RECHERCHER SUR LA POINTE :

©Fabienne Cresens.

Christine Angot

Émois

Il faut prêter attention aux couvertures des livres: celui-ci est annoncé comme un roman. Pas une fiction, mais une manière d’en user avec la langue qui permet d’aller aussi loin qu’il est possible dans l’analyse de la violence du rapport entre un père et sa fille.

Ce que ne cesse en fait d’interroger, depuis L’Inceste en 1999, celle qui écrit. Une lecture pénible, d’abord ressentie comme déplaisante.

L’écriture, tel un spectromètre, décompose l’effroyable faisceau des causes et effets de l’inceste.

On n’en peut plus de la crudité de ces scènes, se répétant invariablement dans des chambres diverses, qui montrent l’adolescente depuis l’âge de treize ans puis la jeune femme sous l’emprise de son géniteur. Jusqu’à ce que l’ampleur des dommages causés à l’être peu à peu ressorte des profondeurs du texte. L’écriture, tel un spectromètre, décompose en effet l’effroyable faisceau des causes et effets de l’inceste.


Le sexe, ici plus que jamais présent, sa matérialité et sa mécanique souvent en gros plan, renvoie d’abord à l’abjecte réalité du viol par le père, tel que sa fille devait l’endurer. Loin évidemment des théories du plaisir partagé et autres balivernes. C’est dans son détail que le crime se révèle. Christine Angot force précisément à voir et entendre ce qui ne se montre ni ne se dit de l’inceste, qui n’est pas qu’une abstraction révoltante mais un acte concret destructeur, un détournement de la filiation en possession.

La précision quasi clinique de la langue agit comme un dévoilement. Le père aujourd’hui décédé était traducteur au parlement européen. Une sorte de technicien de la langue.

La précision quasi clinique de la langue agit comme un dévoilement.

À l’exact opposé de sa fille écrivaine, pour sa part attachée à faire surgir l’irracontable, le viol à répétition par un être parfaitement policé et cultivé. Mais aussi, lorsqu’elle fut mariée, la cécité délibérée de son mari qui préparait l’agrégation dans une pièce au-dessous de la chambre où son père continuait de venir. Puisque l’esclavage se continuait.

La mécanique de l’emprise est ici impitoyablement démontée. La victime qui se met sous anesthésie, s’absente à elle-même pendant l’acte sexuel et ne cesse d’attendre une relation «normale» avec son prédateur. Et celui-ci, fort de plusieurs siècles de pouvoir patriarcal, convaincu de sa légitimité. Très exactement tout ce que Christine Angot, dans ce roman dont la seule existence dit la possibilité d’une libération, met ici au jour. Jamais les effets de l’inceste sur la victime n’avaient été rendus si visibles.

À coup sûr, l’un des livres les plus importants de cette rentrée*.

*Le livre est sorti en août 2021.

Flammarion, 2021.

Le Voyage dans l’Est, Christine Angot, FLAMMARION, 2021.

Ce texte est paru l’an dernier dans les colonnes de L’Humanité.

Vous pouvez lire d’autres chroniques littéraires de Jean-Claude Lebrun sur son blog personnel. Nous le remercions vivement d’avoir accepté l’invitation au partage, dans un esprit d’invitation à la découverte.

Pour aller plus loin: L’émission de France Inter “Que peuvent vraiment les mots” du 24 août 2022 était consacrée à Christine Angot.


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