Macbeth au Shakespeare’s Globe
Au large17 octobre 2023 | Lecture 3 min.
Détruit en 1644, le Globe a été reconstruit presque à l’identique en 1996, à quelques centaines de mètres de son emplacement initial.
Il est 14 heures et nous allons assister à Macbeth!
Alors que les nombreux spectateurs et spectatrices se pressent dans le parterre où iels demeureront debout pendant toute la durée du spectacle, d’autres s’installent dans les différentes galeries qui encerclent et surplombent l’espace théâtral. Des lycéen·nes, des retraité·es, et quelques touristes curieux constituent cette agora, représentative de Londres, alors que sur scène, la distribution reflète le caractère multiculturel de la ville.
Au-dessus du parterre, le ciel d’un bleu azur sera seulement troublé par le survol des pigeons et des avions, car, comme à l’époque de Shakespeare, c’est en plein air et en plein jour qu’a lieu la représentation.
Le théâtre élisabéthain, c’est avant tout un dispositif qui rompt avec la séparation scène-salle, c’est un théâtre de la proximité, de l’échange brut et direct avec les spectateurs et spectatrices. C’est d’ailleurs au sein du parterre que le spectacle commence. Les personnages de Banquo et de Macbeth surgissent au milieu de la foule pour nous conter les nouvelles du front dont Macbeth est revenu victorieux, alors que les voix des quatre chanteurs lyriques accompagnent l’action dramatique, et ce tout au long de la représentation.
Nous assistons à la dégringolade du couple funeste, qui, assoiffé de pouvoir et ayant pris au goût au crime, ne semble plus pouvoir faire autrement. Que ce soit Macbeth, Lady Macbeth ou les autres personnages, c’est à l’assemblée citoyenne qu’ils adressent leurs déboires morbides, leurs doutes, leurs soifs de pouvoir et leurs élans criminels.
Pas d’effets de lumière, pas d’artifice, le rite théâtral s’accomplit à travers le jeu des acteur·ices, dans le passage de corps à corps, en rendant à l’imaginaire sa juste part dans la construction de l’univers shakespearien.
Seuls des brancards, sur lesquels sont disposés les corps assassinés, défilent de part et d’autre de l’espace théâtral à mesure que les morts s’amoncellent, victimes de la folie meurtrière de Macbeth et de son épouse. Le théâtre de Shakespeare, c’est aussi un théâtre de la porosité entre la scène théâtrale et le monde: les crimes commis ne peuvent que nous renvoyer à la barbarie contemporaine. Les personnages des enfants sont assassinés dans une mise en scène qui ne cache rien de l’horreur, alors qu’une femme enceinte se fait déchirer le ventre par une horde d’assassins, engagés par Macbeth pour annihiler tout obstacle à son ascension infernale. Et si comme le profère Shakespeare «All the world’s a stage», le spectacle nous renvoie à la théâtralité de nos propres existences vouées elles-aussi aux aléas de nos désirs.
Les sorcières, interprétées par des hommes masqués, en proie à des expériences maléfiques, ajoutent à cette mascarade sanguinaire, dans laquelle morbide et loufoque se côtoient sans cesse.
Pour Macbeth, «La vie n’est qu’une ombre qui passe, un pauvre acteur qui se pavane et s’agite durant son heure sur la scène et qu’ensuite on n’entend plus. C’est une histoire dite par un idiot, pleine de bruit et de fureur, et qui ne signifie rien.» Le théâtre, quant à lui, semble avoir trouvé ici toute sa signification, sa fonction initiale: celle de questionner et de débattre de problématiques qui nous concernent tous et toutes, et ce au cœur de la cité. Le dispositif théâtral offert par le théâtre de Shakespeare favorise en effet une multiplicité de points de vue qui pourront s’échanger tant au sein qu’en dehors de la représentation.
Ce Macbeth proposé par le metteur en scène Max Bennett rejoint en ce sens la pensée de Pasolini qui écrit, lors des représentations d’Orgia, en novembre 1968: «Le théâtre facile est objectivement bourgeois; le théâtre difficile est pour les élites bourgeoises cultivées; le théâtre très difficile est le seul théâtre démocratique». C’est ce théâtre très difficile mais éminemment démocratique qui a lieu au Globe de Shakespeare devant une foule constituée de citoyen·nes de tous horizons.
Il sera sans doute difficile de nous remettre par la suite au théâtre en salle, où nous demeurons figés dans nos sièges, silencieux, plongés dans l’obscurité d’une salle noire, après avoir vécu une telle expérience de proximité avec des acteurs et des actrices et dans une langue, celle de Shakespeare, qui continue aujourd’hui de nous faire sonder les abîmes de notre inhumaine humanité.
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