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«Paradiso» par le Teatro delle Albe, 2022. @Silvia Lelli.

Paradiso du Teatro delle Albe

Au large

«Ce qui compte, c’est le désir», nous dit Marco Martinelli au sortir de la dernière représentation de PARADISO, convocation citoyenne pour la Divine Comédie de Dante Alighieri, qui s’est tenue le 8 juillet dernier dans le cadre du Ravenna Festival. Le désir de travailler ensemble, de faire partie, le temps de quelques soirées, d’une communauté citoyenne, de participer à quelque chose de plus grand, de former un tout. Une simple convocation citoyenne a en effet permis de rassembler des centaines de personnes mues par le désir de jouer.

Le lieu, la communauté, et le chœur, nous devons littéralement les inventer comme chez les Grecs anciens.

«Le lieu, la communauté, et le chœur, nous devons littéralement les inventer comme chez les Grecs anciens. C’est une opération d’alchimie, un pari qui dure une vie, une création démesurée, une entreprise de tous.» écrit Marco dans son ouvrage Se faire lieu [1][1] paru aux éditions Alternatives théâtrales où il livre, en 101 paragraphes, ses pensées sur le théâtre. Créer des lieux entre le théâtre et la cité pour pallier ce qui nous manque dans une époque de «non lieux».

Et quel endroit plus approprié que le tombeau de Dante pour débuter ce qui se transformera en véritable procession citoyenne?

La procession citoyenne dans la ville. ©Silvia Lelli.

Le tombeau de Dante, à Ravenne, un soir de pluie. Déjà de nombreux citoyens vêtus de blanc attendent patiemment l’arrivée des spectateurs. Un grand-père, une jeune fille, un adolescent, tou·tes ont répondu à l’appel, à la «convocation citoyenne» lancée par le Teatro delle Albe qui est né à Ravenne dans les années 1980 et y a ouvert, l’an passé, une école de recherche vocale: Malagola.

Nous serons convié·es à devenir tous et toutes Dante…

Dante, c’est le poète de Ravenne, de la polis. Et c’est peut-être cette connexion entre un poète et une cité qui s’établit alors, presque instinctivement. Le lien entre histoire et citoyenneté s’opère. Et à cette histoire commune se rattache celles des migrants. De nombreuses communautés vivent en effet dans cette région et le chœur citoyen fait lui aussi transparaître la diversité de la ville.

Le mausolée ouvert, les figures de Marco Martinelli et d’Ermanna Montanari, qui codirigent ce spectacle, feront alors résonner le premier chant du Paradis de Dante qui sera repris par le chœur. Une invitation à nous laisser atteindre par la puissance de la poésie qui semble venir allumer les cœurs de chacun·e. Car nous serons convié·es à devenir tous et toutes Dante, immergé·es dans une quête philosophique qui nous amènera peut-être à voir poindre ce paradis tant désiré.

©Silvia Lelli.

Et cette quête, nous l’entamerons par un parcours dans la ville parsemé de chants sacrés, d’extraits de textes contemporains (Pasolini, Emily Dickinson, Ezra Pound…), de personnages aux gestes mystérieux qui apparaissent ici et là par une fenêtre ou un balcon. Le théâtre est dans la cité, prend possession des rues de Ravenne que nous traversons sous un même ciel pour nous retrouver devant les jardins publics où aura lieu la suite du spectacle. Nous y sommes accueillis par ce chœur innombrable qui se déploiera au fil de la représentation en de multiples figures dantesques.

L’art peut-il vraiment offrir une voie de salut pour la collectivité humaine?

«Toute la souffrance sur cette terre va-t-elle vraiment se transformer en musique?» C’est la question qui nous est posée alors que la musique à la fois contemporaine et urbaine de Luigi Ceccarelli résonne à travers les pierres, tandis qu’un chant araméen, des chœurs de chanteur·euses nigérien·nes, et un ensemble baroque nous ont accompagné·es jusque-là.

Des acteurs et actrices professionnel·les de la compagnie sont déguisé·es en statues de marbre qui rappellent celles du Bernin. Ils incarnent chacun·e un personnage du Paradis. Un poème de Dickinson ainsi qu’un discours du Pape François contre l’injustice et pour la paix sont proclamés dans ce jardin devenu théâtre.

Mais l’art peut-il vraiment offrir une voie de salut pour la collectivité humaine?

Comment faire véritablement appartenir le théâtre à la cité? Comment travailler avec tou·tes les citoyen·nes? 

Pour Marco Martinelli, il faut que le travail soit le plus démocratique et le plus horizontal possibles, pour pouvoir atteindre une sorte de verticalité, créer une œuvre d’art qui nous dépasse.

Et c’est les yeux tournés vers les étoiles, les un·es contre les autres, alors qu’Ermanna Montanari, grande actrice «d’expression vocale» et cofondatrice de la compagnie, donne à entendre de sa voix rauque le dernier chant du Paradis, que nous serons invité·es, nous spectateurs et spectatrices, à quitter les gradins pour envahir le lieu du spectacle, pour appartenir un instant à cette communauté citoyenne réinventée.

Les figures de marbre du Bernin. ©Silvia Lelli.

Le Chantier Dante de Marco Martinelli et Ermanna Montanari est une production Ravenna Festival/Teatro Alighieri en collaboration avec Teatro delle Albe/Ravenna Teatro.

Pour aller plus loin

Marie Baudet a interviewé Marco Martinelli pour le quotidien La Libre Belgique.

Le compte-rendu du précédent volet, Purgatorio, par Danièle Robert et Laurence Van Goethem, pour le site altritaliani.

Le site du Teatro delle Albe.

L’ouvrage Se faire lieu, brèche dans le théâtre en 101 mouvements est disponible aux éditions Alternatives théâtrales.

En 2021 est paru aux éditions Actes sud-papiers Aristophane dans les banlieues, pratiques de la non-école, de Marco Martinelli, dans une traduction de Laurence Van Goethem.

Actes Sud vient de publier une nouvelle traduction de l’intégralité de la Divine Comédie, par Danièle Robert, dans la collection Babel.


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