RECHERCHER SUR LA POINTE :

Marie-Juliette Ghazarian, Ars Nova, novembre 2024 ©MF-©Chapelle-22

Décloisonner l’opéra

En chantier

Laurence Van GoethemComment es-tu devenue chanteuse lyrique?

Marie-Juliette GhazarianVers 6, 7 ans j’ai commencé l’initiation à la musique au Conservatoire (l’équivalent des académies en France). Je jouais du clavecin et je chantais dans des chorales. J’ai la chance d’avoir des parents très mélomanes qui écoutaient beaucoup de musique classique et d’opéra. J’ai donc baigné dans cette culture-là depuis toujours. Je collais mes oreilles sur les enceintes pour mieux entendre, j’étais fascinée, surtout par les voix, et surtout par celle de Maria Callas!

Quelle a été ta première émotion esthétique?

Un récital de Cecilia Bartoli au théâtre des Champs-Élysées à Paris. J’étais petite, et c’est mon premier souvenir d’émotion ultra intense, vraiment, j’étais en larmes. On avait aussi la cassette de l’opéra Carmen en version «film» avec Julia Migenes, je l’ai regardée des dizaines et des dizaines de fois.

C’était donc une vocation chez toi de devenir chanteuse lyrique?

Oui, depuis toujours, quand on me demandait ce que je voulais faire plus tard, c’était chanteuse d’opéra. Après, pendant l’adolescence, j’ai aussi été attirée vers d’autres musiques, j’ai eu quelques groupes, j’ai testé des choses, j’ai eu un groupe de dubstep, un groupe d’electropop.

Et après ton Baccalauréat tu as continué le Conservatoire?

Pour rassurer ma mère, j’ai d’abord fait des études de lettres à La Sorbonne (rires). C’était intéressant d’avoir une ouverture sur d’autres métiers liés à la culture, des cours de cinéma, d’édition, de journalisme. En parallèle, vers 19 ans, j’ai commencé le chant lyrique, dès que mon corps était formé pour ça.

Quand as-tu décidé d’en faire vraiment ton métier?

Maintenant, il faut se lancer, sinon ce sera trop tard et je le regretterai toute ma vie.

Après mon Master, je me suis dit, maintenant, il faut se lancer, sinon ce sera trop tard et je le regretterai toute ma vie. Comme je voulais aussi quitter la France, quitter Paris, j’ai tenté les examens d’entrée aux Conservatoires de Bruxelles et d’Amsterdam, j’ai été prise aux deux mais j’ai choisi Bruxelles. Je suis restée ici 48 heures et j’ai vraiment adoré la ville, l’accueil au Conservatoire, ça a été une évidence. En parallèle, dès ma deuxième année, je suis entrée à l’Académie de la Monnaie, la MM Academy.

C’est quoi la MM Academy?

C’est un concept assez original. Pour entrer dans la MM Academy, il faut être élève d’un Conservatoire et on commence dans l’Académie de chœur de la Monnaie avec laquelle on participe à une ou deux productions par an. C’est une expérience formidable, parce que ça permet vraiment de voir comment ça fonctionne de l’intérieur, d’évoluer avec les artistes sur scène, de comprendre le travail de mise en scène.

Quelle était la première production à laquelle tu as participé?

La version concert de «Robert le Diable». Mon premier «vrai» opéra à La Monnaie, c’était «Jeanne d’Arc au bûcher» et celui où le Chœur avait vraiment un rôle sur scène, c’était «Les Contes d’Hoffmann»; ça, c’était incroyable, magique.

Comment fait-on pour trouver du travail en tant que chanteuse soliste?

Dès qu’on est en Master, on peut passer une audition pour devenir soliste à la MM Academy. J’ai passé cette audition-là et j’ai été sélectionnée, et à partir de ce moment-là, on peut avoir des propositions de petits rôles sur des productions, on a des concerts de temps en temps, pour les mécènes, les sponsors…
Et on bénéficie de beaucoup de coaching. Je suis accompagnée par Angélique Noldus. Après, on peut passer une audition pour devenir lauréat·e, c’est ce que j’ai fait au mois de juin dernier. C’est un peu l’aboutissement de la MM Academy.

Tes parents sont rassurés maintenant? (rires)

Oui. Ça c’est bon, c’est fait!

Est-ce que tout ce parcours te donne pour autant une bourse ou des financements?

Une bourse, non. Il en était question à une période mais ça n’a pas pu se faire. Mais une fois soliste le parcours nous permet quand même d’avoir nos premiers cachets ainsi que de bénéficier de tout cet accompagnement, ce qui peut habituellement coûter très cher pour un étudiant ou jeune professionnel. Et ça donne aussi une belle carte de visite.

Tu es aussi à la Chapelle musicale Reine Elisabeth. Comment ça se passe là-bas?

Je suis entrée à la Chapelle musicale Reine Elisabeth en même temps que je suis devenue «Soloist» de l’Academy, les deux ne sont pas incompatibles. Au contraire, ça se complète bien. À la Chapelle, on a des sessions de coaching de trois, quatre jours, environ tous les mois, avec les Maîtres en résidence de la Chapelle.

On va chanter dans des hôpitaux, dans des prisons, dans des maisons de repos.

On participe aussi à de nombreux concerts. On va chanter dans des hôpitaux, dans des prisons, dans des maisons de repos aussi. Je suis allée chanter récemment aux Ursulines, par exemple. Il y a aussi ce qu’ils appellent les concerts de prestige qui ont lieu dans de très belles salles.

©MAD – Fashion Moves www.wallisannika.com – 06 Jun 2024 – 195836 – H7A7596

Comment fais-tu en dehors de ça pour te faire connaitre à l’international?

Je passe quelques concours, même si j’avoue que je suis pas très «concours»… Mais je pars demain à Dublin pour en passer un! C’est important pour se faire connaître et je commence à arriver aussi à l’âge limite pour y participer. Ça permet aussi de voyager, de découvrir différents fonctionnements d’opéra, d’élargir ses horizons. Chaque pays a un rapport particulier à l’opéra et à la musique.

Je crois que tu participes aussi à d’autres projets plus «théâtraux». D’où te vient ton amour du théâtre?

Oui, je participe à une pièce de théâtre musical, «GOUD!», créée en octobre 2024. Un opéra de Leonard Evers sur un livret de Flora Verbrugge. C’est un seul en scène avec le jeu de percussions de Laura Trompetter. C’est un spectacle formidable que les enfants adorent, et un sacré challenge pour moi, parce qu’il y a différents rôles à jouer. J’ai aussi un projet personnel, «Cabaret Songs», un programme de concert piano-voix avec Marie Datcharry.
Nous sommes toutes les deux passionnées de comédies musicales hollywoodiennes des années 1950 et nous avons rêvé ce programme durant la période Covid pendant laquelle on avait besoin de fraîcheur et de légèreté. On est donc allées puiser chez des compositeurs comme Kurt Weill, Gershwin, Britten mais également chez des compositeurs vivants comme Bolcom ou encore Frank Nuyts, qui a arrangé un de ses morceaux spécialement pour nous. Nous avons déjà donné deux fois ce programme, à la Chapelle et à la Monnaie et nous espérons pouvoir le faire tourner dans d’autres salles, avec en plus une mise en scène inspirée de toutes nos références cinématographiques!
Au Conservatoire de musique, on avait des cours d’art lyrique avec Marianne Pousseur. Le théâtre, le jeu, m’a toujours fascinée. Déjà Maria Callas que j’ai beaucoup écoutée petite, elle a fait en sorte que le chant lyrique sorte un peu du carcan dans lequel il était enfermé. Pendant mes études, avec une amie qui avait étudié le mime et le théâtre, on a aussi monté un petit atelier nous-mêmes. Ça m’a donné une petite approche différente.

Goud! ©Peter Claes et La Monnaie/De Munt .

Au fond c’est la diversité que tu aimes dans l’opéra?

Oui, j’adore tout autant la période classique que le baroque (avec le clavecin, mon instrument de prédilection) ou le contemporain. C’est d’ailleurs ce que j’aime beaucoup aussi avec La Monnaie, c’est son côté expérimental: il y a beaucoup de tests, je trouve ça formidable. Après, ce sont des questions de goût, mais ils mélangent les genres, et c’est vraiment quelque chose qui est très important pour moi.

X EXPENDER
en concert mardi 11 février 2025 au Centre culturel Jacques Franck ©DR

Tu vas jouer aussi bientôt au Centre Culturel Jacques Franck, dans le nouveau groupe de Baudouin De Jaer, x expender. Qu’est-ce qui te plait dans ce projet?

Justement le côté décloisonnement des genres! Le côté à la fois expérimental et très rock. C’est complètement éclectique. Et puis les textes que je vais lire sur scène, le fait de ne pas devoir uniquement chanter mais d’essayer de faire chanter les mots avec la voix parlée. Les textes ont été écrits par des poètes mais aussi par des détenus, ou des enfants. Je trouve ça très inspirant! D’avoir un autre public aussi, différent de celui de l’opéra. Et puis il y a une très bonne ambiance, tout le monde est content d’être là.

On arrive à la fin de notre entretien. Y a-t-il un artiste ou un groupe de musique qui t’inspire particulièrement en ce moment?

Il y a un groupe que je suis depuis quelques années, Faux Real, deux frères franco-américains, qui font une sorte de pop, rock, électro, avec plein d’influences différentes. Je les ai vus en concert au Botanique et ce sont des bêtes de scène, c’est incroyable! Ils ont vraiment une énergie hyper entraînante. C’est une chose que j’aimerais bien voir un peu plus, parfois, dans la musique classique. Ils n’ont pas de barrière, ils sont vraiment eux-mêmes, et ils y vont à fond. ça m’a donné de l’énergie aussi pour moi-même, pour la scène et pour essayer de faire en sorte d’être la plus authentique possible, de rester fidèle à ce que j’ai envie d’être.

Pour aller plus loin:

Concert de x expender le 11.2.2025 au Centre Culturel Jacques Franck:
Baudouin de Jaer rassemble les musiciens de jazz Achille Gabry et Léo Chupin, élèves du Conservatoire de Bruxelles, le saxophoniste compositeur et improvisateur Jan Rzewki, le pianiste compositeur et improvisateur Fabian Coomans (musique contemporaine) et la mezzo-soprano lyrique Marie-Juliette Ghazarian.
X EXPENDER – Le Jacques Franck


Prochain événement de la MM Academy: le 11.3.2025 Stéphanie d’Oustrac | La Monnaie/De Munt
Young Opera Events

À l’occasion de la sortie du film Maria, la Monnaie s’associe avec le Cinéma Galeries pour une avant-première exceptionnelle célébrant l’héritage de Maria Callas.
AVANT-PREMIÈRE MARIA
4.2.2025 (18:30) • Cinema Galeries • 7 €
Young Opera Events | La Monnaie/De Munt

Le garçon et le poisson magique | Opera & Family | La Monnaie/De Munt


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