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©Setheal.

La pratique du cosplay

Grand Angle

Une subculture, ou sous-culture, ce n’est pas un gros mot ni une façon de tirer un trait entre la bonne et la mauvaise culture. Une subculture, «c’est la culture d’un groupe social, qui n’est pas la culture dominante[1][1] D’après la définition du dictionnaire disponible sur LaLangueFrançaise.com». Autrement dit, ce n’est pas une culture connue de tous mais qui est somme toute intéressante à connaître pour mieux comprendre son voisin. Tout comme la culture dominante, les sous-cultures possèdent des codes (des façons d’agir, de se vêtir, de parler) et, parfois, des critères (un certain niveau à atteindre ou des compétences à posséder).

À travers sa sous-culture, chacun·e peut trouver sa place, dans un monde immensément vaste.

À travers sa sous-culture, chacun·e peut trouver sa place, dans un monde immensément vaste. En somme, les individus qui partagent une sous-culture tissent des liens autour d’une passion commune qui peut varier de la simple attirance pour un univers musical (comme celui du Jazz, par exemple), à la pratique d’une discipline (comme celle du Judo). Dans les deux cas, vous êtes, d’une part, friand de musique et, d’autre part, un sportif aguerri. Mais vous êtes aussi membre de deux subcultures distinctes qui comportent une audience plus réduite que celle des amateurs de musique ou de sport, tous styles confondus.

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La fausse blonde, là, c’est moi. On pourrait croire sur cette photo que j’ai une abominable rage de dent mais en réalité, j’exprime plutôt la surprise. Je viens de passer plusieurs heures à prendre des photos avec des inconnus dans le cadre d’un évènement promotionnel, et un membre de l’équipe vient me féliciter avec un cadeau, le plus beau qui soit, celui-ci:

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Oui, c’est une peluche et oui, elle est adorable. Elle symbolise pour moi la cerise sur le gâteau de cette folle journée pendant laquelle j’ai pu promouvoir mon jeu vidéo préféré vêtue du costume d’un des personnages dudit jeu, que j’ai confectionné moi-même: La Rodeuse, une fière combattante elfique qui manie l’arc comme personne. Où est-ce que je me trouve? Dans un cinéma immense, au mois de juin, au beau milieu de Los Angeles, ville qui, à cette période de l’année, accueille l’E3 (ou l’Electronic Entertainment Expo), la plus grande conférence en matière de jeu vidéo, qui a pour but d’annoncer les prochaines sorties et les futurs avancements en matière de techniques vidéo-ludiques. Je suis donc à très exactement 9027km de mon plat pays. Pour y faire quoi? Montrer avec une fierté inouïe (et le sourire qui va avec) les mois de travail nécessaires à la création de mon costume et partager mon amour pour ce personnage et pour ce jeu vidéo avec d’autres fans.

Le cosplay, c’est ma subculture à moi.

En résumé: faire du cosplay, et le cosplay, c’est ma subculture à moi.
Cette pratique americano-nippone, qui tient son nom de la contraction de «costume» et «play» (jouer), s’est vastement répandue à travers le monde depuis les années 1940. Pour tracer un brin d’histoire, les premiers cosplayeurs – ceux qui portent un cosplay – sont aperçus à la World Con de New York[2][2] La première convention (ou salon) de science-fiction, ayant eu lieu du 2 au 4 juillet en 1939, à New York. en 1939: Forrest J. Ackerman (écrivain et scénariste américain spécialisé en science-fiction et en horreur) et son amie Myrtle “Morojo” Douglas (éditrice de fanzine et fan de science-fiction, qui confectionna d’ailleurs leurs deux tenues de voyageurs du temps[3][3] D’après DENNING, Lizzy. 2015. «Reinventing the Deerstalker: Creativity, Performance, and Community in Sherlockian Cosplay» dans The Baker Street Journal.(traduit de l’anglais).) étaient probablement loin de se douter que, des années plus tard, cette passion allait autant se populariser. C’est en 1990 que le cosplay apparaît en Europe, en commençant par la France, l’Italie et l’Allemagne. Il faudra ensuite attendre le début des années 2000 pour qu’il s’épanouisse en Belgique[4][4] D’après NOUHET-ROSEMAN, Joëlle. 2005. «Mangamania et Cosplay» dans Adolescence et NICOLAS (pseud.). Mars 2014. «Dossier cosplay: de la naissance du phénomène à sa popularisation» dans Hitek., sous l’impulsion des dessins animés japonais (appelés «animés») et du marché du manga (bande dessinée japonaise) qui s’étend en dehors des frontières françaises.

L’idée derrière le cosplay est simple: porter un costume, que l’on a fabriqué, acheté, ou commandé auprès d’un autre cosplayeur ou cosplayeuse, qui représente un personnage fictionnel que l’on affectionne et/ou que l’on admire et, enfin, jouer le rôle de ce personnage le temps d’une journée ou d’un week-end, en reprenant ses gestes, ses expressions et même, parfois, sa façon de parler. Le cosplay, d’ailleurs, c’est un mot qui désigne à la fois la pratique mais également le costume en soi.[5][5] On dira alors que le cosplayeur porte un cosplay (ou à la rigueur, un costume) et non pas un déguisement

Les Comic Con, le Salon Made In Asia, La Japan Expo, vous en avez entendu parler? Ce sont tous des salons (ou conventions) pour les passionnés de manga, de séries, de bandes dessinées ou de jeux vidéo. Bref: l’endroit parfait pour que les cosplayeurs et cosplayeuses se regroupent et pratiquent leur art. 

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Parce que, oui, c’est un art. Un art qui mélange le jeu de rôle (aussi appelé «role-play», qui peut se rapprocher de la pratique du comédien), des activités manuelles (couture, peinture, sculpture, coiffure, etc.) et de la photographie (voire de la vidéographie). Mon cosplay de Rodeuse est un bon exemple de ce mélange de techniques avec, notamment, la présence des anges – que j’ai dû sculpter moi-même – sur mon épaule, les motifs que j’ai peints sur le chemisier blanc, et ces armures qu’il a fallu dessiner, fabriquer et mouler pour qu’elles épousent parfaitement la forme de mon bras. Après la fabrication (cependant optionnelle), il faut également savoir porter son costume (parfois peu confortable), poser, jouer, bref, «faire le ou la cosplayeur·euse», à savoir être (plus ou moins) dans la peau de son personnage et profiter de cet instant particulier dans la peau d’un·e autre.

Certaines «figures de proue», comme la cosplayeuse sino-américaine Yaya Han, le duo allemand Kamui Cosplay ou encore la Française Nikita Cosplay.

Le cosplay demande, indubitablement, une multiplicité de techniques et de talents. Au sein de sa communauté, le cosplay compte certaines «figures de proue» comme la cosplayeuse sino-américaine Yaya Han, le duo allemand Kamui Cosplay ou encore la Française Nikita Cosplay, autrice du livre Self-made princess, pour n’en citer que quelques-un·es.

D’un point de vue extérieur, on peut s’interroger sur les raisons qui poussent des adultes (tout comme des jeunes gens et des séniors, d’ailleurs) à porter des costumes et à poser en photo avec des inconnu·es. Des raisons, il y en a des tas et elles varient en fonction des cosplayeurs eux-mêmes. Certains y voient un moyen de se divertir[6][6] Être quelqu’un d’autre pendant 24h, se faire appeler Superman, et courir, le poing levé, une cape dans le dos: avouez quand même que cela peut-être drôlement amusant. ou de sortir de leur quotidien en créant un moment où leur identité (voire même une version «améliorée» de celle-ci) fleurit sous les traits de celle d’un·e autre. D’autres y voient une opportunité de repousser leurs limites (leur timidité, par exemple) ou d’apprendre une nouvelle discipline (la couture, la peinture, etc.) alors que, pour d’autres encore, c’est l’occasion de tisser des liens avec des personnes qui partagent les mêmes intérêts pour une série ou un film. Enfin, certains envisagent même d’en faire un métier à temps plein. Mais ne croyez pas qu’être cosplayeur ou cosplayeuse professionnel·le – si, si, ça existe – soit une carrière facile. En réalité, très peu le deviennent, et, souvent, un autre métier leur permet de survivre tant les opportunités de promouvoir un produit (souvent un jeu vidéo, comme dans mon exemple, ou du matériel informatique) sont rares.

Non, les cosplayeurs ne sont pas de grands enfants qui refusent de grandir.

On est donc bien loin des buts que des individus, souvent mal renseignés, aiment attribuer à «ces personnes bizarres qui portent des costumes» et qui se baladent au mois de mars dans le métro bruxellois: non, les cosplayeurs ne sont pas de grands enfants qui refusent de grandir (même si certain·es, comme moi, aiment les peluches mignonnes) et ne sont pas non plus des individus perdus en pleine quête identitaire; le temps d’un week-end, un·e cosplayeur·euse peut incarner plusieurs personnages, mais, sous son costume, iel reste toujours lui-même. Nous – moi incluse – sommes donc des créateurs et des créatrices, des passionné·es, des fans, toujours prêt·es à parler de notre passion auprès d’individus bienveillants et curieux.

NB: Pour en savoir plus sur l’histoire du cosplay, lire ici.