En allant voir CUIR
En ce moment30 octobre 2023 | Lecture 4 min.
Ils se harnachent comme des créatures d’un autre temps. Leurs corps s’entrelacent, s’attirent, se confrontent, mais il n’y a ni vainqueur ni vaincu. Arno Ferrera et Gilles Polet amènent aux Halles de Schaerbeek leur spectacle CUIR, qui interroge la masculinité avec autant de poigne que de douceur.
Ils sont torses nus, vêtus seulement de sous-vêtements et de harnais de cuir. On s’imagine une performance BDSM où sera explorée la soif de l’homme pour les jeux de domination. Il y a quelque chose d’animal dans l’air. Arno Ferrera et Gilles Polet insèrent leurs corps dans des harnais équestres, habituellement réservés aux travaux de traits et de labours. Mais la confrontation n’aura pas lieu telle qu’on se l’imagine. CUIR expose plutôt le jeu consenti d’une lutte sensuelle, un ballet charnel où l’objectif est de partager le pouvoir plutôt que de le revendiquer. Et, en filigrane, d’infuser un regard neuf sur les codes de la masculinité et sur les stéréotypes du corps mâle surpuissant. On ira pour notre part aux Halles de Schaerbeek en cultivant ce regard, réfléchissant aussi à cette pièce comme faisant partie d’une toile de spectacles récents ayant exploré cette question d’une masculinité à reconstruire.
Une danse de consentement et d’exploration
La pièce explore l’intimité physique et psychologique de ces deux mâles aux corps sculptés, dans un rapport de sujet à sujet. Les intentions d’Arno Ferrera et Gilles Polet sont claires: Ils ne cherchent pas à s’affronter, à imposer leur volonté, mais à se perdre dans la découverte de l’autre. L’un peut conduire, l’autre peut suivre, mais l’essence de leur jeu réside dans le consentement mutuel. Les harnais se transforment en symboles de consentement, d’exploration et de libération.
«Non seulement le harnais permet d’amplifier le potentiel de traction humaine, mais il est également un révélateur », lit-on dans le dossier de presse de la production. «Grâce à l’engagement physique au service de l’autre avec cet outil archaïque qu’est le harnais équestre, les deux acrobates recherchent un état où l’instinct et la volonté deviennent visibles et tangibles.»
Masculinité à nu
Certes un peu laissé de côté dans un monde post #metoo pour laisser place à des paroles plus féminines, le thème de la masculinité déconstruite a donné lieu à quelques spectacles marquants au fil des 10 dernières années. Une trame de performances souvent physiques et brutes dans laquelle nous semble parfaitement s’inscrire cette pièce de Gilles Polet et Arno Ferrera.
Nous viennent en tête des œuvres telles que Still Standing You, de Pieter Ampe et Guillerme Garrido, qui mettait en scène en 2010 une bromance aussi brutale que ludique entre deux hommes peu à peu dénudés et de plus en plus vulnérables. Pieter Ampe, artiste flamand associé à la célèbre compagnie CAMPO, avait poursuivi quelques années plus tard sur cette voie avec la pièce So You Can Feel – une exploration de la masculinité sexualisée, tant du point de vue d’un homme dominant que de celui de l’homme vulnérable.
On peut aussi penser au travail récent de la Franco-Ivoirienne Nadia Beugré, par exemple dans la pièce L’Homme rare, une proposition artistique profondément politique qui remet en question la manière dont le corps de l’homme noir est perçu, oscillant entre une sexualisation excessive et des stéréotypes de virilité.
Également en Belgique, le thème a souvent été investi, sous différents angles, par le chorégraphe Thierry Smits, notamment dans la pièce WaW.
On se réjouit de replonger, grâce aux Halles de Schaerbeek et à Arno Ferrera et Gilles Polet, dans ce champ artistique fécond.
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CUIR, du 31 octobre au 5 novembre 2023 aux Halles de Schaerbeek à Bruxelles
Avec: Arno Ferrera et Gilles Polet | Mise en scène: Arno Ferrera et Mika Lafforgue | Regard extérieur : Paola Rizza | Regard chorégraphique: Benjamin Kahn | Regard sonore: Amaury Vanderborght | Création lumières: Florent Blanchon | Régie lumière et son : Pierre-Jean Faggiani| Artisan sellier: Jara Buschhoff | Conception costumes: Jennifer Defays | Production, diffusion: Anaïs Longiéras
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