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©Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Voir la mer et survivre

Émois

«Il n’y a pas de petites résistances»: cette phrase de l’arrière-grand-père de l’artiste Camille Freychet a résonné peu de temps auparavant dans le jardin du Théâtre des Doms, où se tenait une première séance d’écoute collective consacrée à la création sonore et à l’art de la scène[1][1] Aux Doms, en collaboration avec la SACD, ACSR et Radiola. Une seconde séance se tiendra le dimanche 13 juillet de 11h à 12h30. Par ailleurs, la borne d’écoute Avignon on air est accessible pendant toute la durée du festival dans la cour du Théâtre des Doms..

C’est à Beyrouth, sa ville, qu’a éclos en avant-première la création d’Ali Chahrour avant sa venue à Avignon. Les premières minutes de When I saw the sea accueillent en voix off les témoignages de ses collaboratrices, tandis qu’une lumière frontale, insistante, chaude mais brutale, inonde le public. Les attaques et la peur. La fuite ou les pièges, l’incertitude, l’abandon, les espoirs épars rendant plus fragile que jamais le processus artistique.

©Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

«Il n’y a pas de petites résistances»: aussitôt l’écho s’impose, aussitôt l’émotion monte. «Malgré les multiples interruptions à cause des bombardements, mon équipe et moi sommes convenus que le seul outil dont nous disposions pour résister était notre art», indique d’ailleurs Ali Chahrour. Un art pluriel et séminal, où s’épousent danse, musique, théâtre, poésie, réalité.

Asservissement, abus, abandon

Une des réalités du Liban réside dans le Kafala, système régissant les conditions de vie des travailleuses et travailleurs migrants, notamment le travail comme domestiques, mais indépendant du ministère du Travail, et d’où en conséquence la protection des droits est évacuée. En maître absolu, le patron – ou la patronne – fait signer à ces personnes une manière de contrat qui les prive de tout lien pour seulement les contraindre. Pour une majorité, il s’agit de femmes venues au Liban dans l’idée de subvenir aux besoin de leur famille restée dans leur pays d’origine: Sierra Leone, Sénégal, Philippines, Éthiopie… Des esclaves d’aujourd’hui, asservies, abusées, mais aussi abandonnées quand la guerre fait rage.

Rania Jamal, Zena Moussa et Tenei Ahmad sont trois de ces femmes prises au piège du Kafala, et qui ont fui ce système. Trois témoins parmi une multitude. À présent trois interprètes, et plus que cela.

Chorégraphe de l’écoute

En chorégraphe de l’écoute, Ali Chahrour reçoit leurs récits. Elles les transmettent en paroles, en mouvements, en musique aussi avec les compositions de Lynn Adib et Abed Kobeissy, leur présence constante, voix, instruments, et écoute toujours.

Il y a dans When I saw the sea le paradoxe de ce moment: une travailleuse migrante laissée pour compte lorsque les bombes pleuvent sur Beyrouth, la peur au ventre et la joie, sa joie, de voir la mer pour la première fois. Il y a l’exil, la perte, la dépossession, et la résistance dans l’infime comme dans l’immense.

Il y a la lenteur comme un baume pour, tout à la fois, dire et contenir le pire. Et par dessus tout il y a une onde de sororité. Bien au-delà de la notion parfois dévoyée, elle retrouve ici ses pleins pouvoirs de confiance, de tendresse, d’empouvoirement. Si la transcendance de la souffrance bouillonne en son cœur, la pièce se garde de toute ostentation, au profit de l’intime, intense, déchirant, évidemment politique.

Rania, Zena, Tenei sont là pour elles-mêmes et pour toutes les autres. Leurs mots, leurs gestes engagent le corps tout entier, des talons aux cheveux, sans jamais oublier l’âme. Messagères de ce que peut l’art par-delà la beauté: résister.

Zena Moussa, Tenei Ahmad et Rania Jamal, actrices et danseuses, avec Abed Kobeissy et Lynn Adib. ©Christophe Raynaud de Lage / Festival d’Avignon

Présenté du 5 au 8 juillet au Festival d’Avignon, When I saw the sea sera aux Tanneurs, à Bruxelles, les 9, 10 et 11 décembre 2025.


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