Sylvain GroudOn s’est rencontrés quand j’ai été nommé en avril 2018 au Ballet du Nord CCN – Roubaix. Assez rapidement, il y a eu Afrique 20, qui a un vrai projet mais qui comportait également des risques. On avait une responsabilité, nous, acteurs de cette collaboration. Je suis venu à Marrakech en 2019 et on a rencontré pas mal de chorégraphes qui sont sur le terrain depuis un certain nombre d’années.
J’avais fait des Between, des solos que je fais dans l’espace, n’importe où. Avec ces solos, je m’incorpore dans la proposition de l’autre et je le magnifie, je l’incarne. On a commencé à discuter avec Taoufiq Izeddiou, je l’ai invité à Roubaix pour un festival. Et puis, il m’a fait revenir avec L’oubli, un duo sur le rapport à la mémoire où j’ai pu travailler avec des semi pros et des pros. Il s’agit d’un triptyque, avec la partie du milieu qui invite à une prise en charge de cette question par les badauds.

Oui, j’ai ensuite voulu aller plus loin que le vécu qu’on a eu à la place Jemaa-el-Fn avec L’oubli et je lui ai proposé de reprendre Version Originale (VO). VO, je l’ai créée pour ça, pour moi, c’est comme un outil d’émancipation : c’est donner des outils aussi bien aux amateurs qu’aux danseurs professionnels. Comment aller vers l’autre ? Comment le toucher ? Comment s’assurer qu’à chaque fois il n’y aura pas de de refus. C’est-à-dire qu’il s’agit à chaque fois de faire en sorte que la proposition ne soit pas imposée.
C’est quelque chose que je pratique beaucoup à l’hôpital, en soins palliatifs, dans les salles d’attente. Comment transposer poétiquement le geste quotidien face à quelqu’un qui n’a pas les codes, qui n’a pas passé de contrat avec toi pour devenir ton spectateur. Qu’est-ce que tu fais pour être son danseur ? C’est une danse qui répare.

C’était très riche, il y avait les pros et semi-pros. De 10h à 14h tous les jours, on travaillait avec tous les artistes chorégraphes qui ont participé au Taklif, les dix compagnies. Il y en a qui sont venus de Meknès, de Tanger. D’autres professionnel·les et semi-professionnel·les se sont inscrits aussi.
L’autre partie, c’était des amateur·es. Il y avait des femmes d’un certain âge, deux femmes de 60-65 ans, un jeune homme qui, je pense, n’avait jamais dansé, mais il est arrivé le dernier jour, et a demandé : «je peux faire aussi ?».
Je leur ai dit : «Le rôle que je vous invite à endosser, c’est celui d’une certaine humanité. Je m’en fiche que vous sachiez danser ou pas, ce qu’il faut reconnaître que chez vous, c’est le désir de danser».

Ça parle de du rapport à l’autre dans l’espace urbain, comment je peux me permettre de te regarder dans les yeux sans être agressif ou agressé, poser la question de la sphère intime et de la sphère publique. On discute d’abord du contexte, du temps et de l’endroit où on est. Tu ne regardes pas ou tu ne touches pas de la même manière dans différents espaces. Ici, tu vois deux hommes de 55 ans, en train de se prendre la main et tu dis, c’est quoi ? Pourquoi mes oncles en Normandie ne font pas ça ? C’est étonnant. Ou au contraire, on observe une grande pudeur des femmes qu’il ne faut pas regarder dans les yeux. On fait des ateliers à partir de ça, on essaie de rendre visible le questionnement.