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Michel Francois, agave, 1998-2000, plante miel billes de polystyrene. ©Michel Francois

Contre Nature

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Une visite déconcertante?

Les avis sur cette exposition divergent et il est vrai que le polymorphisme créatif de Michel François – pour ne pas parler de boulimie artistique – peut parfois nous égarer. On s’accordera pourtant à dire que c’est un artiste conceptuel qui ne craint pas d’éprouver la matière, la forme ou l’espace. Il expérimente toutes les pistes qui prennent forme dans son imaginaire, et il y en a beaucoup!

Vue de l’expo de Michel François à Bozar ©JP.

Une médiation audacieuse, mais juste

Bozar présente le parcours comme une «extension de l’atelier de l’artiste» et qualifie l’expo «d’œuvre d’art totale». L’artiste est, en effet, extrêmement prolifique. On accède, d’une pièce à l’autre, à son univers tantôt poétique, tantôt fantasmagorique. On retrouve dans les nombreuses inspirations de Michel François un soupçon d’Arte Povera associé à une tendance surréaliste.

Art conceptuel des années 1960: l’essor d’un art contestataire anti-marché

J’évoque ici l’Arte Povera pour son rapport brut à la matière, l’empreinte et les énergies supérieures qui «précèdent l’homme et lui subsisteront». Je pense notamment au magnétisme, aux corrosions chimiques (Jardin contre nature) ou encore au travail de l’argile qui marquent à la fois le passage du temps et celui d’un état de la matière à un autre.

©JP

On retrouve aussi la confrontation contestataire de la matière organique avec les matériaux industriels. En effet, si on prend Igloos di Giap de Mario Merz (1968) et la Retenue d’eau de M. François (1968-2023). Il s’agit, dans les deux cas, de dénoncer, par le principe d’accumulation et d’opposition des matières, d’une part, pour Merz, le système économique capitaliste qui se met en place dans les années 1960 en Italie, et d’autre part, pour François, d’évoquer le changement climatique, par une sacralisation d’une denrée originelle et commune: l’eau.

Igloo de Giap, Mario Merz ©Adagp, Paris
La retenue d’eau, Michel François ©JP

La tendance à la suspension est cependant plus marquée chez Michel François. Comme on peut le constater avec Paraphernalia (2018), la répétition de la technique sert le même propos. Des fils de laitons sont tendus et soutiennent ce qui semblent à première vue être des bouteilles en verre. En s’attardant sur l’œuvre, on s’aperçoit qu’il ne reste plus que le négatif de la bouteille: une résine coulée dans la bouteille subsiste à l’objet lui-même, ayant fait office de moule.

Paraphernalia, Michel François ©JP               

Ici, la création passe par la destruction: la bouteille en verre est cassée pour faire apparaître l’œuvre finale. Tout comme dans Walking Throught Miror Tubes (2020-23), l’axe performatif fait partie intégrante du processus créatif: la destruction est expérimentale et mène à l’œuvre finale. De la même manière que pour l’Arte Povera, il est toujours question chez Michel François de mettre en lumière les contrastes, d’opposer par un jeu subtil la différence laissée par l’action, de manipuler l’illusion laissée par la matière.

Walking Through Miror Tubes, Michel François ©JP

Le surréalisme latent dans l’œuvre de Michel François

L’approche surréaliste se ressent surtout dans son rapport anecdotique à la mise en scène de certaines installations. Dans une pièce assez étroite, vous pourrez par exemple découvrir l’œuvre intitulée Agave (2023): un aloé vera imposant dont les pointes arborent des œufs blancs. Une fois encore, l’œuvre est à interpréter dans son ensemble. Elle est encadrée par deux bas-reliefs en céramique nommés respectivement The Wax Revenge et The Sand Revenge (2018). Ces deux éléments représentent un poulpe et orientent l’installation vers la répétition d’un motif. La réflexion sur la forme est centrale et passe par plusieurs matières, sans que l’on ne puisse réellement trouver un sens ou une cohérence quelconque à la composition. On peut y voir une revisite de l’hypertrophie des objets de Magritte (Les valeurs personnelles, 1952) ou de ses questionnements sur la réalité. En effet, certaines propositions dans les installations vous mèneront à chercher un sens et une forme de rationalité là où il n’y en a apparemment aucune. Certains éléments deviennent des motifs à part entière, comme l’œuf, le chapeau ou le cercle, que l’on retrouve de manière récurrente tout au long de l’exposition.

Comment appréhender l’exposition?

Pour y adhérer pleinement, il faut peut-être vivre cette exposition comme un rêve éveillé. Car le rythme et le thème des salles n’ont pas comme mot d’ordre la cohérence, bien au contraire! Suivre ce schéma classique de présentation n’aurait pas rendu hommage à l’œuvre bouleversante de Michel François.

Les deux premières salles, plus subtiles, nous accueillent avec des installations immersives. On peut les vivre ou chercher à les comprendre, et les deux approches sont intéressantes. Chaque espace est une nouvelle proposition dont l’interprétation passe par la lecture des œuvres qui y sont présentées. Ainsi, vous pouvez prendre le livret à l’entrée de chaque pièce après avoir appréhendé chaque œuvre.

La nature y est confrontée à l’humanité: l’organique s’oppose à l’ingénierie humaine, au bâti. La justice est mise en lumière et on y découvre ses différents pendants. Le pénitentisme imposé par le contrat social – référence au panoptique de Michel Foucault (Surveiller et punir, 1975) – y dialogue avec l’idéologisme religieux (la crucifixion), pour mieux exposer l’horreur du jugement humain.

Les pièces suivantes explorent les notions de preuve, trace, matière, pour n’en citer que quelques-unes. On y retrouve toujours une logique qui s’inscrit dans la lignée de l’Arte Povera. La récupération de matériaux industriels dialogue avec une nature organique et minérale. L’argile ou l’obsidienne, par exemple, endossent un rôle à la fois symbolique et minéral. La force invisible de la matière et la trace laissée, visible.

Retenue d’eau, Michel François ©JP

Les enroulements

Ces productions illustrent assez bien les propos précédents sur la pratique de l’artiste. La matière du papier est en réalité une matière organique identique à l’argile, bien qu’elle dispose d’une temporalité différente: elle est transformée par la main de l’homme. L’énergie est pourtant la même. Une mise en abîme de cette énergie – par l’enroulement du papier – marque la forme des œufs d’argile. C’est un jeu d’équilibre et de cause à effet. Ici, la finalité est tout aussi intéressante que le processus. Et la forme est encore essentielle à la lecture de l’œuvre: elle fait songer au cerne d’un arbre. C’est une évocation de la matière initiale (le bois) et de la temporalité (les cernes), qui fait à nouveau contraster l’organique et l’industriel. D’autres enroulements ressemblent davantage à la coupe de géodes, intégrant la matière minérale, tout comme avec l’enroulement de l’obsidienne (2017), cette pierre ésotérique bien connue. Ce sont des lectures par couches qui s’offrent à nous, sans fin.

Conclure

Michel François est un artiste complet tant dans la production que dans le choix des médiums utilisés. L’interprétation de sa pratique est aussi large que sa production. Afin de vous permettre une immersion dans son œuvre, nous avons proposé deux axes de lectures basés sur des mouvements artistiques. Mais gardez à l’esprit que son travail est beaucoup plus vaste et englobe de nombreuses réflexions philosophiques, politiques, écologiques, idéologiques, et religieuses. Dans l’art conceptuel, vous pouvez toujours obtenir des explications. Mais je suis une fervente partisante de l’indépendance de la pensée. Soyons ouverts et tirons nos propres conclusions. L’art conceptuel est un art affranchi, dont l’existence dépend en partie de son interaction avec le public.

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Michel François, Contre nature, Bozar, à voir jusqu’au 21 juillet 2023.


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