RECHERCHER SUR LA POINTE :

Une radioscopie de navets cinéphiles à la recherche de leurs pépites.
épisode 3/6
3/6
©Metro-Goldwyn-Mayer / Columbia Pictures

007 à l’opéra

Émois

épisode 3/6

Son nom est Bond, James Bond… En 2021, après cinq films, la saga d’action (où le meilleur côtoie le pire depuis 60 ans) faisait ses adieux à l’incarnation signée Daniel Craig de son «irrésistible» agent secret. Alors que les pronostics vont bon train quant au choix du prochain acteur à endosser le costume du héros qui sent bon les phéromones et le Vodka Martini, j’ai voulu sauver une pépite trouvant sa source dans l’un des pires défauts de Quantum of Solace, le moins apprécié des cinq épisodes avec Daniel Craig…

Quantum of Solace. Bregenz Opera House ©Metro-Goldwyn-Mayer / Columbia Pictures

Du désordre à 230 000 dollars

Quantum of Solace est la suite directe de Casino Royal, dans lequel Bond tombe amoureux de Vesper Lynd (Eva Green), une énigmatique employée de la trésorerie du Royaume-Uni. Victime du chantage d’une puissante organisation criminelle qui détient prétendument en otage son petit ami, la jeune femme sauve, puis trahit l’agent secret avant de se sacrifier. Ce deuxième opus voit 007 simultanément enquêter sur les manigances politiques et économiques de la société secrète susmentionnée et tenter de découvrir les responsables de la mort de Vesper Lynd…

La première chose qui m’abasourdit systématiquement quand je regarde les deux films à la suite – ce que j’ai fait avant la rédaction de cet article –, c’est à quel point Quantum of Solace semble interminable par rapport à son prédécesseur, pourtant plus long de 40 minutes! 

Plus que probablement troublé par la grève de la Writers Guild of America de 2007-2008, le scénario, parfois incompréhensible, souvent ridicule, est le premier de nombreux dominos ayant précipité à mes yeux la chute de cette production au budget rutilant (230 000$).

Les différents fils narratifs, au lieu de se rejoindre en une harmonieuse pelote, terminent en boule confuse trimbalée de droite à gauche par un chat névrosé.

L’intrigue mêlant enquête, vengeances (au pluriel s’il vous plait!), troubles géopolitiques et corruption écologique ne se donne pas les moyens d’être aussi compliquée qu’elle le souhaite (je défie d’ailleurs quiconque de trouver un sens au «plan» des antagonistes). Les différents fils narratifs, au lieu de se rejoindre en une harmonieuse pelote, terminent en boule confuse trimbalée de droite à gauche par un chat névrosé. La caractérisation des personnages est risible. Bond est un homme. Donc, il cache ses sentiments. Donc, il est brutal parce qu’il veut se venger et donc il tue beaucoup de monde parce qu’il est triste et fâché et fâché d’être triste. Remplaçant son flegme des épisodes précédents, la M de Judi Dench semble étrangement irascible. Son attitude envers 007 manque de régularité, ses nombreux revirements ne semblant jamais justifiés. La longueur et la rapidité des dialogues donnent presque l’impression qu’on essaie de nous empêcher de suivre l’histoire et d’en relever les incohérences.

La réalisation de Marc Foster suit d’ailleurs cette tendance, donnant à chaque scène une fulgurance hystérique. La musique, incessante, soutient l’impression que tout est vital, tendu, dangereux, mais sa seule réussite consiste à vous donner la migraine. C’est comme si un inconnu hurlait en secouant un panda par les épaules sans jamais parvenir à susciter son intérêt parce qu’il pense à sa variété favorite de bambou. Enfin, que dire de l’acting si ce n’est que les performances sont majoritairement monolithiques? Seul Giancarlo Giannini (René Mathis) se distingue en gratifiant ses quelques minutes à l’écran d’une jolie sensibilité.

Si vous regardez le film, profitez de la nullité avec laquelle il prononce la réplique «then, he shouldn’t be looking at me» en ponctuant son phrasé d’un geste mélodramatique qui serait moins drôle dans une parodie.

Dans le rôle du «méchant», Mathieu Amalric est tout bonnement affligeant : son anglais est honteux, son incarnation dépourvue de sincérité ou de menace, son jeu corporel au mieux rigide, au pire absent. Vocalement, il effectue une tentative bizarre de modulation vers les graves accompagnée d’un ton monocorde pour illustrer, peut-être, la froideur psychopathique de son personnage mais le résultat c’est qu’il semble être en réhabilitation logopédique après une rupture d’anévrisme.

Le montage, talon d’Achille rédempteur

Principal paramètre esthétique responsable de la précipitation décrite ci-dessus, le montage de Quantum of Solace est pour le moins clipesque. Dès la première poursuite en voiture, la brièveté des plans, leurs enchaînements épileptiques et leur approximation spatiale nous font comprendre que le reste des scènes d’action tronquera la lisibilité pour une dose survoltée d’adrénaline. Au lieu d’accompagner ce rythme effréné, une distance se crée de plus en plus entre nous et le barrage ininterrompu d’images jusqu’au bout de l’ennui. 

Exception faite d’une séquence…

Exception faite d’une séquence… Bond a suivi la trace de Dominic Greene dont il suspecte les activités philanthropiques de dissimuler un empire criminel. Il atterrit à l’opéra de Bregenz en Autriche où Greene et ses associé·es se rencontrent par oreillettes interposées pendant une représentation de Tosca. Ici, un montage alterné nous présente simultanément la représentation en cours, le public et les membres de la société secrète qui s’y dissimulent, 007 les espionnant puis les photographiant avant d’affronter les gardes du corps de Greene en coulisses et les bureaux du MI6 où Tanner reçoit les photos automatiquement identifiées par l’ordinateur.

L’opéra communique non seulement la rage mais aussi l’angoisse, la douleur, les regrets que l’agent secret refuse de verbaliser.

En plus de sa clarté, la séquence profite de nombreuses résonnances thématiques avec l’opéra de Puccini et la mise en scène élaborée spécialement pour le film. Tosca parle de jalousie, de duplicité, de torture, de vengeance, d’une histoire d’amour au destin tragique, de la mort et son inévitabilité. Les deux passages musicaux couvrant la scène ont été judicieusement choisis: le «Te Deum» du sadique Scarpia, une prière détournée en plan machiavélique, et les mesures instrumentales qui suivent le meurtre de ce dernier par l’héroïne après une tentative de chantage sexuel. Deux partitions se superposent en contrepoint: celle des images et celle des notes, avec tantôt un fade out des coups de feu, tantôt un gros plan sonore sur la respiration haletante de la cantatrice. L’ensemble doit sa justesse au fait que la musique et la sélection de plans (dont la magnifique inclusion métatextuelle d’un œil gigantesque faisant office de décor) se renforcent mutuellement, sans jamais tomber dans le piège du synchronisme facile. L’opéra communique non seulement la rage mais aussi l’angoisse, la douleur, les regrets que l’agent secret refuse de verbaliser. Tosca, le personnage, s’impose comme le double lyrique de Camille Montes (Olga Kurylenko) qui cherche à punir le meurtre et le viol de sa mère et de sa sœur aux mains d’un général bolivien corrompu. C’est aussi le fantôme de Vesper qui hante 007. Nous avons même droit à une mise en abîme de toute la saga et de son protagoniste, condamné à un cycle infini de violence au détriment de ses émotions.

Nous entendons cette fêlure tout en observant ses conséquences: un James Bond qui, pour venir à bout de sa mission, risque le démantèlement de sa propre humanité. Je ne sais pas à quel point l’équipe artistique visait intentionnellement ces échos symboliques, mais le résultat est efficace et, lorsqu’on s’y attarde, étonnamment profond…


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