Marionnettes et manipulations
En chantier14 mars 2022 | Lecture 1 min.
Tu es comédien de formation, comment s’est faite la rencontre avec la marionnette?
Avec la compagnie Point Zero, on a toujours été dans une recherche plastique. On travaillait avec Natacha Belova comme costumière et on faisait des essais sur des costumes qui allaient vers le masque: c’était des costumes en latex qui déformaient le corps et c’est tout naturellement qu’on allait un peu vers tout ce qui est mannequin, masque… J’avais déjà utilisé pas mal de masques et j’avais envie de travailler sur le thème de l’identité. Je cherchais un auteur. Comme j’avais déjà monté un texte d’Alejandro Jodorowsky (Opéra Panique en 2004) et qu’on s’était vraiment bien entendu, je me suis dit: pourquoi ne pas lui proposer.
Il y avait à l’époque une pièce, un embryon de pièce, dix pages… C’était quelques scènes jetées comme ça sur le papier, à l’époque elles étaient encore en espagnol. Et ça m’a plu, ça s’appelait L’école des ventriloques. On a foncé dans l’aventure. C’est une pièce qui se passait dans une école de ventriloques, de marionnettes… Il nous a donc poussé dans la marionnette, on a été obligés de s’y mettre et heureusement… c’est le début d’une très belle et très longue aventure! Depuis lors, elles ne m’ont plus quitté, quand j’essaye de m’en débarrasser, elles reviennent toujours par un autre côté, tu fermes la porte et elles rentrent par les fenêtres…
Ça, c’est le chemin. On reste une compagnie de théâtre qui utilise des marionnettes et c’est vraiment cette relation entre l’acteur et les marionnettes qui nous intéresse.
Comment se déroule le processus de création, comment se tissent les relations entre acteurs, textes et marionnettes?
On travaille par laboratoires. On a la chance d’avoir un lieu qui appartient à la compagnie, ça permet d’avoir pas mal de laboratoires de recherche et on essaie de trouver pourquoi elles seraient pertinentes ou pas, on essaie de voir ce que dramaturgiquement la marionnette peut apporter. Pour L’herbe de l’oubli par exemple, on savait qu’on voulait de la marionnette, on savait qu’on voulait travailler sur Tchernobyl, on a été faire les interviews… Mais on trouvait que ça n’allait pas de faire dire les textes par les marionnettes, c’était presque insultant par rapport aux personnes qui témoignent, d’autant que les marionnettes étaient assez chargées esthétiquement, elles sont assez lourdes, elles n’inspirent pas la joie de vivre. On s’est dit que les marionnettes pouvaient être comme une matérialisation des radiations elles-mêmes; c’est notre interprétation. Le propre de la radiation est inodore, impalpable et pourtant elle est présente et donc on est parfois dans des paysages merveilleux, on est bien accueillis, il y a des tables magnifiques et pourtant les radiations sont là… et les marionnettes permettaient de faire exister ça sur le plateau.
On n’hésite pas à jeter les marionnettes si ça ne fonctionne pas, si on n’en trouve pas la pertinence, on essaye qu’elles ne soient pas gratuites, esthétisantes, c’est une recherche, il n’y a rien de gagné.
Quand et comment se déroule la conception de la marionnette au sein du processus de création?
En général, on décide avant. Il y a un aspect recherche de la marionnette qui nous intéresse, les possibilités sont tellement grandes, tellement larges, ça se décide toujours en amont. Là, par exemple, je vais monter Le songe d’une nuit d’été avec plein de marionnettes, une vingtaine, pour le Théâtre de Poche. On a fait une fiche d’identité pour chaque marionnette et on va avoir toutes les marionnettes avant de commencer.
Le travail d’invention et de conception dépend donc de chaque spectacle mais aussi des gens avec lesquels on va travailler. Avec Natacha Belova, on avait un contact très régulier et très nourri sur le plan de la recherche, de la dramaturgie, on se voyait sans arrêt. Sur les deux derniers spectacles, avec Ségolène Denis qui ne vient pas du théâtre, on s’est moins vu, on travaillait davantage sur le plateau. Et là, avec le nouveau spectacle, on collabore avec Loïc Nebreda. C’est à nouveau quelqu’un qui vient du théâtre, il y a beaucoup de discussions et on cible beaucoup plus en amont. On a fait une banque de données des marionnettes. Sur cette base, Loïc Nebreda va faire des dessins et, si on est d’accord, il va faire les moules, en accord aussi évidemment avec la costumière. On va ensuite commencer les répétitions avec les marionnettes; il y a toujours des allers-retours, des adaptations, c’est obligé étant donné que la somme de marionnettes est tellement énorme…
C’est la première fois que tu adaptes un grand classique?
J’avais fait un autre Shakespeare, c’était La Tempête. Je me suis un peu planté, je crois que j’ai été trop poli avec Shakespeare… J’avais eu la chance de rencontrer André Marcovicz qui est traducteur de Shakespeare et de Dostoïevski principalement et qui est d’une richesse incroyable. Il est venu travailler avec nous pendant une semaine et il nous a tellement donné l’amour de Shakespeare en nous montrant que chaque virgule, chaque mot était tellement réfléchi, tellement beau, que je n’ai pas osé trahir Shakespeare… Je pense finalement que ça ne convenait pas à la marionnette. La marionnette s’épuise rapidement sur les longs monologues, ça ne marche pas toujours. Ça marche vraiment bien dans l’action mais sur de longs monologues ce n’est pas gagné. Il y avait de belles choses mais le spectacle n’a pas été là où il aurait pu aller…. Pour Le Songe, c’est moi qui me charge de l’adaptation de Shakespeare et je me permettrai de faire sans arrêt des allers-retours avec les acteurs et le plateau, on amènera beaucoup de nous là-dedans.
Pourquoi monter ce texte-ci en particulier?
C’est un texte que je travaille beaucoup à l’IAD (L’Institut des arts de diffusion) avec les étudiant·es. Il est assez jouissif, il y a tout l’aspect féérique pour lequel on peut imaginer aisément des choses pour les marionnettes… Mais ce n’est pas finalement tellement ça qui m’intéresse. Ce qui m’intéresse c’est plutôt sur le traitement des amoureux: la marionnette me permettrait de raconter en même temps l’histoire des manipulateurs et des marionnettes, on pourrait inverser les genres, se dire par exemple qu’il y a un homme qui manipule un personnage féminin et, de l’autre côté, c’est la même chose… On peut alors parler d’homosexualité, de pansexualité, et tout cela sans dire un seul mot! La marionnette m’intéresse dramaturgiquement à cet endroit-là: elle offre le moyen, tout en restant ludique et en amenant beaucoup de fantaisie, de parler d’aujourd’hui, de la libération autour des genres et ce de manière festive.
Vous aimerez aussi
« Des Teufels Bad » de Veronika Franz et Severin Fiala
En ce moment30 janvier 2025 | Lecture 4 min.
épisode 3/3
«Quelque chose de paisible, de tranquille et de beau»
En ce moment30 janvier 2025 | Lecture 1 min.
épisode 2/3
Les hauts et les bas d’un théâtre de crise climatique à Avignon
Grand Angle22 juillet 2024 | Lecture 9 min.
[PODCAST] Louise Baduel dans les paradoxes de l'écologisme
En chantier6 juin 2024 | Lecture 2 min.
épisode 10/10
Entre Strasbourg et Liège, des livres inattendus
En chantier1 juin 2024 | Lecture 5 min.
épisode 8/9
[PODCAST] KFDA 2024 L'art public selon Anna Rispoli
En chantier18 mai 2024 | Lecture 2 min.
épisode 2/2
[PODCAST] 13 ans de création aux Brigittines racontés dans un livre
En chantier3 mai 2024 | Lecture 1 min.
épisode 9/10
L'achronique de Karolina à Rile* Books: being iconic, clubbing et micropoèmes flamands
En chantier22 avril 2024 | Lecture 5 min.
épisode 7/9
Le zine s’institutionnalise-t-il? Interview avec Karolina Parzonko
En chantier22 avril 2024 | Lecture 7 min.
épisode 6/9
[VIDÉO] COLLEUSES FÉMINISTES ET COLÈRE DANS L’ESPACE PUBLIC AU THÉÂTRE VARIA
En chantier11 avril 2024 | Lecture 1 min.
Ma déficience visuelle ne devrait pas être un frein
Émois10 avril 2024 | Lecture 1 min.
épisode 1/1
[VIDÉO] Dans l'atelier grouillant de Julie Larrouy à Saint-Gilles
En chantier7 février 2024 | Lecture 1 min.
épisode 3/3
[VIDÉO] Théâtre et quartiers populaires avec Yousra Dahry
Grand Angle16 novembre 2023 | Lecture 2 min.
[PODCAST] Arco Renz et Danielle Allouma en spirales hypnotiques
En chantier8 novembre 2023 | Lecture 2 min.
épisode 8/10
[PODCAST] Chloé Beillevaire et Sabina Scarlat, bouffonnes en collants
En chantier8 novembre 2023 | Lecture 2 min.
épisode 7/10
[PODCAST] Karine Ponties au confluent du réalisme et de l'abstraction
En chantier8 novembre 2023 | Lecture 2 min.
épisode 6/10
[PODCAST] Le pouvoir des ondes sonores avec Marielle Morales
En chantier8 novembre 2023 | Lecture 1 min.
épisode 5/10
[VIDÉO] Lumière sur le vitrail dans l'atelier de François et Amélie
En chantier7 août 2023 | Lecture 1 min.
épisode 2/3
[VIDÉO] Valse des matériaux dans l'atelier de Jacques Di Piazza
En chantier27 mai 2023 | Lecture 1 min.
épisode 1/3
[VIDÉO] Boucles infinies avec Arco Renz et Danielle Allouma
En chantier18 avril 2023 | Lecture 1 min.
[VIDÉO] Chloé Beillevaire et Sabina Scarlat, étonnantes «folles du roi»
En chantier12 avril 2023 | Lecture 1 min.
[VIDÉO] L'ART SUBTIL DE LA RELAX PERFORMANCE AVEC SIDE-SHOW
En chantier30 mars 2023 | Lecture 1 min.
Nedjma Hadj Benchelabi: programmatrice-dramaturge
Au large28 mars 2023 | Lecture 1 min.
épisode 5/6
Abdel Mounim Elallami, un premier solo, un premier prix!
Au large27 mars 2023 | Lecture 0 min.
épisode 3/6
[VIDÉO] Entre l'audible et l'invisible avec Marielle Morales
En chantier15 mars 2023 | Lecture 1 min.
La très belle métamorphose d’une traduction des Métamorphoses
Grand Angle18 novembre 2022 | Lecture 1 min.
[VIDÉO] Au fin fond des temps avec la compagnie Mossoux-Bonté
En chantier18 octobre 2022 | Lecture 1 min.
Comédien et guide à l’Africa Museum de Tervuren
Grand Angle1 juillet 2022 | Lecture 1 min.
épisode 15/18
Compositrice-interprète et responsable de revue
Grand Angle1 juin 2022 | Lecture 1 min.
épisode 14/18
«Faut pas dire à qui je ressemble, faut dire qui je suis.»
Émois21 avril 2022 | Lecture 1 min.
épisode 2/3
Saxophoniste et importateur d'huile d'olive
Grand Angle11 avril 2022 | Lecture 2 min.
épisode 8/18
Archipel
En ce moment23 mars 2022 | Lecture 4 min.
«L'amour c'est compliqué, les sentiments sont profonds.»
Émois14 février 2022 | Lecture 1 min.
épisode 1/3