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Nicolás Lamas

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La galerie Meessen de Clercq, spécialisée en art contemporain, regroupe des artistes internationaux aux approches disparates. Le lieu spacieux – une élégante maison sur trois étages construite en 1911 – permet de lier parcours d’exposition et architecture «Art nouveau». 

La nouvelle exposition monographique présentée est celle de Nicolás Lamas, artiste péruvien basé à Bruxelles. Sa démarche s’apparente à celle d’un archéologue car il puise dans des époques et des mécanismes de pensées hétérogènes. Thinking About Things That Are Thinking présente plusieurs sculptures et toiles composites qui nous narrent un vécu unique.

Notre regard est d’abord frappé par la diversité des matériaux: on passe du bronze plaqué or perforé à des corps gras qui transforment ̶ dans un effet trompe-l’œil ̶ des savons en silex paléontologiques. Plus loin, l’intrication de fils textiles et de fils électriques fait joliment fusionner ingénierie et artisanat; les systèmes de connaissance se trouvent entremêlés sans hiérarchie et dépeignent un univers peuplé de rêves hybrides. Ces fils conducteurs ̶ allégoriques ou réels ̶ constituent les pièces d’un puzzle anachronique qui mêle méthodologie antique et technologie moderne.

De la médecine ̶ Liminal embodidement ̶ à la cartographie ̶ Moving boundaries ̶ une véritable contorsion des connaissances et de la matière se dessine. Un cabinet de curiosité robotique, qui renferme une série d’objets tronqués à la croisée entre deux mondes et deux époques. Une façon aussi de lutter contre l’homogénéisation.

Way To Disappear, est une toile sibylline dont l’histoire ne se dévoile que par bribes: c’est au spectateur d’imaginer les étapes qui ont mené cette création du marché aux puces à la galerie d’art.

Hybrid technologie assemblage est une imprimante 3D fonctionnelle qui modèle artificiellement une urne d’argile renfermant un nid de guêpes.

Ces assemblages chaotiques, peuvent faire émerger une sensation de perplexité. Pas à pas, l’artiste parvient toutefois à nous faire partager le long processus qui a animé la fabrication de chaque œuvre, lui conférant une entité proche de celle de la relique. Des explications sont nécessaires si l’on veut en saisir toute la subtilité. Un texte nous sert de guide, enrichissant notre compréhension de la réflexion esthétique de Lamas.

Extended mind se réfère directement au système de comptabilité conçu par les Incas il y a 4000 ans. La composition connecte différents éléments en jouant sur les paradoxes: les déchets contemporains ̶ des nœuds de câbles colorés ̶ disposés dans la vitrine, forment une sorte de soleil aux rayons disparates qui s’apparente au Quipu[1][1] objet inca composé de cordelettes faites de coton, de laine d’alpaga ou de lama, plus rarement de cheveux. Sur ces cordelettes reliées à une “corde” principale, le scribe effectuait des séries de nœuds qui équivalaient à une forme d’écriture. La mise en art de cet outil de statistiques archaïques sublime aussi bien sa poésie que sa vertu plastique, qui constitue l’élan d’adaptabilité de l’être humain.

Impact Zone ̶ toiles d’airbags récupérées lors d’accidents de voiture ̶ incarne la désuétude des moyens employés face au caractère sacré que nous attribuons à la mort. Sur ces membranes, des lignes abstraites d’une grande finesse apparaissent, évoquant la broderie. L’artiste n’a pourtant rien modifié, se contentant de tendre ces airbags sur des châssis.

Ces cinq toiles entourent Liminal embodidement, un masque que l’on utilise actuellement en traitement contre le cancer, recouvert d’or et posé sur un socle. Grâce à cet apparat, l’instrument médical se pare d’une aura égyptienne et la salle dégage soudainement une atmosphère de cérémonie mortuaire. Ces outils fondés sur les sciences sont soumis aux principes d’obsolescence. Ils nous ramènent par analogie au principe de finitude de la condition humaine.

La complexité des pièces nourrit le regard, mais ne l’alourdit pas, car elle est tempérée par la dérision et le second degré. Cette fusion d’artefact technologique et de savoirs séculaires créent un ensemble qui fait le choix du ludique, loin de tout didactisme.

C’est ce qui signe la singularité et l’acuité visuelle de Lamas. Le parcours, riche en symboles, nous permet de cerner plusieurs intentions réflexives, que nous sommes libres d’isoler ou de connecter selon une trajectoire flottante. La civilisation et la manipulation des outils se matérialisent avec éclat dans l’espace et le temps. Grâce à une technique mixte et des explications précises concernant le cheminement créatif sous-jacent, ces matériaux nous offrent un regard animiste.

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Thinking about Things That Are Thinking
Nicolás Lamas

Messens de Clercq, Rue de l’Abbaye 2A, 1000 Bruxelles

Jeudi – samedi 11h – 18h. Du 27 octobre 2023 au 16 décembre 2023. Entrée libre.


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