le Songe, c’est moi qui me charge de l’adaptation de Shakespeare et je me permettrai de faire sans arrêt des allers-retours avec les acteurs et le plateau, on amènera beaucoup de nous là-dedans.

Pourquoi monter ce texte-ci en particulier?

C’est un texte que je travaille beaucoup à l’IAD (L’Institut des arts de diffusion) avec les étudiant·es. Il est assez jouissif, il y a tout l’aspect féérique pour lequel on peut imaginer aisément des choses pour les marionnettes… Mais ce n’est pas finalement tellement ça qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse c’est plutôt sur le traitement des amoureux: la marionnette me permettrait de raconter en même temps l’histoire des manipulateurs et des marionnettes, on pourrait inverser les genres, se dire par exemple qu’il y a un homme qui manipule un personnage féminin et, de l’autre côté, c’est la même chose… On peut alors parler d’homosexualité, de pansexualité, et tout cela sans dire un seul mot! La marionnette m’intéresse dramaturgiquement à cet endroit-là: elle offre le moyen, tout en restant ludique et en amenant beaucoup de fantaisie, de parler d’aujourd’hui, de la libération autour des genres et ce de manière festive.

Le Songe d’une nuit d’été ©Debby Termonia

Vous aimerez aussi

À gauche, Daniel Blanga-Gubbay et Dries Douibi, codirecteurs artistiques du Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, et, à droite, Jessie Mill et Martine Dennewald, nouvelles codirectrices artistiques du Festival TransAmériques (FTA) à Montréal | © Bea Borgers et Hamza Abouelouafaa

Diriger un festival: à deux, c’est mieux

Grand Angle