Gandalf et Da Vinci
Émois25 mars 2022 | Lecture 4 min.
épisode 1/6
J’ai la sincère conviction que les films parfaits existent. Tout comme les détritus insondables. Mais si je remarque souvent les imperfections des œuvres que j’apprécie, il m’est rarement venu à l’esprit de radioscoper les navets de ma cinéphilie à la recherche de pépites non-cancérigènes. Le 7e art fait pourtant cohabiter trop de sensibilités différentes pour ignorer la licorne intrépide se cachant au milieu du troupeau de gnous qui broutent. C’est la raison pour laquelle, j’ai voulu consacrer une petite série d’hommages à ces pépites, à commencer par un acteur hors du commun éblouissant de sa présence un ratage des plus communs.
Épisode 1: Gandalf et De Vinci
Quand l’adaptation cinématographique du Da Vinci Code, le célèbre «roman» de Dan Brown, s’est hissée au sommet du box-office en 2006, j’espérais que l’intrigue (singulièrement stupide) bénéficierait, dans sa transhumance du papier à la pellicule, de l’énergie et des ressources habituellement conférées aux productions hollywoodiennes.
Malheureusement, le film de Ron Howard m’a fait l’effet d’une longue sieste dominicale après une opération foireuse des synapses. Les spectaculaires trous narratifs du scénario sont comblés par d’interminables dialogues d’exposition hachurés et complétés avec des flashbacks redondants. Howard nous plonge dans un chiaroscuro artificiel qui m’a fait crier: «Mais allumez la lumière !». Il surexpose les scènes dans le passé pour en cacher la pauvreté visuelle, et fait glisser sa caméra de gauche à droite sans raconter quoi que ce soit. Parsemez le tout d’un montage confus doublé d’une partition dramatique omniprésente et vous avez la recette d’un film qui se prend beaucoup trop au sérieux.
Et puis, soudain, à la cinquante-cinquième minute, une voix enjouée surgit d’un parlophone. Quelques secondes plus tard, Ian Mckellen (Leigh Teabing) descend une volée d’escalier et mon visage s’illumine. Bien sûr, ce monstre sacré du théâtre peut se targuer de rôles bien plus illustres mais comme il est impressionnant de voir un tel acteur s’emparer d’un personnage aussi absurde avec un tel panache. Ici, en riche et excentrique savant, Mckellen déploie tout son arsenal de jeu à la manière d’un artificier-confiseur. Avec l’éclat de malice si caractéristique de son regard azuréen, armé d’une paire de cannes, il clopine de scène en scène, farceur, puis fouineur, tantôt complice, tantôt menaçant, suave ou hystérique, volant la vedette à tout le monde. Il savoure chaque syllabe de dialogue (ses «s» et ses «l» sont des poèmes), auquel il offre une fluidité rythmique semblable à celle d’un·e pianiste de jazz. Son corps se meut avec une élégance et une précision magnétiques. Bref, il joue!
Mais la véritable magie de Ian Mckellen, l’ingrédient qui transcende même les plus épouvantables films où ses talents ont pu s’égarer, réside dans son enthousiasme indéfectible. Pendant la promotion du film, Tom Hanks soulignait cette énergie débordante.
En 2005, dans le carnet de bord en ligne qu’il consacre au tournage du Da Vinci Code, Mckellen écrivait: «It’s taken 40 years of sporadic film-making for me to at last feel at home in front of a camera, nearly to the extent that I have always felt at home on a stage. The interior of a studio is now as friendly to me as any theatre green-room.». La lecture de ce blog nous fait entendre la voix d’un homme heureux et chaleureux: il y rend hommage à ses collègues, célèbres ou anonymes, aux fans, ou encore aux lieux visités, avec une bienveillance infinie.
Dans une scène anecdotique du film (1h13min15), Leigh Teabing ouvre une boite contenant un «cryptex» qu’il place sous une loupe. Cela donne lieu à des murmures inaudibles, des soupirs exaltés, un ballet gestuel millimétré: la passion du personnage est aussi palpable que celle du comédien s’amusant à l’interpréter. C’est pour des moments comme ceux-là que j’aime Ian Mckellen.
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