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Wakatt, de Serge Aimé Coulibaly ©DR.

Serge Aimé Coulibaly, danser ici et ailleurs

Au large

Karolina SvobodovaCette année, vous avez créé le spectacle d’ouverture du Fespaco et des Récréâtrales au Burkina Faso, dont vous êtes originaire. Depuis de nombreuses années, avec votre compagnie Faso Danse Théâtre, vous tournez partout dans le monde. Comment avez-vous découvert la danse au Burkina?

Serge Aimé CoulibalyLa première fois que j’ai dansé devant des gens, c’était à l’école primaire, pendant les spectacles de fin d’année… Ensuite, en secondaire, il y avait la troupe artistique du lycée, on faisait du théâtre. Avec un ami, Sana Seydou Khanzai, qui est musicien maintenant et qui est aussi à Bruxelles et Kanga Yolande qui venait de Côte d’Ivoire, on avait créé une petite troupe, on faisait des spectacles autour de Michael Jackson… On se prenait un peu pour des Américains, avec des jeans déchirés, des blousons en cuir etc. Et puis, il y a eu une bascule dans ma vie, lorsque j’ai découvert à la télévision la compagnie Feeren. Les comédiens parlaient du théâtre et de la danse comme d’un vrai métier. J’ai tout fait pour contacter Amadou Bourou, qui était le directeur de la compagnie. Il m’a dit: «Bon, on va voir». Je suis arrivé mais il n’était pas là! Il y avait les acteurs qui étaient sur la scène en train de répéter. Ils jouaient de la percussion et ça dansait. Ils faisaient plein de trucs et ils m’ont invité à les rejoindre. J’ai passé toute la journée avec eux. Le lendemain, Amadou Bourou était là, il me voit sur la scène, il ne dit rien. Et puis en fait, voilà, c’est comme ça que je suis arrivé là.

Des figures importantes du théâtre et de la danse contemporaine burkinabè telles qu’Odile Sankara et Alain Héma sont également passés par cette troupe. Quelles en sont les caractéristiques principales?

La compagnie Feeren, c’était du théâtre dans le sens africain du terme, c’est-à-dire que le comédien ou la comédienne doit savoir danser, chanter, raconter des histoires, comme les griots. J’ai fait 8 ans dans la compagnie. On avait des journées de 10h de travail: de 7h30 à 10h30, c’était le travail physique, la danse, tout ce qui était de l’initiation corporelle. On naviguait dans tout. Et puis de 10h30 à 12h30, chacun devait développer un projet pour développer l’activité culturelle et artistique au Burkina. À midi et demi, on finissait, on revenait à 15h30. Jusqu’à 17h30 c’était musique. Chaque membre de la compagnie devait savoir jouer 1, 2 ou 3 instruments et chanter. Et à partir de 17h30 jusqu’à 21h30, souvent 22h, c’était le théâtre. Amadou Bourou arrivait avec soit un spectacle de conte, soit une pièce. J’ai donc reçu une formation assez complète dans les différents arts mais aussi des réflexions autour du développement de l’art et de la culture au Burkina. Dans la compagnie, je suis devenu le responsable danse, et plus tard, le chorégraphe de la compagnie. On a participé à des cérémonies, j’ai chorégraphié le spectacle d’ouverture de la Coupe d’Afrique des nations en 1998, et le spectacle d’ouverture du Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou (FESPACO) en 1999.

Pourquoi avez-vous décidé ensuite de poursuivre votre carrière en Europe?

Ces deux événements ont été un peu comme une bascule pour moi. J’ai vu très vite mes limites en tant que chorégraphe, en tant que créateur, parce que j’avais des responsabilités mais je n’avais pas fait d’école de danse, je n’avais pas de connaissances réelles de la danse. Ici, on n’avait que l’Institut Français qui avait une bibliothèque assez fournie. À l’époque, il y avait trois livres sur la danse dans la bibliothèque… Et on attendait qu’un spectacle vienne à l’Institut Français pour savoir ce qu’était la création contemporaine.
À partir de 1999-2000, j’ai commencé à vouloir aller ailleurs pour apprendre. Pendant un an, j’ai envoyé des lettres partout. Finalement, Nathalie Cornille m’a retenu pour la création du spectacle Doublé Peau et je me suis retrouvé dans le Nord de la France, à côté de Lille, pendant 6 mois. Là, j’ai été très boulimique! J’ai regardé des cassettes vidéo, les grosses cassettes VHS de tout ce qui était danse, je me gavais, j’avais faim quoi. Et je prenais des cours de danse partout, des cours de danses africaines et de danses contemporaines.

Serge Aime Coulibaly ©Lydie Nesvadba

Vous en profitiez aussi pour passer des auditions.

En 2002, j’ai vu une audition chez Alain Platel (pour le spectacle Wolf, Ballets C de la B/Alain Platel) et j’ai été retenu. Ça a été la bascule de ma vie, puisque tout d’un coup, je me retrouvais dans une grosse compagnie, à faire des tournées mondiales, à avoir de la notoriété. Ça a vraiment changé beaucoup de choses.

Et vous avez d’emblée créé votre propre compagnie. À quoi répondait ce besoin?

J’avais un objectif qui était clair: fabriquer mes spectacles, liés à la réalité politique de mon pays. J’avais envie de faire des choses qui parlaient aux gens ici, de créer tous mes spectacles en partie au Burkina. Cette préoccupation m’a aussi amené à la création d’Ankata: parler aux gens d’ici et aux gens de là-bas, parce que finalement, j’arrive à créer mes spectacles parce que je suis là-bas.
J’ai toujours été comme en mission, comme si je voulais propager la culture africaine contemporaine, partout dans le monde. Je pense vraiment qu’on a quelque chose, pour enrichir la création contemporaine mondiale. Avec notre spécificité, nos richesses, notre culture, avec cette force et cette énergie.

Avec Ankata, Laboratoire International de Recherche, Création et Production des Arts de la scène fonctionne que vous avez fondé à Bobo Dioulasso en 2014, il s’agit donc de contribuer au développement de cette créativité sur le continent et d’apporter les cadres et outils qui manquent actuellement aux jeunes danseur·euses.

Oui, j’ai voulu donner à la jeune génération ce qui m’avait manqué, moi, quand je voulais me former. J’avais d’abord un projet de médiathèque et de lieu pour développer la multidisciplinarité. Ça a toujours été une préoccupation pour moi, de ne pas rester cantonné dans un seul côté. Entretemps, il a eu le CDC – la termitière qui a été créé en 2006. Et du coup, il y a eu un pan de ma préoccupation qui a été éliminé. Ça m’a ramené au lieu où je suis né, à Bobo Dioulasso, qui est un berceau de la créativité, c’est une ville naturellement culturelle. Il y a beaucoup de jeunes talents qui montent et puis il y a une coupure. Il n’y a rien pour la formation et la professionnalisation. L’autre élément qui m’a amené à la création d’Ankata, c’est un engagement citoyen. Mes premières pièces étaient des pièces très politiques: on prend la parole, on dit les choses, ça danse, on est souvent contre les dirigeants en place dans nos pays, c’était de l’activisme sur la scène, jusqu’à Nuit Blanche à Ouagadougou, où on était au sommet de l’activisme puisqu’on a interpellé le président qui était au pouvoir à l’époque, on était vraiment agressifs. Ensuite, j’ai commencé à devenir un peu plus poétique, mes créations sont plus imagées, c’est beaucoup plus subtil. La politique, elle est toujours derrière, mais ce n’est plus en première ligne. C’est la poésie qui domine. À partir de 2014, j’ai donc décidé que, plutôt que dénoncer, j’allais faire ce que je pouvais de mon côté, pour montrer que c’est possible.
Au début, Ankata, c’était un projet écologique, économique et politique. Il s’agissait de voir comment rendre la création artistique vitale et viable dans des pays comme le Burkina Faso, en repensant complètement le système qui est aujourd’hui calqué et basé sur le système français. Ce système est décalé et ne correspond plus à notre réalité qui est complètement différente. Mon projet initial était idéaliste et titanesque, à un moment j’étais bloqué. J’ai dit OK, j’arrête et j’ai créé une scène de 8 mètres sur 10 dans ma cour, on a démarré là.

Ankata ©DR

C’est le petit studio. Depuis peu, le grand studio a également ouvert ses portes. Quelles sont les activités que vous y développez?

J’avais un terrain à côté et avec l’architecte, on a réfléchi à comment adapter cet espace qui était assez petit pour faire le maximum de choses. On a la formation sur 3 ans, c’est Next Generation. On a aussi le coaching qui est davantage au niveau du mental parce que je pense que le problème au niveau de la création et au niveau de la jeunesse africaine, est mental plus qu’économique. C’est le mental qui va créer l’économie. Et après, il y a aussi le concours de solos chorégraphiques Simply The Best, qui est de la promotion pour les jeunes artistes. Toutes ces initiatives sont là pour répondre à ce qui moi m’avait manqué. Je me demande: qu’est-ce qui fait que moi, je peux tourner à travers le monde? Et comment je peux aider d’autres personnes?
Cette dimension humaine est importante. C’est pour ça que dans Ankata, il y a aussi un volet social. Il s’agit de contribuer au développement du quartier, pour l’éradication de l’extrême pauvreté, en tout cas autour de l’espace d’Ankata. On met en place un système de microcrédits avec les femmes du quartier. Elles peuvent, quand elles ont une idée d’un commerce, venir demander un prêt. Si elles remboursent dans la date fixée, elles peuvent demander le double. Pour les familles les plus pauvres, on prend en charge la scolarisation des enfants.

Quels liens établissez-vous entre vos spectacles et cet engagement social?

La raison pour laquelle je crée des spectacles, c’est pour changer la société, mais mon engagement passe par d’autres actions également.


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