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Yoann Blanc et Aimé Claeys dans 1985 ©Thomas Nolf

1985 et Esterno Notte

En ce moment

Les années 1970 en Italie et 1980 en Belgique. Deux décennies qui ont marqué deux pays au fer rouge.

Rouge comme le nom des Brigades incriminées dans l’enlèvement et l’assassinat d’Aldo Moro, chef de la «démocratie chrétienne», parti au pouvoir en Italie à cette époque. Rouge encore, comme le sang versé par les nombreuses victimes des tueurs du Brabant, ce gang ultra violent qui a semé la terreur chez nous, pour des raisons encore inconnues à ce jour.

Prendre le temps long de la série pour approcher une histoire complexe. Multiplier les points de vue, raconter un contexte, des responsabilités, des décisions politiques… C’est le choix des réalisateurs de ces deux productions sorties en mai 2022 pour l’Italienne, et le 31 décembre 2022 pour la Belge.

Réalisée par le jeune Wouter Bouvijn que l’on connaissait déjà avec The Twelve, Red Light et Two Jump, 1985 nous emmène aux côtés de trois ami·es: Marc, Francky et sa sœur Vicky, tout juste débarqué·es dans la vie d’adultes. Des personnages inventés qui nous permettent d’appréhender l’atmosphère de la Belgique durant ces années-là. Les deux garçons deviendront gendarmes et intégreront une brigade en pleine crise, au moment où le pays est marqué par une série de vols violents, tandis que Vicky étudie le droit, sort en boite de nuit, et anime une émission de radio clandestine.

Marco Bellocchio, réalisateur bien connu, entre autres, de Buongiorno, Notte (2003) – auquel le titre de la série fait référence – Le Diable au corps (Diavolo in corpo, 1986) et Le Traître (Il traditore, 2019), propose de suivre, dans chaque épisode de Esterno Notte, un personnage central impliqué dans l’enlèvement du chef de la Démocratie chrétienne (dont le pape Paul VI, mention spéciale à l’excellent Toni Servillo).

Fabrizio Gifuni (Aldo Moro). ©https://it.wikipedia.org/w/index.php?curid=9397369

Même si elles se nourrissent d’images d’archive et se basent sur des faits réels extrêmement bien étayés, Esterno Notte et 1985 ne sont toutefois pas des séries documentaires à proprement parler. La fiction y est, en effet, très présente. De métaphores en symboles, Bellocchio manie le récit tout en respectant les faits. La scène d’ouverture et la scène finale, par exemple, montrent Aldo Moro à l’hôpital, libéré et vivant. Épuisé, jugeant ses pairs d’un regard terrible dans un silence de mort. Un bouleversant pied de nez à l’Histoire, qui donne un style et une profondeur résolument cinématographiques à la série. Il faut la voir aussi pour se remémorer la profondeur de la pensée et le courage de l’homme politique, qui, on le sait, a énormément écrit durant ses 55 jours de détention, dont il ne sortira pas vivant. Interprété par l’excellent Fabrizio Gifuni, Aldo Moro se souvient (ses lettres d’amour à sa femme sont magnifiques, voir extrait ci-dessous), s’interroge, se confesse, et accuse. Ses mots composent un long discours à la fois personnel, politique, et historique.

Sobre, fluide, bien documentée et très bien interprétée, 1985 n’est, elle non plus, pas à voir comme un examen précis et objectif des hypothèses. Les trois personnages, fictifs, sont attachants et leurs histoires personnelles croisées permettent d’entrevoir la vie et la mentalité de cette époque en Belgique, par exemple les difficultés d’assumer son homosexualité ou la lutte quotidienne des femmes pour accéder à leur émancipation.

Deux séries qui démontrent que l’on peut se saisir de faits réels passés et en tirer des œuvres contemporaines percutantes.

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1985, réalisée par Wouter Bouvijn, produite par Günter Schmid et Peter Bouckaert (Eyeworks/WarnerBros).

Les principaux rôles sont interprétés par des comédien·nes flamand·es: Tijmen Govaerts (Marc), Aimé Claeys (Franky), et Mona Mina Léon (Vicky). On reconnaîtra aussi, du côté francophone: Yoann Blanc, Guillaume Kerbusch ou Roda Fawaz. Une belle collaboration entre nos deux communautés!

Les 8 épisodes de 1985 sont disponibles en streaming gratuit sur AUVIO.

Esterno Notte, réalisée par Marco Bellocchio. Avec Fabrizio Gifuni, Margherita Buy, Toni Servillo, Fausto Russo Alesi…

Les six épisodes d’Esterno Notte sont en diffusion libre en version française et italienne sous-titrée sur arte.tv, jusqu’au 12 juillet 2023.

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Extrait d’une lettre d’Aldo Moro à sa femme, écrite à la fin de sa détention (mai 1978):

Ma très douce Noretta,

après un moment d’optimisme ténu, dû peut-être à un malentendu sur ce qui m’était dit, nous sommes maintenant, je crois, au moment décisif. (…) Pour l’avenir, je ressens en ce moment une tendresse infinie envers vous, le souvenir de chacun, un grand, grand amour chargé de souvenirs qui pourraient sembler insignifiants mais qui sont en réalité précieux. Unis dans ma mémoire, vous vivez ensemble. (…) Embrassez et caressez pour moi tout le monde, visage après visage, yeux après yeux, cheveu après cheveu. À chacun, mon immense tendresse à travers vos mains. Sois forte, ma douce, dans cette épreuve absurde et incompréhensible. (…) Je voudrais comprendre, avec mes petits yeux de mortel, comment nous nous verrons après. S’il y avait de la lumière, ce serait très beau. Mon amour, je serai toujours avec toi, serre-moi fort contre toi. Embrasse et caresse Fida, Demi, Luca (beaucoup, beaucoup Luca), Anna, Mario (…). Je leur suis tellement reconnaissant pour ce qu’ils ont fait. Tout est inutile, si la porte reste close. (traduction personnelle à partir du site de Libreriamo)


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