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Chaque mois, Nicolas Baudoin vous invite à explorer plusieurs ouvrages édités qui échappent d’une façon ou d’une autre aux rouages de la traditionnelle chaîne du livre. Des littératures actuelles qui s’épanouissent loin des prés carrés.
épisode 7/7
7/7

L'achronique de Karolina à Rile* Books: being iconic, clubbing et micropoèmes flamands

En chantier

épisode 7/7

Pour ce numéro spécial mars-avril, j’ai invité Karolina Parzonko à sélectionner quelques publications qui lui parlaient dans les rayons de la librairie Rile*, à Bruxelles. On y trouve des livres d’art, des romans, des essais, de la poésie en français, en anglais et en néerlandais, issus de maisons d’édition plus ou moins confidentielles. Le lieu accueille aussi des conférences et des performances. Lors de ces événements ou à l’initiative de tiers, Rile* accepte aussi les dépôts de certaines publications non-homologuées. C’est bien sûr après elles que nous sommes partis à la chasse. Je vous laisse en compagnie de Karolina pour découvrir le butin. Une interview de Karolina à propos de son mémoire sur l’institutionnalisation du zine à Bruxelles est également disponible pour compléter cette lecture. De rien!

no news is good news issue 4[1][1] Publié par no more poetry, 2023

Cette publication a été trouvée au Rile* Books à Bruxelles. Je n’y étais encore jamais allée avant le mois de mars, bien que la librairie se situe à côté de chez moi. C’est parce qu’en règle générale, l’esthétique minimaliste a tendance à me faire peur. Le quatrième numéro de No News Is Good News se présente assez simplement comme un flyer graphique de poésie écrite en anglais. Publié par no more poetry, une maison d’édition indépendante australienne qui met le focus sur la littérature d’auteur·ice·s LGBT, le flyer/zine se déplie à la manière d’un journal, où l’on peut retrouver illustrations et textes. L’un des textes à l’intérieur est écrit en prose par Brenna O. sur une page A4, en tout petit. Il semblerait que l’auteur·ice et moi-même partagions des points communs tels que «being iconic», faire des choses bizarres seul·e·s dans nos chambres avec nos téléphones, et s’inspirer d’œuvres considérées comme des nanars dans le but de créer son propre bagage culturel, qui n’est autrement pas très étendu. J’ai principalement grandi en Belgique au sein d’une famille polonaise : je me situe dans un entre-deux où je ne détiens parfaitement ni les codes polonais, ni les références belges. Le fait de créer soi-même son propre bagage culturel à travers des œuvres qui ne sont pas considérées comme qualitatives par le commun des mortels permet donc de s’affranchir de la pression à se conformer à la culture de l’un ou de l’autre pays, et des diktats de ceux et celles qui définissent le «bon goût». Le but d’une telle démarche est donc de composer son propre bagage culturel, unique et nuancé.

no news is good news n°4, 2023. ©Karolina Parzonko

Basic Mechanics[2][2] Cristina Emmel, Maud Gyssels, Isabelle Weber. Autoédition par oaréit, imprimé à Bruxelles et à Gand en 100 exemplaires. 2023

Ravie d’avoir découvert un zine belge et flamand car je ne connais pas suffisamment ce milieu, qui est (trop) rarement en contact avec la scène francophone dans laquelle j’ai baigné ces dernières années. Basic Mechanics est un zine est composé d’une multitude de petites coupures de papiers, sur lesquelles les poèmes sont imprimés en bleu. J’apprécie cette mise en forme qui me fait penser aux papiers avec des citations que l’on peut retrouver dans les fortune cookies. Deux micro poèmes sont en vrac et peuvent tomber du zine à tout moment : l’un sur le fait de tomber amoureuse de soi-même, et l’autre sur le fait de grignoter peu à peu les réserves alimentaires de sa colocataire en replaçant tout de la même manière, à la même place. Dans le recueil, la phrase «i shape the swamp» m’interpelle. Le marais est omniprésent dans le texte : il y a un côté terreux, de l’eau stagnante, des fruits juteux qui vont entrer en phase de décomposition, peut-être même un ogre qui pourrait apparaître. Cela tombe bien, j’adore les ogres. Shrek, c’est toi?

Basic Mechanics, 2023. ©Karolina Parzonko

Typo 2 Gouinxes[3][3] Fanzine tiré à 150 exemplaires, numérotés. 2023

Flashy avec plein de feuilles colorées, le zine tient dans la paume de ma main. Il me fait penser à un accessoire que l’on pourrait amener avec soi en club. J’aurais même envie de le gober et d’attendre que les premiers effets se manifestent. Il est accompagné de confettis, promesse d’une virée festive. Ils vont rester dans mon lit pour une période indéterminée. Comme son nom l’indique, Typo 2 Gouinxes est un zine qui met en valeur des typos créées par des gouines en tirant son inspiration des publications lesbiennes des années 1970 à 1990. Il y a un décalage entre des textes très petits, et des lettres très imposantes qui sortent hors du cadre étroit qui leur est attribué. L’objet est un mixte entre zine à l’ancienne avec assemblage de photocopies et impression noir et blanc, et quelques inserts en sérigraphie couleurs fluo. L’auteur·ice s’interroge sur la place et l’existence des typos gouines et militantes en vue de créer un nouveau langage. Et de «PRENDRE DE LA PLACE».

Typo de Gouinxe, 2023. ©Karolina Parzonko

Merci du fond du coeur à Karolina pour sa participation à cet épisode spécial. Si vous ne l’avez pas encore lue, foncez lire la deuxième partie de cet épisode où elle évoque son sujet de mémoire, à savoir l’institutionnalisation de la scène du zine et de la microédition bruxelloise!

Nous souhaitions conclure l’achronique de ce mois-ci par une mention de soutien aux libraires de la Galerie Bortier qui se sont vu forcé·es de déménager face au projet de Food Market de la Région bruxelloise. Dans cette galerie, on retrouvait des bouquinistes de qualité, des passionné·es avec une sélection de livres rares et anciens très reconnue dans le milieu, mais aussi un lieu culte des amateurices de BD et d’illustration: la Crypte Tonique, dont la cave regorgeait de pépites «éditées professionnellement» ou non. Malgré une pétition réunissant plus de 13.000 signatures et des propositions émanant des locataires actuel·les, la Ville a décidé de les évincer du lieu d’une façon qu’on ne peut que qualifier d’ingrate et méprisante. Le texte de la pétition est aujourd’hui repris dans une publication, Galerie Bortier – Le passage des libraires, qui entend «marquer le coup et remercier les femmes et les hommes qui ont soutenu la Galerie, sa culture des imprimés et ses libraires.»


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