Comédien et guide à l’Africa Museum de Tervuren
Grand Angle1 juillet 2022 | Lecture 1 min.
épisode 15/18
Professions: Comédien et guide à l’Africa Museum de Tervuren (depuis 2018)
Formation: journalisme à l’ULB et autodidacte.
Dernière création: acteur dans La Claque, websérie de Sophie-Clémentine Dubois, RTBF. Comme journaliste et militant, il a collaboré à l’ouvrage Colonial Tales, Trails and Traces, dirigé par Nicholas Lewis (Luster éditions).
D’où est née votre envie de devenir acteur?
Mon lien avec l’art est venu à l’école. J’ai eu la chance d’étudier au collège Don Bosco, ce qui était rare pour une famille afro descendante du centre-ville. Il y avait un théâtre dans l’école. À ce moment-là, je n’avais pas encore compris que la culture pouvait être un outil émancipatoire. Un jour, une comédienne du théâtre Océan Nord est venue faire une animation en classe autour des techniques d’improvisation, ça m’a ouvert les yeux sur le monde de l’art. Mais ma famille était typiquement «assimilationniste», c’est-à-dire soucieuse de s’intégrer avant tout, quitte à «baisser la tête et longer les murs», comme on dit aux États-Unis. Pour mes parents, l’art et la culture n’était pas une option. Je ne m’autorisais donc pas moi-même à formuler cette possibilité.
Vous avez étudié le journalisme pour devenir ensuite comédien?
J’ai fait des études de journalisme à l’ULB avec orientation «animation socio-culturelle», mais j’étais plus sensible à ce qui se passait autour de l’université qu’au contenu des cours eux-mêmes, même si j’aimais déjà beaucoup la philosophie, le cinéma, et l’anthropologie. Puis j’ai suivi un stage dans une maison de jeunes et j’y ai monté divers projets artistiques. C’est comme cela que je suis entré de façon professionnelle dans l’art et la culture. Je n’ai pas fait d’école de théâtre proprement dit, mais j’ai suivi des workshops, avec Peter Brook, Jan Fabre, etc.
Qu’est-ce qui vous attirait dans l’art?
Avec le recul, je me rends compte qu’une des raisons qui m’a amené à être comédien, c’est le jour où j’ai vu et entendu Cahier d’un retour au pays natal d’Aimé Césaire, mis en scène par Daniel Scahaise, avec Etienne Minoungou. S’en est suivi un autre «choc»: M’appelle Mohamed Ali de Dieudonné Niangouna, toujours avec le même acteur, Etienne Minoungou.
J’ai été porté par ces artistes et par d’autres, comme Agnès Varda, surtout dans sa période américaine. Son film Black Panthers m’a beaucoup marqué. Je pensais un peu naïvement que l’art pouvait ouvrir l’imaginaire et contribuer à changer le monde.
Quel fut votre premier projet professionnel?
Les Nègres de Jean Genet, mis en scène par Dominique Serron en 2003. Jean Genet est le seul auteur blanc qui a une lucidité puissante par rapport à la colonisation. C’est un auteur qui devrait être enseigné dans tous les conservatoires pour aborder la complexité de la question de la mise en scène de l’altérité.
Comment êtes-vous devenu guide à l’Africa museum de Tervuren?
J’ai brutalement déchanté quand j’ai compris que le cinéma et le théâtre reproduisent le plus souvent l’imaginaire dominant. Quand j’ai vu que le musée de Tervuren cherchait de nouveaux guides dans une perspective holistique (pas uniquement des historiens de l’art), cela m’a tout de suite intéressé. Je connaissais déjà un peu ce musée, ses jardins et son énorme parc, mais je n’avais pas encore en tête toute la portée politique du lieu. Je me suis plongé pendant des mois dans des écrits de sociologie et d’anthropologie relatifs à cette histoire-là.
Qu’est-ce que cette expérience vous apporte?
Être guide dans ce musée-là, c’est pour moi une façon d’être vraiment ouvert au monde. Dans le contexte actuel de décolonisation des arts et des musées, je trouve que ma place a plus de sens au musée qu’au théâtre ou au cinéma. L’enjeu pour nous est de montrer la vision des dominés, leur histoire.
Dans l’éducation permanente, des discussions ont lieu, il y a davantage de vrais débats. Je m’inquiète souvent de la perspective des imaginaires des réalisateurs et des metteurs en scène contemporains quand vient le moment de montrer l’altérité. Dans les décennies qui vont suivre, il va falloir porter un autre regard sur l’Afrique.
Comment vos deux pratiques se nourrissent-elles mutuellement?
Mon expérience de guide a renouvelé complètement ma façon de voir le métier de comédien et d’acteur «racisé». Ce métier nourrit ma pratique et affine mon positionnement et mon regard dans la sphère artistique. Aujourd’hui, je choisis vraiment les rôles que j’ai envie d’endosser, et je sais expliquer mes refus. Encore récemment, j’ai refusé un rôle dans un court-métrage parce que le scénario présentait un personnage noir qui était doublement victime.
Je prends du recul aussi sur la réalité du terrain. Je refuse en bloc le mythe de l’artiste qui aurait une vision neutre du monde, qui pourrait soi-disant se décentrer. Je pense que cette posture du metteur en scène omniscient permet surtout d’éviter de remettre en question ses propres biais et reproduit l’inégalité des représentations du monde.
Citez un artiste, un livre, ou un lieu qui vous accompagnent dernièrement?
Film: Tout simplement noir, de Jean-Pascal Zidi et Johan wax (2020). (Jean-Pascal Zidi a reçu pour son film en 2021 le césar du meilleur espoir masculin.)
Livre: La dignité ou la mort de Norman Ajari. Une véritable critique de la modernité, ce qu’est en réalité la décolonisation. Le principe inaliénable de l’humanité est de veiller à sa dignité.
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