Un café avec Thomas
En ce moment2 mai 2024 | Lecture 1 min.
Décidément, ma ville regorge d’activités diverses et c’est aussi pour ça que je l’aime, elle et ses multiples festivals que l’on confond dans la multitude des acronymes.
La première fois que j’ai été au BPFF, c’était par curiosité mais je dois bien admettre que je ressentais un certain malaise et une grande timidité à l’idée de croiser des personnes de mon entourage – éducation judéo-chrétienne et parcours jésuite oblige. Le festival restant à mes yeux assez mystérieux, j’ai eu envie d’en savoir plus.
Raïssa Ay MbiloBonjour Thomas, peux-tu te présenter en quelques mots?
ThomasBonjour Raïssa, je suis membre du Brussels Porn Film Festival dont la troisième édition aura lieu d’ici peu (du 2 au 5 mai 2024). À la base, je fais partie d’un collectif de porno alternatif, le silly billy collective. Avec notre film, on avait fait la tournée des festivals européens et on était étonné·es qu’un tel évènement n’existe pas à Bruxelles, alors que ça pouvait s’y prêter au vu de la contre-culture qu’on y trouve et de l’ambiance assez ouverte de la capitale. C’est ce qui nous a poussé·es à lancer ce festival. On a contacté d’autres collectifs sur Bruxelles et à l’époque, il n’y en avait pas beaucoup! On s’est réuni·es à une trentaine de personnes pour réfléchir au type d’évènement qu’on voulait et à notre rapport à la pornographie. Cette phase a été assez lente. On a eu des difficultés à trouver un lieu pour accueillir l’évènement, à part le kinograph, aucun cinéma ne voulait vraiment se positionner.
Comment est né le BPFF?
C’est une organisation assez costaude! Ça fait cinq, six ans qu’on y pense, puis il y a eu le covid. On est passé·es de trente à cinq personnes pour la première édition, à mesure que le projet se concrétisait et que le temps passait. La deuxième année, quelques personnes nous ont rejoint·es pour aider et entre-temps, on réfléchissait à comment faire vivre le festival même en cas de désistement. L’organisation d’un festival, c’est quand même mettre sa vie de côté pendant un moment, y compris ses projets professionnels. Aujourd’hui, on est trente. Le festival est entièrement bénévole. La première année, on était à mille euros de subsides et le reste venait de nos fonds propres…
Penses-tu que ce soit lié à la nature du festival?
Je crois que la raison principale est que, pour une première édition, c’est normal de ne pas trouver de financement. Mais bien sûr, le sujet tabou ajoute une difficulté supplémentaire.
Je pense tout de même qu’en Belgique, il y a une certaine ouverture qui rend les choses moins compliquées qu’en France. Cette année, on a reçu plus d’aide.
Quelle est la nécessité d’un tel festival?
On peut avoir plein d’a priori sur un tel évènement, puis on se rend compte que c’est important politiquement. L’idée est de montrer le porno comme un genre à part entière et des films présentant une véritable esthétique, qui portent un discours et ont un rôle de représentation. Il y a eu plusieurs barrières politiques et juridiques qui ont empêché qu’on perçoive le porno comme tel. Projeter de tels films, c’est aussi permettre un espace d’échanges autour des représentations qu’on y voit, qui peuvent conditionner.
Dans le cinéma classique, on a banni les représentations misogynes, grossophobes, racistes mais dans le porno, comme c’est tabou et censé être consommé seul – l’apparition d’Internet et les législations successives ont poussé à une consommation isolée et solitaire – le travail n’a pas été fait à la même échelle. Il n’y a pas eu de discussion possible.
Notre objectif est donc de revaloriser le porno comme du véritable cinéma et de pouvoir en discuter ensemble.
Un de vos objectifs est donc de déconstruire un certain regard?
Oui, c’est la démarche d’Annie Sprinkle, qui était une grande actrice porno et qui a décidé de se défaire du regard des hommes en se filmant elle-même.
Elle évite ainsi le Male Gaze (regard masculin) et propose d’autres représentations qui ne soient pas hétéros, blanches, masculines…
Un autre enjeu était la représentativité: offrir une vision plus large des pratiques, des types de corps, etc. Au-delà d’une machine à fantasmes, le cinéma porno est aussi un monde professionnel qui fait partie du champs du travail du sexe. On a donc souhaité proposer des tables rondes qui font se rencontrer des acteurices et le public, où l’on discute des conditions de travail et de la question de la visibilité dans ce secteur.
Il y a un mouvement féministe, notamment porté par une juriste étasunienne, Catherine Mackinnon, qui dénonce le porno comme instrumentalisation du corps des femmes et objet, par essence, de la domination masculine. Pour elle: «Le porno, c’est la théorie et le viol, c’est la pratique». Nous, on soutient l’inverse. Effectivement, il peut être misogyne, raciste, mais c’est aussi un reflet de la société, non le contraire. Pour nous, plutôt que de censurer, il faut changer de posture: financer le porno alternatif et éthique et avoir un regard sur cette production, afin de changer les mentalités. Puis, on le sait, la censure – imposée à différents moments et basée sur des arguments différents – est inefficace.
Quels films sont programmés au BPFF?
Les pornographies alternatives, c’est un mot-parapluie qui recouvre plein de types de cinémas différents. Il y a plusieurs mouvements: le post-porn, le porno féministe…
Il y a une grande diversité dans ce genre. On programme autant des films faits avec des Iphones mais au contenu très intéressant, que des films de très bonne qualité qui passent à Cannes. L’an passé, par exemple, on a projeté «Amo» (Court-métrage d’Emmanuel Gras).
Nos critères de sélection sont la qualité filmique, le discours, la personne qui réalise (pour donner de la visibilité) et les coups de foudre personnels.
Comment découvrez-vous ces films?
Il y a un appel à films, d’une part, et puis on regarde ce qui est programmé dans d’autres festivals, y compris des festivals non centrés sur le porno: on constate que de plus en plus de frontières se cassent et des films présentant de la sexualité explicite sont programmés dans des festivals classiques. On tente d’avoir une ligne éditoriale mais c’est difficile d’avoir suffisamment de films qui entrent dans les différentes catégories qu’on pourrait envisager. Le cinéma porno alternatif est majoritairement fait sur fonds propres. Mais on a quand même quelques thématiques: cette année, on a une séance qui s’appelle «Vroum vroum», qui rassemble des films autour du roadtrip. On a également «Sex Canon», sur des figures iconiques de la pop culture qui ont été détournées, retravaillées par le regard pornographique. Cette séance est centrée sur le fantasme et les plaisirs solitaires. Pour le reste, c’est à découvrir dans notre livret.
En tant que programmateur, as-tu pu déjà percevoir l’influence du festival sur la scène porno belge?
C’est un des enjeux que je n’ai pas mentionnés: l’émergence d’une nouvelle scène. On voulait encourager ça aussi. On a vu plusieurs collectifs naître depuis. Le premier festival du genre, c’était en Allemagne et ça a aidé à y développer une culture porno assez pointue et exigeante. À Bruxelles, on n’en est pas encore là, on n’a pas encore développé cette culture-là ni suffisamment de matière… mais ça évolue!
À quel public, le festival s’adresse-t-il?
On vise un public assez large. On a vraiment tous les profils. Autant un public déconstruit et militant que des personnes qui découvrent les différents enjeux dont un enjeu social et politique défendu par le porno alternatif.
Découvrez le Brussels Porn Film Festival, du 2 au 5 mai 2024.
En plus des séances de films, il y a plusieurs activités annexes: des soirées festives, des soirées slams, des tables-rondes. Le tout est à découvrir dans le magnifique livret mauve qui couvre cette édition-ci et que vous pouvez trouver dans plusieurs espaces publics et culturels, comme les bars et les cinémas.
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