RECHERCHER SUR LA POINTE :

Lukas et Pierre, autoportrait. ©Dikave studio.

Dikave studio

En chantier

Lukas et Pierre ont réalisé les photos de notre série Recto/Verso qui s’appelait à ce moment-là autrement. À l’époque étudiants à l’école Le 75, ils ont répondu à une petite annonce que nous avions transmise à leur établissement: «Dans le cadre d’une série intitulée «Vivre de/pour son art?» (titre provisoire) dédiée aux artistes contemporains qui exercent (par passion ou pour des raisons financières) un second métier, nous sommes à la recherche d’un·e photographe (étudiant·e ou professionnel·le) afin de réaliser une dizaine de portraits.»

Lukas et Pierre sont colocataires, tous deux originaires de Montreuil, même s’ils ne se connaissaient pas avant d’emménager ensemble à Saint-Gilles. C’est chez eux que nous avons donné rendez-vous aux 18 artistes qui ont gentiment accepté notre rendez-vous, juste après le confinement d’avril 2020. Notre modus operandi était toujours le même: d’abord l’artiste-aux-deux-métiers était interviewé·e dans la cuisine de Lukas et Pierre, ensuite il·elle était invité·e à descendre au sous-sol, dans la cave aménagée en studio photographique. Lukas et Pierre les attendaient là avec leur appareil argentique de moyen format, pellicule 210mm: «C’est le format qu’on aime le plus; le 6/7inch nous permet d’avoir un autre rapport au sujet, on peut centrer en décalage mais en même temps resserrer les détails tout en gardant une composition claire.» nous diront-ils lors d’une entrevue réalisée plusieurs mois après notre première rencontre.

Pourquoi l’argentique?

Lukas et PierreOn aime ce temps qu’il faut parcourir avant de voir la photo: jusqu’au développement, c’est la surprise. C’est pas instantané et ça demande de la confiance l’un dans l’autre et en soi-même. Ce type d’appareil nous permet de tourner tout autour, de discuter. Et le processus après la prise de vue nous plait aussi: le développement, le tirage, le scan, la finalisation à l’ordinateur. Tout cet échange, on ne l’a pas avec le numérique. Et puis, il faut une certaine rigueur. On n’a pas le droit à l’erreur. Pour cette série, on faisait 5 prises en tout. Il fallait qu’il y en ait au moins une de bonne.

Que faisiez-vous avant d’arriver à Bruxelles et de fréquenter l’école de photo Le 75?

LukasJ’ai fait une formation en transport/logistique et ensuite, pour mon boulot, j’ai pas mal voyagé. Pendant les haltes, je faisais des photos avec mon téléphone et j’utilisais Instagram un peu comme un album photo. Après je suis entré en restauration dans le 7e à Paris, le quartier chic. J’ai énormément appris sur les codes sociaux de la haute bourgeoisie que je découvrais totalement; j’ai aussi appris à connaitre et à mieux comprendre les gens. C’est important pour faire de la photo. J’ai entendu parler de l’école Le 75 lors d’un voyage en Grèce. Ça avait l’air accessible, ce qui était inimaginable pour moi ! J’ai monté un dossier et j’ai été pris.

PierreJ’ai voyagé pendant un an et demi au Canada où j’ai travaillé comme cuisinier. C’est un pays qui me fascine, sa taille immense me rappelle à quel point on est tout petits. J’ai eu la chance d’avoir un colocataire photographe qui m’a initié. À mon retour en France, je me suis procuré un appareil argentique et j’ai cherché une école. J’ai rencontré Lukas dans mon quartier à Montreuil, et le jour-même on partait pour Bruxelles à deux sur ma moto. On s’était à peine parlé!

Qu’est-ce qui vous a plu dans ces portraits d’artistes que vous avez réalisés pour Recto/Verso ?

L et PSe retrouver à photographier des gens très divers et se rendre compte qu’à tous les âges, les parcours sont similaires. Des personnalités atypiques, particulières, qui viennent nous raconter leurs histoires. Des reconversions, des gens qui sont obligés de trouver un job alimentaire, c’est ce qui nous est arrivé à nous aussi. Ce qui était intéressant, c’est qu’en réalité ce n’est pas du tout péjoratif de faire plusieurs métiers, d’avoir plusieurs casquettes. On n’arrête pas la pratique artistique pour faire autre chose, c’est une double pratique. On n’est plus dans des époques où on peut se permettre de ne faire que de l’art (à moins d’être hyper connu). Quand on lit des articles des années 1970, on a l’impression que c’était plus facile à cette époque de vivre de son art.

Aujourd’hui, la vie de bohème, c’est la vie de clodo!

Aujourd’hui, la vie de bohème, c’est la vie de clodo! Il n’y a plus cet entre-deux, soit tu dors dehors soit tu travailles énormément.
Le défi photographique était super aussi, se dire qu’on a une demi-heure pour sortir le caractère de quelqu’un. Essayer de mettre les gens à l’aise, ce n’était pas facile parce qu’on les accueillait chez nous à la maison, dans un cadre très intime, en plein covid. Le monsieur de 90 ans qui est venu de Liège {NDRL: Robert Jeanne}, qui a fait l’aller/retour juste pour passer une heure à la maison, c’était hyper touchant. On se devait de lui faire une super photo.
C’est agréable aussi de se dire qu’on prend l’image des gens, on s’en souvient, même si eux ne sont que de passage.

Quelles sont vos sources d’inspiration?

L et PIrving Penn, notamment les portraits qu’il a réalisés à Cuzco au Pérou. Et sa série sur les mégots de cigarettes.
Et Richard Avedon, Malick Sidibé, Assam Ajaj…

Où en êtes-vous aujourd’hui, 10 mois après la réalisation de la série?

PierreJ’ai dû arrêter l’école pour travailler. Je suis chef cuisinier. Mais l’envie de faire de la photo est toujours là.

LukasJe suis en dernière année à l’école Le 75. Je prépare un travail de fin d’études sur le nationalisme en Flandre et en particulier dans un village au sud de Bruges.

Lukas et Pierre: «Pour notre autoportrait, on a hésité entre le faire en bas dans notre cave-studio ou en haut dans notre salon; finalement on a opté pour le salon, on a ajouté des plantes, une photo de la série (NDRL: sur la photo derrière les orchidées, le saxophoniste Robert Jeanne), et on s’est posés dans les fauteuils. On aime les flous que peut amener l’argentique.» ©Dikave studio.