Retour aux planches
Grand Angle14 août 2022 | Lecture 1 min.
Michaël Delaunoy est metteur en scène. Pendant treize ans, il a dirigé le Rideau de Bruxelles, direction qu’il a quittée en octobre 2020 afin de se consacrer à son activité artistique. Alyssa Tzavaras l’a rencontré avant ce départ, pour discuter du défi qui consiste à gérer conjointement pratiques de création et de gestion d’un lieu.
Alyssa TzavarasEst-ce que pour vous, diriger un lieu et mettre en scène, c’est la même chose?
Michaël DelaunoyNon. Ce sont deux activités différentes. J’ai l’habitude de dire que la mise en scène, c’est un métier, pour moi en tout cas, et que la direction, c’est une fonction. Je peux difficilement imaginer ma vie sans la mise en scène, c’est une activité artistique donc c’est quelque chose de très intime. Par contre, je peux envisager ma vie sans la direction et heureusement parce que je vais quitter la direction du Rideau. Mais il est vrai que pendant longtemps, on a cru qu’un metteur en scène ou une metteuse en scène pouvait devenir directeur·ice, que c’était un peu, finalement, les mêmes compétences. Je précise «metteur en scène» ou «metteuse en scène» parce que c’est le plus souvent cette catégorie d’artistes qui accèdent à la direction, on pourrait aussi parler d’un acteur, d’une actrice, ou d’un auteur, d’une autrice. Pendant longtemps, on a considéré qu’à partir du moment où un metteur en scène avait de l’énergie, du charisme, une force de conviction, il lui serait facile de diriger un lieu. Mais diriger un lieu est devenu de plus en plus complexe, notamment en ce qui concerne la gestion administrative et financière, les modes de production, les principes de co-productions, le tax shelter…
Ce sont vraiment des compétences de gestion, des compétences de management: Comment anime-t-on une équipe, comment établit-on un organigramme, comment fait-on fonctionner le théâtre? Je pense qu’être metteur en scène peut servir pour cette fonction, mais ce n’est pas suffisant.
On n’est pas formés pour ça, et je trouve que c’est une question qu’on devrait se poser aujourd’hui, sans quoi il y aura de moins en moins d’artistes qui vont se présenter à la direction des théâtres, ce qui serait quand même dommage, à mon sens.
Vous pensez donc qu’il est préférable que ce soient des artistes plutôt que des administrateurs qui dirigent les théâtres?
Non, je ne crois pas que ça doive nécessairement être des artistes, je pense qu’il y a des directeur·ices qui ne sont pas artistes et qui sont excellent·es dans cette fonction et qu’il y a des artistes qui sont des mauvais directeurs ou des mauvaises directrices. Mais je pense qu’il est important que dans un certain nombre de lieux, des artistes continuent à prendre cette responsabilité-là. Parce que sinon on va vers une profession à deux vitesses, avec d’un côté des lieux avec une équipe permanente, des gens qui travaillent en CDI, et de l’autre côté des compagnies qui sont extrêmement précarisées, parce qu’elles sont sous-financées, que les gens ne sont pas engagés pour tout le travail qu’ils font, qu’ils ne sont pas rémunérés correctement. Cette dichotomie peut être dommageable à la profession dans son ensemble.
Est-ce que vous estimez qu’il faut être un·e bon·ne politicien·ne pour être un·e bon·ne directeur·ice de théâtre?
Pas nécessairement mais il faut un certain sens politique, c’est-à-dire qu’il faut un sens stratégique. Quand on négocie un contrat-programme avec les pouvoirs publics, quand on va chercher des moyens, quand on va devant la presse pour défendre un projet, il y a quelque chose du politique au sens noble du terme, parce que le théâtre est toujours politique. Le théâtre c’est un espace où on rassemble des gens autour d’une parole, d’une proposition artistique ou autour d’une thématique. Pour moi, le terme de stratégie n’est absolument pas péjoratif, au contraire.
Comment est-ce que vous, vous arrivez à jongler entre vos créations et la direction d’un théâtre? Est-ce que vous trouvez que vos créations ont souffert de la charge de la fonction de direction?
Pour être tout à fait honnête, je dirais que depuis que je suis directeur, il me manque parfois des espaces suffisants de rêverie dans mon travail artistique. Pour nourrir son travail artistique, il est très important de faire le vide et de se laisser traverser par différentes choses. Or, le métier de directeur de théâtre fait qu’on est tout le temps en action. Je pense qu’il y a des moments pour l’action, et d’autres pour la réflexion, voire pour la méditation, et c’est très complexe d’articuler les deux à un poste de direction. C’est quelque chose qui m’a manqué, j’ai hâte de le retrouver en quittant la direction du théâtre, même si je sais que les choses vont être plus difficiles sur d’autres plans…
Combien de créations avez-vous fait en tant que directeur du théâtre Le Rideau?
Dans mon contrat, je pouvais faire jusqu’à six créations en cinq ans. Mais j’en ai fait en moyenne trois sur cinq ans. J’aurais voulu en faire davantage mais la direction prend tellement de temps que je ne pouvais pas faire une création par saison. J’ai aussi souvent repris des spectacles. C’est devenu difficile alors qu’avant, un metteur en scène directeur de théâtre faisait souvent une création par saison.
Vous ne le regrettez pas?
Je ne le regrette pas dans la mesure où je sais que ce n’était pas possible et que si j’avais fait ça je l’aurais mal fait, donc voilà.
Qu’est-ce que vous conseilleriez à des jeunes metteurs en scène qui sortent d’une école de théâtre, pour essayer de survivre aux tournures que prennent les institutions, les demandes de subventions? Est-ce que ouvrir un nouveau lieu à Bruxelles vous semble être une bonne solution? En tant que jeunes artistes, nous sommes inquiet·es face au monde dans lequel nous allons travailler, tout semble moins facile qu’à votre époque… Que faire? Comment faire du théâtre aujourd’hui? Quand on n’a pas de lieu au départ, pas de subventions…
Ce sont des grandes questions! C’est effectivement beaucoup plus difficile aujourd’hui. Mais quand j’ai commencé, nos ainés nous disaient que c’était beaucoup plus facile avant, donc voilà, c’est de pire en pire visiblement! Par exemple, quand l’Atelier 210 a ouvert, on leur a dit: «Vous êtes fous!».
Il y a le ZUT qui s’est ouvert aussi à un moment donné, qui n’a par contre pas réussi à avoir un relai en termes de subvention tandis que le 210 y est parvenu. Donc je ne peux pas décourager des jeunes à ouvrir un nouveau lieu, à partir du moment où les lieux existants n’ouvrent pas toujours suffisamment leurs portes. Si on a envie de créer, si on ne trouve pas d’espace, on crée son propre espace et d’une certaine façon le théâtre l’a toujours fait, le théâtre peut se faire partout.
Le conseil que je peux vous donner, c’est de vous fédérer afin d’essayer d’exercer une pression, de travailler à ouvrir les institutions et à augmenter les aides, etc. Je pense que c’est très important de toujours se mettre à plusieurs. Je crois très fort au travail des fédérations, c’est l’histoire des luttes sociales. Que des jeunes qui sortent des écoles s’emparent de ces questions, ça me semble important.
Se fédérer me paraît peut-être plus important que de se dire «on se crée un lieu». Mais s’il y a une opportunité, s’il y a une impulsion, un espace… Un mécène qui dit: «je vous donne un lieu»! Le vieux fantasme… En tout cas il ne faut pas désespérer même si on ne va pas se mentir, la situation n’est pas simple.
En lien avec cet entretien, soulignons la parution récente de:
Le Rideau de Bruxelles – Itinéraires (2007-2020), ouvrage collectif. Rédacteurs en chef: Régis Duqué et Cédric Juliens. Édition Alternatives théâtrales, juin 2021.160 pages.
Le bruissement des corps et le silence des pierres. Sur le théâtre et autres futilités nécessaires (1991-2021). Michaël Delaunoy. Lansman éditeur, collection «Regards singuliers», juin 2021. 236 pages.
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