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Antoine Sahler (piano) et François Morel dans «J'ai des doutes». ©Manuelle Toussaint Paris.

Morel, c’est quelqu’un!

Grand Angle

Il est aussi chroniqueur sur France Inter et à l’affiche de La Grande Magie, un film de Noémie Lvovsky présenté récemment au Festival de Deauville, avec Denis Podalydès, Sergi López, Judith Chemla et Noémie Lvovsky.

Il a eu la gentillesse de répondre à nos questions en marge des représentations de J’ai des doutes, une adaptation personnelle très réussie de textes de Raymond Devos, qu’il a joué plusieurs soirs de suite en décembre dernier au Centre culturel d’Ottignies.

Laurence Van GoethemAvez-vous un lien personnel avec la Belgique?

François MorelJ’aime bien venir y jouer, il y a un esprit que j’adore; tous les humoristes belges ont été récupérés par les Français, d’ailleurs! Il y a un goût ici pour les grands chanteurs, qui ont souvent commencé en Belgique. Ça me fait penser à un livre de Georges Moustaki, Petite Rue des bouchers, un polar qui se passe dans le milieu des cabarets dans les années 1950 à Bruxelles.
J’ai aussi un très bon rapport avec Alain Leempoel qui m’a fait venir plusieurs fois. Et puis il y a des artistes, comme Yolande Moreau évidemment, ou Maurane, pour qui nous avons écrit des chansons avec Antoine [Sahler].

Petite rue des bouchers de Georges Moustaki, De Fallois eds, février 2001.

À Ottignies, vous avez fêté la 300ᵉ représentation de J’ai des doutes. Vous êtes depuis plus de dix ans chaque vendredi sur France Inter pour présenter une chronique. Vous n’arrêtez jamais: livres, voix off, cinéma, lecture-spectacle… Comment trouvez-vous encore l’inspiration?

Eh bien comme le dit le titre du spectacle, je pense que j’ai encore des doutes, en tout cas des inquiétudes. Je ne sais jamais très bien ce que je vais raconter de semaine en semaine, ce qui me procure beaucoup de plaisir lorsque l’idée me vient à l’esprit. C’est un métier que je ne maitrise pas encore si bien que ça malgré le temps passé et l’âge! Même si je tourne toujours un peu autour des mêmes obsessions – je ne peux pas me changer moi-même – je cherche à me renouveler à chaque chronique, et là, il y a toujours un doute…
Pour le spectacle autour des textes de Devos[1][1] Né en 1922 à Mouscron (Belgique), Raymond Devos fut l’un des comédiens et humoristes les plus marquants du siècle. Il est mort en France en 2006., il y a le plaisir d’être sur scène, j’aime beaucoup ça, surtout quand il y a de la place pour l’improvisation. Et si j’aime le spectacle, comme c’est le cas ici, je ne m’en lasse jamais.

Vous aimez douter. Mais aimez-vous aussi, comme dans la chanson d’Anne Sylvestre, les gens qui doutent?

Oui, je crois que je ne peux m’entendre qu’avec des gens qui doutent. Je me méfie des gens trop sûrs d’eux, qui ont une carapace de certitudes. Ça m’ennuie aussi.

C’est pour cette raison que vous avez créé J’ai des doutes, le spectacle?

J’avais fait une chronique sur Raymond Devos il y a une vingtaine d’années, je l’avais vu sur scène plusieurs fois, je l’admirais beaucoup. Mais le spectacle est venu d’une demande de Jeanine Roze, productrice. Elle organise le dimanche matin au théâtre des Champs-Elysées une programmation musicale avec des petites formations, des quatuors, parfois des solistes qui proposent des récitals. Elle a beaucoup travaillé dans des cabarets, a notamment été secrétaire de Barbara, et elle a très bien connu Raymond Devos. Au moment des dix ans de sa mort elle a eu envie de lui rendre hommage et m’a proposé de faire une lecture-spectacle. Antoine (Sahler) était déjà de la partie, nous travaillions ensemble. Et nous nous sommes rendu compte que l’humour «devosien» était encore très efficace, le public a beaucoup ri. J’ai trouvé cela dommage de s’arrêter là, j’ai donc décidé de retravailler la mise en scène, je voulais qu’il y ait des images, que ce soit beau à regarder aussi, qu’il y ait une dimension féerique comme dans les spectacles de Devos. C’est comme cela que l’idée de la marionnette est apparue.

Dans ce spectacle, la musique a une place prépondérante. Vous êtes sur scène avec un complice au piano: Antoine Sahler ou Romain Lemire. En quoi cela était-il important?

Oui, je trouvais que c’était indispensable, Raymond Devos lui-même avait toujours un pianiste sur scène. Et certains textes de Devos sont tellement connus qu’il m’a semblé intéressant de les déplacer un tout petit peu, d’en faire des refrains, par exemple.
Ce jeu à deux m’intéresse beaucoup. Avoir quelqu’un pour vous renvoyer la balle, c’est merveilleux! Je n’aime pas être seul sur scène et puis c’est aussi plus sympa d’être accompagné en tournée. Ma vie de comédien se confond avec ma vie tout court, je suis souvent au théâtre, j’ai besoin d’être entouré par des gens que j’apprécie du point de vue artistique et du point de vue humain.

J’ai des doutes de et avec Francois Morel. Théâtre de La Coursive à La Rochelle. ©Manuelle Toussaint.

Quelles qualités ou quels outils faut-il mettre en œuvre pour réussir à transmettre l’humour d’une autre personne?

Il faut tenter de se le réapproprier. Je n’ai pas regardé les spectacles de Devos en préparant le spectacle. J’ai travaillé sur ses textes mais je ne voulais pas faire pareil que lui. Je me suis demandé comment, moi, je pouvais utiliser ce matériau-là comme s’il était nouveau.

Brassens [2][2] «Brassens dans le texte», album hommage réalisé par Antoine Sahler, avec François Morel et Yolande Moreau, Devos, vous osez ressusciter des grandes figures qui savaient mieux que personne manier la langue et jouer avec les mots. C’est ce qui vous attire chez eux?

C’est vrai qu’ils partageaient une certaine exigence et une certaine authenticité. Et ils donnaient au public, pour lequel ils avaient un grand respect, une version théâtralisée d’eux-mêmes. Ils étaient d’ailleurs très amis: il y a cette photo où l’on voit Devos apporter un violon à Brassens sur son lit d’hôpital [où il était soigné pour des coliques néphrétiques]. Pierre Richard m’avait dit un jour qu’il était allé voir Devos en compagnie de Brassens, et que Devos leur avait refait une heure de spectacle dans sa loge de Bobino après la représentation! D’autre part, Devos reprenait souvent du Brassens sur scène, Les copains d’abord, ou La Marine, le poème de Paul Fort mis en musique par Brassens…
Le premier texte que je dis dans le spectacle est un peu inspiré de conversations qu’ils avaient eues ensemble: ils discutaient beaucoup de la foi, de Dieu, et ils trouvaient que Dieu était trop rancunier parce que quand même, en vouloir aux hommes à cause de la pomme, d’accord, mais pour une éternité, c’est trop! Ils partageaient tous les deux un humour un peu absurde sur les grands mythes qui nous animent encore.

Avez-vous pris des libertés avec les textes de Brassens et de Devos?

Pas beaucoup, mais davantage avec ceux de Devos qu’avec ceux de Brassens. Il ne faut pas faire de Devos le commandant Cousteau de l’humour, parce que c’est aussi du music-hall et que ça se réinvente tous les soirs. Ça doit réagir par rapport à la salle. Je ne voulais pas que ce soit de l’humour intelligent, ça m’ennuie l’humour intelligent. Il y a aussi un truc de gosse et de clown chez Devos, qu’il ne faut pas perdre.
Pour Brassens, je me suis limité à rapprocher parfois des couplets, notamment dans Les quatre Bacheliers; et dans Fernande, je dis «Yolande», puisque je la chante avec Yolande Moreau.

Avez-vous peur de l’oubli?

Peut-être, oui, comme tout le monde. C’est vrai que j’aime remettre en lumière des gens qui sont un peu injustement oubliés…

Pour aller plus loin:

Mon chien, c’est quelqu’un, un sketch de Raymond Devos à réentendre ici (Théâtre du Vaudeville, Bruxelles / 1973).

Lire les articles de Marie Anezin paru sur La Pointe: À l’ami, à la vie, la méthode Moreau/Morel.

J’ai des doutes, «à faire cette semaine» autour du rire (décembre 2022).

François Morel a écrit la préface de Matière à rire, l’intégrale de Raymond Devos, réédité récemment chez Plon.

Le Billet de François Morel, à écouter sur le site de France Inter.


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