Ma déficience visuelle ne devrait pas être un frein
Émois10 avril 2024 | Lecture 1 min.
épisode 1/1
Vincent Leone[1][1] https://www.vincentleone.be vit à Namur avec sa chienne Pim’s. Passionné par les technologies, son travail consiste à permettre à un maximum de personnes de les utiliser pour être aussi indépendantes que possible. Il vit avec une particularité: il ne voit pas très bien. Concrètement, sa vision est de 1/20 de l’œil gauche et rien du tout de l’œil droit. Pendant son temps libre, il aime promener sa chienne Pim’s dans les bois sans smartphone et écouter la nature.
Laurence Van GoethemBonjour Vincent, peux-tu nous dire un mot de ta magnifique chienne qui t’accompagne partout?
Vincent LeonePim’s est mon chien d’assistance, mon chien guide. Elle m’aide quotidiennement dans mes déplacements. Chaque jour, elle m’aide à éviter des obstacles, à retrouver une porte ou un siège dans le train, et bien plus encore. Elle est capable d’exécuter plus de 60 ordres, ce qui en fait une aide précieuse au quotidien. Ce que je préfère chez elle, c’est son petit grain de folie.
Quel est ton rapport à l’art? Aimes-tu aller au cinéma, au théâtre ou visiter des musées?
J’adore aller voir des expositions, des pièces de théâtre, car tout comme l’ordinateur, la culture est le vélo de l’esprit.
Mon premier souvenir de théâtre est un spectacle de Jack Cooper au festival BRUXELLONS. La magie est quelque chose qui m’a toujours fasciné. C’est un univers très visuel, donc pouvoir voir ce spectacle grâce à l’audio-description était tout simplement incroyable. Dernièrement, le film «Les Choses humaines» d’Yvan Attal m’a beaucoup marqué. Il raconte l’histoire d’un homme accusé d’avoir violé une jeune femme. Il met en avant le fait qu’il n’existe pas de vérité unique. À certains moments, on peut être d’accord avec la plaignante, tandis qu’à d’autres, on comprend tout à fait l’accusé. Tout est une question de perspective.
J’ai également été positivement marqué par une expérience de visite à la Cité des Sciences à Paris. Cette expérience était extraordinaire car l’ensemble du site et des expositions est entièrement accessible. Tellement accessible que, pour une fois, c’est moi qui faisais la lecture des explications des œuvres à mes amis grâce aux explications écrites en braille.
Tu es récemment allé voir «Le Misanthrope» au Théâtre Royal du Parc à Bruxelles; pourquoi avoir choisi cette pièce-là?
Parce qu’elle aborde des thèmes qui me sont chers: la sincérité, l’authenticité, dans un monde de plus en plus compétitif. L’information sur cette pièce m’est parvenue via la newsletter d’Audiosenic[2][2] https://www.audioscenic.be, audiodescription de spectacles et films.
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As-tu été surpris par la mise en scène?
C’était une mise en scène contemporaine, l’histoire était transposée dans le monde d’aujourd’hui. Le texte de Molière est riche et assez complexe, ce qui n’a pas empêché les comédiens et les comédiennes de jouer avec une sincérité parfois déconcertante. On en oubliait presque que nous étions au théâtre tellement ils et elles ont réussi à nous transporter dans l’histoire.
Comment parviens-tu à «voir» les détails de la mise en scène et du décor?
Grâce à un procédé appelé audio-description. L’audio-description consiste à décrire de manière précise et objective aux spectateurs aveugles ou malvoyants les éléments qu’ils ne peuvent pas voir, comme par exemple les différents décors, les costumes, la position des différents comédiens ou encore leurs mimiques. C’est un procédé qui me permet de profiter pleinement d’une œuvre artistique.
Concrètement, cela fonctionne comment?
Je suis équipé d’un casque audio. Une voix off me décrit les images et les expressions scéniques. Les commentaires sont diffusés pendant les pauses de dialogue, entre les changements de décor, ou encore lorsque les acteurs ne parlent pas. De cette manière, l’audiodescription ne se superpose pas aux dialogues et aux jeux d’acteurs.
L’audiodescription est réalisée par des professionnel·les. C’est un véritable métier. Les audiodescripteurs visionnent la pièce, rédigent l’audiodescription et la réalisent ensuite en direct. Les professionnel·es sont installés en régie.
Dans certains cas, ils peuvent insister sur les couleurs, mais uniquement si celles-ci ont une importance dans la compréhension de l’œuvre. Dans mon cas personnel, je suis conscient de ce que représente chaque couleur car, même si je possède un faible reste de vision, je l’exploite au maximum.
En règle générale, comment qualifierais-tu l’accès aux œuvres artistiques en Belgique pour les malvoyant·es?
L’accès à la culture pour le public déficient visuel progresse doucement grâce au travail du milieu associatif, merci à eux ! Je note cependant que je n’ai accès qu’à une petite partie de l’offre culturelle. Dans un monde idéal, je ne devrais pas me poser la question de savoir si les œuvres d’un musée sont audio-décrites, si le spectacle est en audio-description. Aujourd’hui, nous pouvons être amenés à choisir de voir un film ou une pièce en fonction de son accessibilité et non pas toujours en fonction du critère premier qui est la qualité de l’œuvre. Ce qui est interpellant, étant donné que nous sommes au 21e siècle. D’un autre côté, certains musées comme le Musée de la Pierre à Sprimont réalisent un magnifique travail pour que le lieu soit réellement accessible à tous·tes.
Cependant, je remarque que le public concerné par ces aménagements n’est pas toujours au courant de la bonne accessibilité des musées ou de certains spectacles. Si je peux adresser un message aujourd’hui au monde de la culture, soyez fier·es du travail que vous faites en matière d’accessibilité. Parlez-en au monde entier, tout le monde doit le savoir. Quand vous rendez un musée ou une pièce de théâtre accessible, vous ne le faites pas seulement pour la personne en situation de handicap mais pour tout le monde. C’est économiquement prouvé.
Le Misanthrope, de Molière au Théâtre Royal du Parc du 7 mars au 6 avril 2024
Avec Julien Besure, Denis Carpentier, Bénédicte Chabot, Damien De Dobbeleer, Pauline Desmet, Itsik Elbaz, Stéphane Fenocchi, Benjamin Van Belleghem, Anouchka Vingtier.
Mise en scène Patrice Mincke / Assistanat Sandrine Bonjean / Scénographie Vincent Bresmal Matthieu Delcourt / Costumes Chandra Vellut et Cécile Manokoune / Lumières Alain Collet Création musicale Daphné D’Heur / Maquillage et coiffures Tiuku Deplus
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