
«Paddington in Peru» de Dougal Wilson
En ce moment8 février 2025 | Lecture 5 min.
épisode 4/5
! Attention, cette critique contient des spoilers !
N’hésitez pas à y revenir une fois que vous aurez vu le film si vous ne souhaitez pas vous gâcher la surprise de la découverte.
En 2014, pendant la période des fêtes, Paddington avait étonné tout le monde en faisant des histoires pour enfants écrites par Michael Bond entre 1958 et 2018 un divertissement familial mêlant poésie visuelle, technologies de pointe et charme oh so British. Trois ans plus tard, nouvelle surprise, Paddington 2 faisait encore mieux que de reproduire l’exploit, devenant même l’une des suites les plus plébiscitées par la critique de l’histoire du 7e art.
Scénario & Thématique(s)
Ce succès tient bien sûr d’abord à la tendresse infinie qu’inspire le personnage-titre depuis plusieurs générations, principalement au Royaume-Uni. L’ourson en duffel coat amateur de sandwichs à la marmelade a été imaginé par son créateur après avoir aperçu (puis acheté) un ours en peluche «à l’air triste» sur une étagère dans un magasin londonien en 1956, soit une petite décennie après la fin de la Seconde Guerre mondiale. Pendant le conflit, Michael Bond avait été marqué par la vue de nombreux enfants juifs, arrivés en Grande-Bretagne et évacués à la campagne, qui portaient des étiquettes autour du cou avec leur nom et leur adresse. Pas étonnant donc si l’auteur a ensuite décidé de faire de son héros un jeune réfugié.
Dans un contexte politique pré- et post-Brexit pour les deux premiers opus, le réalisateur et scénariste Paul King s’était emparé du sujet afin de délivrer une vision poétiquement naïve (mais délicieusement nécessaire) de l’immigration et de l’adoption. Les deux films nous apprenaient avec humour et douceur la vertu de la politesse et de la gentillesse. Ils exploraient comment l’exotisme de l’«autre» pouvait influencer positivement toute la société (depuis la maison des Brown jusqu’à une prison) et nous conduire à devenir de meilleures versions de nous-mêmes.

Paddington in Peru complète à présent la trilogie avec quelques changements dans l’équipe. Mark Burton, Jon Foster et James Lamont prennent le relais pour le scénario (à partir d’une histoire de Paul King) tandis que Dougal Wilson reprend les rênes de la réalisation, faisant ses débuts en tant que réalisateur de long-métrage. Sally Hawkins cède également le rôle de Mrs. Brown à Emily Mortimer. Dans ce troisième film, Paddington (Ben Wishaw) rend visite à sa Tante Lucy (Imelda Staunton) qui vit dans une maison de retraite pour ours au Pérou. Celle-ci est dirigée par une Mère Supérieure (Olivia Colman) qui ne cesse de répéter à quel point il n’y a rien de suspicieux à signaler, et ce malgré la disparition de Tante Lucy. Paddington et la famille Brown partent à sa recherche dans la jungle, traversant l’Amazonie en bateau avec l’aide de Hunter Cabot (Antonio Banderas) et sa fille Gina (Carla Tous) et se retrouvent, sans le savoir, au milieu d’une redoutable chasse au trésor.
Certaines questions identitaires posées par l’intrigue pourront résonner émotionnellement auprès des plus jeunes: Qu’est-ce qui différencie une tribu d’une famille? Qu’est-ce qu’on peut perdre en laissant se faner les liens qui nous unissent quand on grandit? Quel poids notre passé et notre éducation peuvent représenter et comment s’en libérer? Mais les adultes seront vite ennuyé·es devant des sujets vus et revus à l’infini et avec beaucoup plus de subtilité d’écriture dans le canon des films d’animation par exemple. L’avarice destructrice, la déconnexion entre parents et adulescent·es, la quête pour retrouver un être cher; tout cela aurait pu susciter l’intérêt avec un scénario moins attendu, moins redondant, plus drôle et plus poétique. La délocalisation de Londres à l’Amazonie, un trope familier des suites (quand on manque de nouvelles idées, le plus simple est toujours de changer de lieu – attention aux prochains épisodes dans l’espace ou à travers un voyage dans le temps), enlève beaucoup de charme au concept même de la série Paddington: le héros est un élément incongru placé dans un environnement connu et «coincé» qu’il transforme. Ici, nous avons seulement droit à une aventure construite comme une série d’épisodes, presque de sketches, plus prévisibles les uns que les autres. Chaque dialogue contient à lui seul un tel nombre de fusils de Tchekhov que le script pourrait finir sur le dark web, catégorie: vente d’armes illégales (et manquant illégalement de fun).

Photo & Montage
Esthétiquement, la réussite des deux premiers épisodes reposait sur une atmosphère de conte de fées à l’intérieur de décors familiers et immédiatement reconnaissables. Les effets spéciaux mêlaient gags visuels réalisés en caméra et animation numérique pour Paddington lui-même; les acteur·ices interagissant sur le tournage avec des membres de l’équipe ou des objets. Il s’agit donc d’une technique assez classique consistant à effacer ces personnes ou ces objets de l’image et à les remplacer par l’ours, limitant la quantité d’effets spéciaux requis. Plus vous filmez des éléments réels avec des points de référence d’éclairage précis, plus la tâche des animateur·ices sera simplifiée, plus le résultat final sera convaincant et joli. Quand une scène devient plus complexe, on a recours à des fonds verts (parfois bleus) qui circonviennent l’action filmée et qui sont ensuite «peints» numériquement avec le paysage recherché (comme pour la séquence du train dans le deuxième opus).
Ici malheureusement, quelque chose coince. Je ne sais pas si la société d’effets visuels Framestore CFC, qui avait signé les remarquables effets des deux premiers, a été confrontée à un nombre trop important de plans à réaliser, si les images initiales manquaient de finesse au niveau de la lumière, si les décors en carton-pâte ont été faits à la va-vite, si le recours aux fonds verts a été permanent au lieu de sporadique, mais rien ne m’a semblé beau. À cela s’ajoute un manque d’idées visuelles, de mouvements de caméra et un montage pesant. Les scènes de course-poursuite pataugent et manquent de cohérence spatiale: un rocher n’en finit par exemple pas de monter et descendre des escaliers, ignorant les lois de la gravité, mais sans rechercher l’humour absurde, simplement par incompétence.
Son et musique
Dario Marianelli est capable d’écrire de superbes partitions pour le cinéma. Que ce soit le piano dix-huitièmiste illuminant Pride & Prejudice (2005), son utilisation remarquable, et oscarisée, d’une machine à écrire pour Atonement (2007), ou ses voix sépulcrales dans Jane Eyre (2011), ses musiques de film démontrent un talent indéniable pour l’écriture mélodique et l’orchestration. Ici, hormis une hilarante chanson d’ouverture parodiant The Sound of Music, sa bande originale est totalement oubliable, se bornant à du Mickey Mousing très générique (une segmentation exactement analogue ou synchrone de la musique à l’image). Pour le reste de la bande-son, mes oreilles n’ont rien détecté d’original ou de particulièrement raté à signaler, peut-être perturbées par les bruits de mastication et de plastique émis par la famille sur ma rangée qui avait décidé d’ignorer l’interdiction de nourriture et de boisson dans la salle.

Distribution
Depuis sa première syllabe dans le premier film, Ben Wishaw et son timbre si particulier sont indissociables du protagoniste. Outre la diction maniérée de cet ourson poli en toute circonstance, le comédien parvient à exprimer avec une simplicité (en réalité difficile à obtenir) l’innocence du personnage, ainsi que ses sentiments plus profonds comme la perte, la culpabilité, la tristesse, avec transparence, sans effets. Ici, il opère en terrain conquis, forcé de multiplier les exclamations et les onomatopées de courses et de chutes, sans véritable émotion.
C’est pire pour le reste de la famille Brown reléguée à la périphérie du film (par multiplication inutile des personnages secondaires semble-t-il), imposant à Hugh Bonneville (Henry), Emily Mortimer (Mary), Madeleine Harris (Judy) et Samuel Joslin (Jonathan) de jouer en mode pilote automatique, l’alchimie créée dans les opus précédent sensiblement impactée par le changement de distribution (l’absence de Sally Hawkin se fait cruellement sentir) et le peu de matière disponible pour s’amuser, se nourrir mutuellement. Antonio Banderas incarne Hunter Cabot et tous ses ancêtres fantomatiques avec un cabotinage amusant les cinq premières minutes, puis affligeant le reste du temps. Seule Olivia Colman, brillante dans absolument tous les registres, se démarque positivement en antagoniste de luxe.
Dans le rôle de la Mère Supérieure (qui se révèle être en réalité la cousine implacable de Hunter Cabot), elle démontre l’étendue de son génie comique en donnant une dimension absurde à tout ce qu’elle dit ou fait. Du manque de sincérité palpable dans ses sourires à son regard amical fixe et inquiétant, de son lancer de guitare à sa bonhomie vocale quand elle énonce «the Lord works in suspicious ways», de ses yeux pleins de haine quand son plan échoue à son cri de désespoir final, elle est systématiquement drôle.

Si ce troisième volet reste un divertissement inoffensif pour les plus jeunes, si le personnage central conserve toute sa dignité, sa douceur et sa tendresse, si précieuses à transmettre, la franchise a cependant perdu beaucoup de sa superbe à mes yeux, en voulant reproduire la recette à l’identique mais dans un nouvel emballage.
On ne peut pas toujours avoir le pain et la marmelade.
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