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Abeti ©DR.

La Rumba au féminin

Grand Angle

Quelles sont les principales chanteuses de la Rumba congolaise?

Il y a 5 noms de femmes incontournables dans la Rumba congolaise:
D’abord, la doyenne, Lucie Eyenga, qui a vécu dans les années 1950 (décédée aujourd’hui). Ensuite, Abeti et Mpongo Love, des années 1970, qui ont souvent été présentées comme de grandes rivales, alors qu’elles s’appréciaient beaucoup; puis Mbilia Bel et Tshala Mwana, qui ont démarré leurs carrières dans les années 1980 et restent actives jusqu’à aujourd’hui, surtout Mbilia Bel.

Ce sont les plus connues, même s’il y en a d’autres bien sûr. Les destins de ces grandes chanteuses sont tout à fait passionnants!

Tshala Mwana ©DR.

Abeti (voir photo de UNE) avait une voix unique, presque une voix d’opéra. Elle ne s’est pas cantonnée à l’Afrique: elle a fait des concerts dans des salles internationales renommées comme l’Olympia, à Paris ou le Carnagie Hall, à New-York. Elle est même allée en Chine. Son style de chant particulier n’a pas été tout de suite apprécié, elle a vraiment dû s’accrocher. C’était une très grande personnalité, une véritable professionnelle.

Mpongo Love a eu un chemin particulier. Elle avait eu la polio dans son enfance, mais s’était parfaitement émancipée de son handicap. Elle incarne la voix de toutes les femmes, dans leurs soucis de couple, leurs activités rémunératrices… Les mamans congolaises l’adoraient. Elle est morte très jeune, à 33 ans, mais elle a produit un nombre de chansons considérable, qui continuent de faire danser aujourd’hui.

Mbilia Bel a été lancée par le chanteur Rochereau/Tabu Ley, mais s’en est ensuite émancipée. Elle a une voix vraiment magnifique, qui n’a rien perdu de sa beauté aujourd’hui. On l’appelait la Cléopâtre parce qu’elle était incroyablement belle. Elle chante encore et est adulée en Amérique latine, à Cuba et en Colombie, particulièrement.

Mbilia Bel© DR.

Tshala Mwana est renommée pour être la reine du mutuashi, une danse qu’elle a développée dans toute l’Afrique et qui est un rythme du Kasaï, son terroir d’origine. Pour la danser, il faut des reins souples comme un roseau; certaines exhibitions de Tshala Muana font partie de la légende. Elle a d’ailleurs commencé sa carrière comme danseuse chez Mpongo Love.

M’pongo Love ©DR.

La femme a-t-elle toujours été présente dans la Rumba?

La rumba a été dès sa conception imprégnée par les femmes. Certaines chansons ont une particularité depuis toujours, c’est que les hommes se mettent à la place des femmes et qu’ils chantent comme s’ils étaient des femmes. Dans cette rumba où il y a assez peu de chanteuses comparativement aux hommes, il y a toujours eu des chansons à tendance féministe. C’est une contradiction étrange.
En effet, quand la rumba, en tant que genre urbain, a été créée, dans les années 1940-50 à Léopoldville (aujourd’hui Kinshasa), il y avait quelques femmes «libres», qui sortaient du carcan traditionnel de la femme soumise, vivaient en ville et ne dépendaient que d’elles-mêmes, étant souvent maîtresses d’hommes blancs, ce qui leur permettait d’accéder au luxe et au statut de propriétaires et de commerçantes. Mais elles faisaient l’objet de l’opprobre social, comme d’ailleurs la génération montante des musiciens. Musiciens et femmes libres ont donc partagé le même sort. C’est pourquoi les musiciens ont dédié à ces femmes de nombreuses chansons, se mettant en scène comme des amoureux transis, torturés, dépassés par un type nouveau de féminité qui les impressionnait et dont ils n’avaient pas l’habitude; toutes ces chansons d’amour évoquent cette prise de pouvoir soudaine des femmes dans cette ville. Cela a laissé des traces dans la rumba, même si cette situation n’est plus la même aujourd’hui.

C’est quoi la Rumba d’aujourd’hui?

Avec la fin des années Mobutu, la bourgeoisie, qui soutenait toute cette effervescence musicale, a été laminée. Aujourd’hui, ce qu’on appelle la musique «chrétienne» est devenue prédominante. De nombreux musiciens de la rumba d’antan se convertissent d’ailleurs en pasteurs pour continuer à vivre de leur art. Toutes les grandes chanteuses qui émergent actuellement sont des chanteuses chrétiennes. Le côté rebelle qui était encore accepté auparavant n’est plus possible aujourd’hui. Ou alors seulement dans le cadre de chansons liées aux genres du rap et du hip-hop, qui se développent aussi pour les femmes au Congo.
Si le genre de la chanson chrétienne accueille les chanteuses plus classiques – étant le seul endroit un peu sécurisant pour une chanteuse – c’est au détriment de tout le foisonnement musical, la diversité des instruments, des rythmes, qui était la marque de fabrique de la rumba.

Queen Makoma ©DR.

Comment se déroulera ta conférence/performance?

Au départ, je voulais juste des chanteuses sur scène, mais on m’a fait remarquer que sans les instruments, ce n’était pas possible de faire de la rumba! Il y aura finalement des guitares, des percussions… et 3 chanteuses: Mama Wiva, Queen Makoma, et Sylvie Nawasadio. Queen Makoma, c’est la vedette! Elle vient d’une famille de musiciens un peu comme celle de Michael Jackson, tous les frères et sœurs chantaient et dansaient ensemble dans un genre de hiphop chrétien qui a eu beaucoup de succès, surtout aux Pays-Bas. Le groupe s’est dispersé et elle a continué et elle s’est maintenant installée en Belgique.

Sylvie Nawasadio ©DR

Sylvie Nawasadio vient du gospel et du jazz et elle a appartenu à un groupe de rumba dans les années 2000. Elle fait du coaching de voix: elle a un parcours très éclectique. Elle va participer prochainement à un opéra sur l’esclavage, dans le festival NA !FRICA, initié par son frère Ange Nawasadio, en juin, à Namur.

Mama Wiva a longtemps chanté dans les bars de Bruxelles. Elle a un peu le style de Cesaria Evora. À 56 ans, elle a repris des études de solfège au Conservatoire et elle sera diplômée cette année: c’est une guerrière et une femme très respectée dans le milieu de la rumba en Belgique.

Nos deux autres chanteuses guest interpréteront chacune une chanson:

Jessy Kabongo chante dans les bars et veut s’initier au répertoire de la rumba qu’elle connait assez mal, étant enfant de la diaspora congolaise. Notre masterclass nous donne l’occasion de lui faire faire ses premiers pas dans ce genre nouveau pour elle.

Noëlla Ndaya a plus de bouteille. Elle a absolument tenu à apporter son soutien à l’activité.

Je parlerai aussi des petites mains, comme les journalistes qui ont vraiment lancé les carrières de ces gens, les productrices, financières, danseuses…

Tu as aussi fait tout un travail de traduction des chansons, qui est totalement inédit. Ça te semblait important?

Oui, c’est très important de comprendre les paroles, qui sont souvent profondes et poétiques! J’ai fait traduire une trentaine de chansons. J’aimerais trouver un éditeur car c’est un «patrimoine/matrimoine» extraordinaire.
Il y a une chanson, par exemple, qui s’appelle «Faux pas», c’est digne d’une série télé! En gros, il y a une dame qui dit à une autre: «Je sais que tu as été envoyée par ma rivale, pour m’espionner et espionner mon mari et lui rapporter ensuite.» Or, cette personne intermédiaire s’est mise à séduire elle aussi le mari! Qui se retrouve donc avec trois femmes qui lui tournent autour. Une histoire de triple trahison à n’en plus finir!

NB: La rumba est inscrite comme patrimoine culturel immatériel de l’humanité de l’Unesco depuis le 14 décembre 2021.

Les Femmes dans la Rumba, photo de répétitions. ©Monique Mbeka.

La masterclass Les femmes dans la rumba congolaise de Monique Mbeka Phoba est à découvrir ce jeudi 26 mai de 14h à 17h à Bozar (gratuit sur réservation).

Distribution

Chant

Mama Wiva

Queen Makoma

Sylvie Nawasadio

Special guest

Jessy Kabongo

Noëlla Ndaya

Basse et contrebasse

Philip Kanza

Direction musicale

Philip Kanza

Guitare

Pinto Costa

Percussions

Cedrick Buya Musa

CHANSON

Nakei Nairobi, une des plus belles chansons de Mbilia Bel évoque une amie chère, une amie d’enfance, qui est tombée dans la déchéance à Nairobi, capitale du Kenya.

Mbilia Bel – Nakei Nairobi

J’ai eu vent du mauvais traitement que tu endures

Viens près de moi, je suis toujours ton inconditionnelle

Nous nous connaissons depuis l’enfance, Dunia

Maman nous a vu devenir comme des sœurs, depuis toutes petites

Apprendre que tu souffres loin de moi, me désole

Je viens te chercher au Kenya pour te ramener à Kinshasa

Y’Elodie iih iiih, ma jumelle 

Que fais-tu de l’honneur de notre famille ?

Y’Elodie iih iiih, ma jumelle

Que fais-tu de l’honneur de notre famille ?

INSTRUMENTAL

Il arrive qu’une amitié d’enfance soit plus forte que les liens de sang

Nous nous connaissons depuis l’enfance et avons parcouru tout le Kenya ensemble

Nairobi iih iih iiih, Mombasa aaah

Nakuru, Kisumu, nous connaissons bien ces villes

Harambe e eeh eeeh, Harambe e eeh

Harambe e, Harambe e, Nyayo

Refrain :

Je m’en vais à Nairobi, pour m’occuper de toi, Duni iih

Je m’en vais à Nairobi

J’en repartirai avec Duni iih

Je m’en vais à Nairobi, pour m’occuper de toi, Duni iih

Je m’en vais à Nairobi

J’en repartirai avec Duni iih


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