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Ixchel Mendoza Hernández dans Angela, a strange loop | © Julian Röder

Le KFDA commence fort avec Angela, a strange loop

Émois

Vous me direz, et vous aurez raison : la scène contemporaine actuelle ne carbure plus autant qu’avant à l’obsession de la nouveauté, à l’avant-garde, à la recherche de l’artiste total qui va tout réinventer avec des outils radicaux de mise en scène. On se méfie maintenant, pour plein de raisons légitimes, des metteurs en scène vedette encensés il y a dix ans pour leur radicalité et leurs pièces aux structures complexes et à grand déploiement. On s’épuise un peu aussi devant les esthétiques vidéographiques utilisant le concept de la fabrication d’un film en direct. L’heure est à une création collective plus égalitariste, qui se méfie de la toute-puissance du metteur en scène et de ses esthétiques tonitruantes. L’heure est aussi à une parole plus ancestrale ou plus communautariste, célébrant des identités marginalisées dans des codes spectaculaires et des structures qui ne cherchent plus tant à réinventer qu’à « ré-activer ». Et qui demandent un autre angle de regard.

Et tout cela est très bien.

N’empêche, quand débarque de Berlin une metteuse en scène encore tout à fait méconnue en Europe francophone, et qu’elle propose une grande forme spectaculaire à l’esthétique tout à fait surprenante, sur laquelle on n’hésite pas à coller l’étiquette de « l’avant-garde », ça fait un bien fou!

Ixchel Mendoza Hernández dans la scène d’ouverture de Angela, a strange loop. ©Julian Röder

C’est le cocktail proposé par Angela, a strange loop. Un spectacle à la fois déconcertant et envoûtant, à l’image des mondes augmentés que ce spectacle évoque en se questionnant sur les frontières entre le réel et le virtuel dans nos vies. Une pièce baignée d’inquiétante étrangeté, où l’appartement banal d’Angela devient doucement espace virtuel rétrofuturiste, espace de rêves et d’inconscient, et lieu d’expression brûlant des pulsions de vie et de mort, mais dans un constant brouillage du réel, comme à travers un étrange filtre pixelllisé qui nous inquiète autant qu’il nous enrobe, nous happe, nous fascine, et fait miroir à notre profonde humanité, qu’on le veuille ou non.

Passons vite sur les prémices narratives. Même si la pièce se structure en trois parties non-nécessairement linéaires, avec de légers allers-retours dans la temporalité et une logique onirique, le point de départ d’Angela, a strange loop reste un peu anecdotique. Nous voici dans l’appartement d’Angela, une Youtubeuse ou une streameuse bien de notre époque, qui souffre d’une maladie dont elle expose la progression à ses followers. Heureusement, cette narration n’est pas le centre de la pièce, même si elle l’inscrit dans un contexte, ou lui sert de démarrage, et permet d’embrayer vers des considérations plus philosophiques peu à peu.

Susanne Kennedy et Marcus Selg ©Bea Borgers

L’essentiel est ailleurs. Dans le jeu des comédiens, notamment. Angela, ses amis et sa mère, sont des humains au rythme légèrement décalé, dont les corps sont à a fois vifs et figés, à la fois naturels et ralentis, comme perpétuellement soumis à une hypnose légère. Leurs voix, pré-enregistrées et rejouées en lypsinc légèrement désynchronisé, donnent à la pièce des airs de film doublé par une intelligence artificielle pas encore complètement au point, mais néanmoins étrangement humaine.

C’est tout autant posthumaniste, évoquant par exemple les robots androïdes japonais du professeur Ishiguro, que vidéoludique, rapprochant l’homme de ses avatars aujourd’hui hautement sophistiqués des jeux vidéo. Et c’est néanmoins profondément low-tech – la mise en scène s’amusant ironiquement à inventer un monde virtuel qui sent la naphtaline même s’il utilise des technologies avancées, entre autres des générateurs de fractales 3D et des logiciels de modélisation de pointe. C’est le travail brillant de l’artiste multimédia Marcus Selg.

Angela, a strange loop | © Julian Röder

Une expérience immersive et réflexive que l’on vous souhaite de vivre. Au moment d’écrire ces lignes, il reste une représentation (13 mai) au Théâtre National. Les festivaliers avignonnais pourront se reprendre cet été.


Angela, a strange loop
En grande première mondiale au Kunstenfestivaldesarts
Du 11 au 13 mai 2023 au Théâtre National Wallonie-Bruxelles
Concept, textes et mise en scène : Susanne Kennedy | Scénographie et concept de scène : Markus Selg | Performeur·euses : Diamanda La Berge Dramm, Ixchel Mendoza Hernández, Kate Strong, Tarren Johnson, Dominic Santia | Voix: Diamanda La Berge Dramm, Cathal Sheerin, Kate Strong, Rita Kahn Chen, Rubina Schuth, Tarren Johnson, Susanne Kennedy, Ethan Braun, Dominic Santia, Ixchel Mendoza Hernández, Marie Schleef, Ruth Rosenfeld


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