Sandrine Bergot, cap sur les Doms
Grand Angle25 juillet 2024 | Lecture 2 min.
Avignon, été 2024.
Après neuf années à la tête des Doms, Alain Cofino Gomez a signé sa dernière édition du festival Off. Retour programmé à Bruxelles, sa ville natale, où il a été nommé à la direction du 140.
Lancé en 2002 dans la cité des papes, le Théâtre de l’Escalier des Doms – nom officiel – fut dirigé d’abord par Philippe Grombeer, puis par le tandem composé d’Isabelle Jans et Hervé d’Otreppe. Dès le 1er septembre 2024, l’enclave belge au pied du rocher des Doms aura une nouvelle directrice. Sandrine Bergot a, pendant le festival, passé près de deux semaines en immersion dans ce lieu si singulier. Ce Pôle Sud de la création en Belgique francophone a pour mission de contribuer au rayonnement des artistes, compagnies et projets ayant germé en FWB.
Native de Marseille, ayant grandi en Bretagne puis à Montpellier, dont elle fréquente le conservatoire, elle s’ancre en Belgique dès l’âge de 19 ans «pour faire une école de théâtre» – l’Esact, encore nommé alors Conservatoire de Liège. Sandrine Bergot affiche donc un parcours de comédienne (avec notamment Lorent Wanson, Jacques Delcuvellerie, Nathalie Mauger) qui «a peut-être de particulier qu’assez vite je me suis tournée vers le travail en collectif».
La compagnie Salghos voit le jour en 1999, et le spectacle Palace Club fait office, pour sa co-autrice et co-interprète, de révélation: «C’était comme ça que j’avais envie de travailler.» En 2007, Sandrine Bergot, Renaud Riga et Baptiste Isaia fondent le Collectif Mensuel, qui affiche bientôt une série de francs succès dont les Mensuels, L’homme qui valait 35 milliards, 2043 ou encore le bien nommé Blockbuster.
La PointeCe collectif, c’est une école en soi…
Sandrine BergotDepuis 17 ans, le Collectif Mensuel, ce sont sept spectacles, beaucoup de tournées, énormément de représentations en Belgique, en France et ailleurs. Très tôt, j’ai décidé de m’y consacrer exclusivement. C’est-à-dire, en plus de la création et de l’interprétation, de m’investir aussi dans la recherche de financement, l’administration, la diffusion… toutes les joyeusetés qu’il faut pour tenir un collectif. En effet, c’est clairement cette formation-là, cette expérience additionnée à mon parcours de créatrice, de comédienne, qui m’a permis d’imaginer que je pouvais postuler ici. Avec, en outre, un solide réseau en France depuis «2043», le spectacle pour ados, et «Blockbuster», des fidélités, des partenaires.
Cela constitue une expérience très vaste. Or tu t’es présentée d’abord comme artiste, comédienne. Cette définition te correspond?
Jusqu’à aujourd’hui, je me définissais comme une créatrice de spectacles et par ailleurs comédienne, oui. Comédienne-créatrice. Or je viens d’opérer un vrai choix, un tournant important. Avec la conscience que, pour un temps en tout cas, je vais clairement mettre entre parenthèses cette activité-là. Je vais créer autrement.
Qu’est-ce qui a déclenché ton envie de te présenter à la direction des Doms?
Ça a été un choix mûrement réfléchi, mais pas prémédité. C’est aussi pour ça que je suis un petit peu encore sous le choc [sourire]. L’élément déclencheur, c’est le départ d’Alain [Cofino Gomez]: quand j’ai appris qu’il était nommé au 140, à toute vitesse je me suis posé la question. J’ai toujours adoré l’outil des Doms, cette «maison d’hôtes et de relais» comme l’avait surnommée Philippe Grombeer dès sa prise de fonction et la création du lieu. Là il a fallu réfléchir vite, y compris aux éventuels renoncements qu’impliquerait ma nomination… Mais cela arrive à un moment de ma vie, et privée et professionnelle, de changement nécessaire. Tout s’aligne bien, en fait.
Quelle ligne as-tu imaginée pour les Doms?
D’abord, j’arrive avec beaucoup d’humilité dans une maison qui existe depuis plus de 20 ans et qui fonctionne très, très bien, avec une réputation solide, construite au fil des années, tant en Belgique qu’en France.
Mon projet s’est élaboré sur tous les liens, les partenariats, les associations qu’on pourrait imaginer. Collaboration et concertation étaient les lignes directrices de ma candidature. Avec – sachant que le festival en juillet marche très bien – un imaginaire déployé sur le reste de l’année: des liens forts avec une série d’événements à Avignon, mais aussi sur la région. Mon rêve c’est vraiment, pendant l’année, de créer une émulation, faire revenir des responsables de programmation, pourquoi pas de la presse, évidemment du public. Ce qui, pour moi, ne peut se faire que dans l’association d’événements – je n’invente rien.
Des événements comme le festival de danse des Hivernales, chaque hiver?
C’est un exemple type: profiter de ce moment pour montrer une production de la FWB ou un spectacle en chantier, un travail en résidence de danse ou de théâtre-danse qui aurait lieu simultanément. C’est s’alimenter mutuellement, s’appuyer sur l’événement pour mettre en lumière les artistes belges francophones. Dans le calendrier culturel d’Avignon d’ailleurs, presque chaque mois il se passe quelque chose: une foire du livre, un festival d’art urbain… Autant d’occasions de créer des liens.
On pense aussi au cinéma Utopia, voisin et vieux complice des Doms.
Oui, des liens existent déjà, qui pourraient encore être renforcés, de manière à valoriser le cinéma très vivant – y compris documentaire – de la Fédération Wallonie-Bruxelles. Même si je sais que je sors là des missions premières du Théâtre des Doms, j’ai l’impression que c’est vraiment compatible, tout en s’inscrivant dans ma réflexion sur la convivialité du lieu…
La politique de la maison, ce sont aussi les résidences, inscrites dans l’accord-programme. Une priorité forcément conservée à l’avenir?
Il n’y a pas de raison que ça change. En notant cependant que l’accord-programme s’achève en 2025. Il faudra donc le reconduire, peut-être le réinventer en partie. Quoi qu’il en soit, ces résidences sont importantes, précieuses pour les artistes qui, de ce que j’ai pu entendre, louent leur chance de bénéficier de ces moments en marge, à travailler ici comme dans un cocon.
Dans ma réflexion, il y a toutefois une interrogation – à mener avec les artistes et les compagnies – de voir à quel point ils et elles ont juste besoin d’un endroit où travailler, ou si c’est déjà un endroit de tremplin et de visibilité vis à vis d’éventuelles coproductions ou réseaux de diffusion.
Dès l’origine, les Doms ont eu pour mission l’aide à la diffusion, rôle que tu connais de l’intérieur, par le Collectif Mensuel.
Je n’ai jamais diffusé d’autres spectacles que les nôtres, ça c’est sûr [sourire]. Et ces longues années d’expérience m’ont permis de comprendre comment ça marche – toute prétention mise à part. En effet, la diffusion est une des missions premières des Doms, qui doivent rester aussi une vitrine de la création.
Mais d’abord et avant tout c’est une mise en marché. L’expression fait toujours un peu peur; dans nos milieux on la trouve désagréable, pourtant c’est juste. C’est un investissement public à vue de promouvoir, de diffuser les spectacles de la Fédération Wallonie Bruxelles. Et ce n’est pas simple! Je sais, d’expérience, qu’il s’agit d’un vrai travail. Qu’il faut s’y atteler. Il ne suffit pas d’avoir un bon spectacle, hélas.
Les disciplines diverses font aussi partie de l’ADN des Doms. Théâtre, danse, cirque, jeune public sont présents historiquement. Arts urbains et musiques actuelles ont étoffé la palette. Comment te positionnes-tu dans cette perspective?
La pluridisciplinarité est à mes yeux une des grandes richesses de cet endroit et, oui, je continuerai dans ce sens. Dans ma candidature, j’ai ajouté le plus possible de manifestations visuelles mais aussi musicales, avec notamment des expos, des concerts pendant le festival. Et en allant vers plus de marionnettes, de théâtre d’objet. En oubliant aussi un peu les étiquettes, en acceptant les formes hybrides. L’inclassable est sans doute une des caractéristiques de la création en Fédération Wallonie-Bruxelles. Valoriser cette richesse et cette singularité, c’est très enthousiasmant. Peut-être d’autant plus pour moi qui suis d’origine française, tout en ayant fait tout mon parcours artistique en Belgique francophone. On entend beaucoup parler de l’audace de nos créateurs et créatrices. Je suis d’accord. Audace de forme et audace de fond, aussi, d’artistes qui osent s’emparer de sujets sensibles, de thématiques actuelles, de manière pertinente, impertinente.
L’un des apports récents aux Doms est la scène extérieure et la Garden Party…
Je trouve le jardin aménagé d’une grande beauté, qui en outre ajoute à la salle une deuxième scène. La Garden Party telle qu’Alain l’a lancée a donné lieu à plein de choses très chouettes, vraiment, notamment dans la sphère des arts urbains. J’ai mille envies autour de ce lieu.
Un espace propice à la musique?
Oui certainement. Par ailleurs il y a pendant le festival un créneau de cirque, qui se passe sur l’île Piot: ce n’est pas simple, et un peu frustrant. Il y a un jardin: de l’art de rue ou forain ne pourrait-il pas trouver sa place là aussi? c’est en réflexion. De même qu’un espace potentiel pour des spectacles plus familiaux – sans pour autant évacuer les propositions plus pointues ou exigeantes.
L’avenir des Doms s’annonce décidément multiple…
Depuis ma nomination, on m’interroge beaucoup sur mon projet, mon identité. Or ce qui m’identifie ce sont justement ces envies de grande diversité. C’est pourquoi je ne définis pas ça comme «mon» projet, «mon» identité, mais plutôt comme un souhait de multi-identités. En termes de formats, de disciplines, mais aussi de statut, de développement. À côté des spectacles déjà un peu subventionnés, soutenus par des structures établies, portés par des compagnies contrat-programmées, je tiens vraiment à continuer à faire apparaître de très jeunes artistes, des compagnies émergentes – qui n’ont pas besoin d’être jeunes pour émerger, d’ailleurs, c’est une confusion qu’on fait trop souvent [rires].
Sans oublier la convivialité du lieu, l’âme de l’endroit!
Les premiers souvenirs que j’ai des Doms sont placés sous le signe de cette extrême convivialité: l’endroit où bien sûr tout le monde se retrouve, échange, découvre. Est-ce le fait d’être Liégeoise? en tout cas je ne pourrais pas m’en empêcher: j’ai très envie d’un lieu très ouvert, vivant, où les gens ont envie de rentrer, de se rencontrer, de se donner rendez-vous, peut-être même d’abord pour prendre un verre ensemble, et puis se dire tiens, c’est vrai, il y a des spectacles ici, qu’est-ce que j’irais bien voir? Bref, que le lieu reste très accessible, à tous points de vue.
Je sors d’avoir coorganisé en juin, à trois compagnies, le festival Caravansérail, à Liège. Un des grands axes a été de réfléchir à l’accessibilité, à la gamme de prix, à ce qui fait que les gens n’ont pas peur d’entrer, voire en ont envie. Et ça aussi, par les temps que nous sommes en train de vivre, ça me paraît plus qu’important: essentiel.
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