RECHERCHER SUR LA POINTE :

Opale par Dessous l’oeil clos ©Fabienne Cresens

Quelle place pour la culture dans les partis?

Grand Angle

Si la culture semble absente de la campagne électorale, nous sommes allé·es la chercher sur le papier, dans les programmes politiques, persuadé·es que la conception de la culture est l’une des pierres angulaires qui serviront aux partis politiques à construire la société de demain.

«Une lasagne institutionnelle», la métaphore est souvent utilisée par les politicien·nes pour décrire les différentes compétences culturelles du fédéral, des régions, des communautés linguistiques et des communes. Bruxelles Capitale, dans tout ça, c’est un peu la sauce béchamel qui s’infiltre partout. Si elle incarne aussi bien un cas à part que la convergence (parfois délicate) de ces différents niveaux de gouvernance, elle ne détient pas de politique culturelle à part entière. Pourtant, plus de 16000 personnes travaillent actuellement dans ce domaine, soit 4,5% de l’emploi de la Région.

La superposition des couches de compétences amène un manque de fluidité, de coordination et de concertation entre les différents opérateurs. Pour les acteur·ices des arts et de la culture, le système ne fait pas toujours l’unanimité. Comme l’explique Roland De Bodt, ancien directeur de recherches pour l’Observatoire des politiques culturelles de la Fédération Wallonie-Bruxelles: «les politiques de la culture sont de plus en plus ordinairement soumises à des contraintes et des objectifs non culturels, de type industriel: logiques de marché, de croissance et de rentabilité, mise en concurrence des opérateurs, recours systématique aux marchés public[1][1] Roland De Bodt, «Les politiques culturelles des francophones de Belgique: l’autonomie culturelle dans un pays fédéral», Nectart n°11». Autant d’éléments a priori extérieurs pourtant devenus essentiels, au cœur des politiques culturelles défendues par les partis.

Dans ce contexte, quelques enjeux constituent les principaux dossiers à l’agenda: les limites d’une politique gérée par les communautés linguistiques (francophone-néerlandophone) dans le contexte d’une métropole caractérisée par une grande diversité (plus de 100 langues parlées au quotidien pour une population de près de 40% de non-Belges) poussent notamment à la réflexion sur la mise en place d’un guichet unique, qui centraliserait ainsi l’ensemble de l’accompagnement aux artistes en matière d’information, de conseil, de soutien, de matériel, de prise en charge administrative, constituant ainsi une boussole bienvenue dans le labyrinthe administratif et institutionnel bruxellois. Une amélioration de la gouvernance à l’échelle de Bruxelles Capitale pourrait passer par une régionalisation plus poussée, mais est loin de faire l’unanimité dans le monde politique. Les questions de gouvernance ne sont pas les seules à se poser dans le domaine de la culture, et côtoient ainsi les problématiques d’inclusion, de diffusion, d’accessibilité, de représentation, de financements et de budgets, sur lesquelles les six partis ont statué dans ce contexte électoral.

©Fabienne Cresens

PTB: «Une rupture avec la politique culturelle actuelle»

En se basant sur l’exemple de la crise Covid, où la culture a dû «fermer en premier et rouvrir en dernier», le PTB constate un manque de prise au sérieux de la part du monde politique et se place en opposition avec les politiques d’austérité en matière de culture, qui ont pu être mises en place en Flandre depuis 2019. Celles-ci visaient notamment une réduction de 6% des subsides structurels, ce qui pouvait représenter jusqu’à 60% de pertes de subsides pour les artistes.

Considérant la culture comme une «richesse publique», le PTB souhaite rompre avec la précarité et la flexibilisation du secteur et tous leurs effets néfastes. Le parti propose donc une indexation des subventions à l’inflation, un refinancement structurel à la hausse du secteur et le renforcement du statut d’artiste. Si Jan Busselen est mitigé quant au guichet unique, «dont on entend parler depuis 4 ministres sans le voir», le PTB propose la mise en place d’un «guichet des arts national» à destination des travailleur·euses des arts, destiné à informer concrètement les artistes sur des questions d’ordre administratif et professionnel, liées notamment à l’accès à des formations aux démarches de subventions, en passant par la recherche d’espace ou de matériel.

Le PTB propose par ailleurs une meilleure accessibilité à la culture: Pass Culture Jeunes 15-19 ans de 100€ par an, développement de la gratuité et/ou diminution des tarifs par une augmentation des subsides, meilleure accessibilité des espaces pour les personnes non valides, augmentation des politiques de quotas (notamment destinés aux jeunes, aux femmes et aux «personnes issues de la diversité») pour une meilleure inclusion des populations dans la fabrication de la culture, et ouverture de cette culture aux pratiques moins classiques (rap, manga, jeux vidéo). Cette ouverture va aussi de pair avec la mise en place de réseaux de coordinateur·ices de quartiers à même d’encourager les initiatives culturelles à l’échelle locale, notamment en reliant les idées, désirs et besoins des habitant·es aux possibilités concrètes, aux espaces et au matériel disponible. Enfin, le PTB propose une «réduction collective du temps de travail sans perte de salaire et avec embauche compensatoire» pour donner à l’ensemble de la société la possibilité de participer à la vie culturelle.

Écolo: «Une culture pour tous les publics, un soutien aux artistes et un espace médiatique pluraliste de qualité»

Parmi les 18 propositions qui composent son programme en matière de culture, Écolo se concentre notamment sur les questions d’inclusion. Inclure les femmes et les minorités au sein de postes à responsabilité dans les institutions médiatiques et culturelles, mais aussi inclure la culture dans les plans de lutte contre la pauvreté, en la rendant plus accessible dans les institutions de santé, les maisons de repos, les maisons de jeunes et dans l’éducation permanente. Écolo défend aussi le Parcours d’Éducation Culturelle et Artistique (PECA)[2][2] Mis en place en septembre 2020 par la Fédération Wallonie Bruxelles, le PECA est un parcours destiné à chaque élève, de l’entrée en maternelle jusqu’à la fin du secondaire, pour lui permettre d’accéder à la vie culturelle et d’acquérir des savoirs, en découvrant des lieux, des œuvres, des artistes et des pratiques culturelles pour une meilleure accessibilité du secteur.

Pour le député Pierre-Yves Lux, «il y a un enjeu sur un territoire comme Bruxelles, qui vit d’autres réalités biculturelles et doit mener une politique culturelle en conséquence, qui lui soit propre». Le candidat reconnaît ainsi la richesse de la ville mais aussi sa vulnérabilité, de même que la nécessité de construire une «culture de proximité» en phase avec le terrain.

Outre ces mesures, Écolo propose notamment l’optimisation de la Tax Shelter (qui permet l’investissement de sociétés dans les affaires culturelles contre optimisation fiscale) et l’insertion de la culture «dans des dynamiques plus vertes, par le biais de la mutualisation des lieux et du matériel». Pour les travailleur·euses des arts et de la culture, le parti défend une revalorisation des barèmes et des régimes de droit d’auteur et une meilleure protection du statut d’artiste.

Concernant le «monstre du Loch-Ness» qu’est le guichet unique, Écolo reste prudent quant à la mise en place concrète de la mesure, qui est toutefois défendue dans le programme. «Cela doit venir d’une co-construction entre les acteurs de terrain et les communautés linguistiques de Bruxelles», répond le député. Le programme préconise une meilleure coordination des politiques culturelles entre les pouvoirs locaux (communes, provinces, COCOF).

PS: «Tout le monde a droit à la culture»

L’accès à la culture fait partie des fers de lance du PS, qui défend une meilleure inclusion des publics précarisés, notamment par «une politique culturelle d’éducation permanente et de jeunesse». La culture intervient comme un «facteur de cohésion sociale et d’émancipation», défendant ainsi une politique culturelle plus horizontale et en phase avec les réalités vécues.

Concrètement, le PS défend par exemple la mise en place d’un chèque culture et le développement des politiques de gratuité ou de réduction de prix. Le parti recommande par ailleurs la construction d’un pôle de recherche et d’un fonds dédié à la réalisation d’œuvres  interdisciplinaires et expérimentales.

Le programme se décompose par ailleurs selon une certaine division sectorielle permettant notamment de mieux comprendre les besoins et spécificités de chaque domaine (cinéma, arts plastiques, théâtre, musique…) dans ses conditions pratiques d’exercice et dans la protection des travailleur·euses. Cependant, les études du RAB/KBO montrent que de plus en plus de pratiques artistiques et culturelles s’inscrivent justement à l’intersection de plusieurs secteurs, ce qui peut demander une certaine adaptation et une défragmentation de l’approche.

En termes de gouvernance, le PS préconise la simplification et l’harmonisation des procédures administratives, notamment dans l’accueil et le soutien des artistes ainsi que les démarches en vue d’obtenir les subsides. Le parti entend aussi soutenir activement la diffusion internationale, aussi bien que «structurer un pôle territorial d’industries culturelles et créatives à l’échelle wallonne et bruxelloise». L’ancrage territorial de la culture s’inscrit donc comme un pré-requis à la compréhension des publics et à son accessibilité, notamment par le soutien des tiers-lieux[3][3] Définit par l’UCLouvain comme un «espace alternatif, ouvert, d’accueil, de création, d’échanges, de résidence et de convivialité (…) qui permet l’épanouissement de la vie communautaire informelle» et «petits centres culturels».

MR: «Les publics au centre de l’offre culturelle»

Le MR se positionne en faveur de la liberté artistique et fustige l’autocensure, statuant que «la culture n’a pas vocation à être consensuelle». Cette liberté doit donc primer sur «toute ingérence de politiques publiques militantes et idéologiques», quitte à s’opposer aux politiques de quotas (notamment favorisant l’inclusion des populations), auxquelles le MR préfère «la compétence et le talent». Toujours dans cette logique de liberté artistique, le MR entend se prémunir de «l’instrumentalisation idéologique» de la décolonisation, et préfère donc au déboulonnage des statues et à la restitution des œuvres («à l’exception de celles volées ou acquises en violation de la Convention de la Haye») une mise en contexte du passé colonial, par l’enseignement et la présence d’éléments explicatifs auprès des œuvres.

Économiquement, le MR entend faciliter le Tax Shelter et le mécénat, et proposer un pass culture de 500€ pour les 16-21 ans. Le statut d’artiste est repensé à l’aune du principe du «travailler plus pour gagner plus» en proposant aux bénéficiaires un revenu universel de base (RBAT) en lieu et place de l’allocation, auquel pourraient s’ajouter les prestations. Le RBAT serait toutefois soumis à certaines conditions (non explicitées dans le programme électoral). Enfin, une «Fondation pour les Arts» viendrait favoriser la philanthropie et les échanges directs entre donateurs physiques et artistes pour booster la création.

Côté gouvernance, la secrétaire MR Aline Godfrin préconise une «meilleure transparence des acteurs et des subventions», en parallèle de délais de financement plus rapides et d’un allègement de la complexité administrative, notamment par un meilleur outil numérique. Pas de mention du guichet unique, mais le MR défend un «guichet culture régional» destiné à informer et accompagner les artistes et entrepreneurs culturels.

Les Engagés: «La culture est essentielle pour tous et pilier du vivre-ensemble»

Pour l’échevin de Jette Mounir Laarissi, «le secteur culturel joue un rôle essentiel dans la réponse aux besoins de société, tant dans le service à la population que dans la cohésion sociale». En conséquence, Les Engagés ont pour priorité la protection des artistes avec l’augmentation des budgets culturels. Entre autres, par la création d’un Fonds de la Recherche Artistique, les résidences d’artistes, le PECA et l’utilisation de lieux éphémères (rue, espaces inhabités, etc), l’incitation fiscale du mécénat et du Tax Shelter, ou la conservation voire la réduction du taux de TVA du livre (actuellement fixé à 6%).

Le statut d’artiste actuel est considéré insuffisant et pas suffisamment inclusif, notamment envers d’autres métiers plus techniques. Les Engagés prévoit aussi une possible renégociation des modalités d’obtention du statut et de son renouvellement. Enfin, le parti se positionne en faveur du guichet unique, considéré comme un «dossier crucial» par Mounir Laarissi. La mise en place pratique reste cependant à définir.

En parallèle de ces mesures, Les Engagés entend valoriser la diffusion de la culture au sein du territoire et à l’étranger, aussi bien par les réseaux de petits centres culturels que par la mobilité internationale, les échanges artistiques et l’exportation des produits culturels et artistiques belges. Cette mesure passe aussi par un pass-rail européen gratuit, utilisable une fois entre 16 et 20 ans, pour favoriser les voyages culturels en Europe.

Après le soutien aux artistes et l’amélioration de la diffusion culturelle, la troisième priorité du parti concerne l’accessibilité. Les Engagés se positionne en faveur de pratiques culturelles collaboratives qui dépasseraient les «frontières linguistiques, Après le soutien aux artistes et l’amélioration de la diffusion culturelle, la troisième priorité du parti concerne l’accessibilité. Les Engagés se positionne en faveur de pratiques culturelles collaboratives qui dépasseraient les «frontières linguistiques, communautaires, disciplinaires et sectorielles dans la construction du vivre-ensemble», en prenant pour exemple Bruxelles et sa grande diversité artistique. Le parti favorise donc l’éducation permanente[4][4] L’éducation permanente est régie au niveau de la Fédération Wallonie Bruxelles, selon un décret spécifique. Elle a trois objectifs: favoriser «une prise de conscience et une connaissance critique des réalités de la société» ; développer «des capacités d’analyse, de choix, d’action et d’évaluation» ; acquérir «des attitudes de responsabilité et de participation active à la vie sociale, économique, culturelle et politique», un pass-musées gratuit pour les moins de 25 ans, aussi valable sur les frais de transport, ainsi que la restauration d’un tarif senior.

DéFI: «Promouvoir l’industrie culturelle et créative»

Étonnamment, le programme politique de DéFI n’accorde pas un volet spécifique dédié à la culture. Celle-ci semble principalement liée à l’entrepreneuriat: le Tax Shelter est particulièrement mis en avant, avec une volonté de le rendre plus attractif. DéFI défend aussi une «approche par filière», inspirée des «pôles de compétitivité wallons», dont le but serait de réunir l’ensemble des acteurs concernés, de la formation à la production, jusqu’à l’exportation. Le programme manque de clarté quant à la mise en place concrète de la mesure mais défend les budgets participatifs et les partenariats public-privé.

Véronique Lederman, conseillère communale à Uccle, reconnaît «n’avoir peut-être pas assez développé ce point dans le programme». Elle propose vaguement un chèque culture, qui n’apparaît pas dans les propositions officielles, ainsi que la facilitation du bénévolat et du volontariat – dont l’usage peut contribuer à précariser le secteur selon les études du RAB/KBO.

Le parti encourage par ailleurs une meilleure collaboration générale entre les deux communautés linguistiques et la Fédération Wallonie-Bruxelles, qui pourrait aussi avoir des conséquences positives sur le secteur de la culture. Véronique Lederman milite en effet pour une simplification des tâches administratives et une meilleure cohérence générale entre les niveaux de gouvernance. Toutefois, DéFi n’est pas favorable à une plus grande régionalisation des politiques (notamment culturelles) à Bruxelles-Capitale.

___

Nous nous sommes concentré·es ici sur les principaux enjeux défendus par les partis pour les élections à venir. Pour approfondir la réflexion, nous vous invitons à vous rendre sur les sites des différents partis politiques cités.


Vous aimerez aussi

À gauche, Daniel Blanga-Gubbay et Dries Douibi, codirecteurs artistiques du Kunstenfestivaldesarts à Bruxelles, et, à droite, Jessie Mill et Martine Dennewald, nouvelles codirectrices artistiques du Festival TransAmériques (FTA) à Montréal | © Bea Borgers et Hamza Abouelouafaa

Diriger un festival: à deux, c’est mieux

Grand Angle