Le zine s’institutionnalise-t-il? Interview avec Karolina Parzonko
En chantier22 avril 2024 | Lecture 7 min.
épisode 6/9
Après avoir acquis quelques zines plutôt surprenants à la librairie Rile*, présentés dans cet article-ci, Karolina et moi nous posons en terrasse pour échanger à propos de son mémoire de fin d’année, défendu avec brio dans le cadre de son Master en Gestion Culturelle à l’Université Libre de Bruxelles. Nourri par les travaux d’Izabeau Legendre, son expérience au Sterput, mais aussi par des entretiens semi-directifs avec des acteurices du milieu, ce travail gratuitement consultable cherche à mieux comprendre comment se structure la scène du zine et de la microédition à Bruxelles et quels rapports elle entretient avec les institutions. Tout un programme.
Bonjour Karolina. Tu viens de rédiger un mémoire sur la scène du zine à Bruxelles. Pourrais-tu décrire ce que tu entends par «scène»?
La scène du zine à Bruxelles est relativement nouvelle. On peut considérer qu’elle s’est fédérée il y a une dizaine d’années autour du festival Cultures Maison dédie à l’édition alternative[1][1] Lancé en 2010, le festival a connu 8 éditions très remarquées avant de mettre la clé sous la porte par manque de moyen pour rémunérer l’équipe..
À partir de là, elle s’est développée et structurée autour de trois pôles principaux. D’abord, un pôle de production rassemblant des créateurices qui autoéditent des publications que ce soit de manière isolée, collective ou dans le contexte d’une formation en art. Ensuite, un pôle de diffusion qui centralise, visibilise et propose à la vente ces ouvrages ; à Bruxelles, ce rôle est principalement occupé par le Sterput, à côté du Paratoner et des quelques initiatives moins spécialisées. Enfin, il y a un pôle d’archivage et de conservation, essentiellement représenté par la Petite Fanzinothèque belge, une structure lancée par Patrice Bauduinet avec une vision plutôt «à l’ancienne»[2][2] Voir les explications plus bas[/zine] des zines.
Même si ces initiatives ont permis de faire connaître plus largement les pratiques de la microédition et du zine, cela reste un milieu restreint et on n’y entre pas si facilement. Généralement, il faut déjà être initié·e à une pratique artistique ou à la microédition pour y avoir accès, ou connaître une personne dont c’est le cas. Personnellement, je l’ai découvert en travaillant pour le Sterput[note]Lieu à Bruxelles où l’asbl E² «organise expositions, ateliers créatifs, focus sur la micro-édition, et autres manifestations culturelles tout au long de l’année. » (source : sterput.org/infos).
Quelle était ta question de recherche en entamant ce travail et comment y as-tu répondu?
Je cherchais à savoir si le milieu de la microédition subissait une sorte d’institutionnalisation, un concept que j’ai essayé de théoriser dans mon mémoire mais qui reste assez vague. Pour le dire autrement, je voulais savoir si les pratiques de la scène du zine à Bruxelles étaient en train d’être reconnues et légitimées depuis l’extérieur, notamment par les pouvoirs publics.
Globalement, mes recherches et les entretiens que j’ai menés tendent plutôt à démontrer que c’est le cas. Un des marqueurs est la réappropriation de ces pratiques par les écoles d’art à Bruxelles qui ont ouvert il y a environ cinq ans des ateliers, des modules, des cours sur la question. L’émergence des structures dont j’ai parlées plus tôt passent aussi par des subsides octroyés par les pouvoirs publics. On voit donc qu’il y a un investissement (minimal) de leur part dans la scène du zine et de la microédition, tout en ne permettant pas aux acteurices du secteur de sortir réellement de la précarité. Ce n’est en revanche que le début du processus et je ne peux pas dire s’il va se poursuivre ni si c’est souhaitable.
Justement, les changements en cours dans la scène du zine et de la microédition mettent à jour une opposition entre une école «à l’ancienne» et la nouvelle génération. Est-ce que tu pourrais en parler?
Pour le dire schématiquement, l’ancienne école prône une approche plus expérimentale, «la création pour la création», avec des styles artistiques plus spontanés et donc accessibles, ce qui est le cas également des moyens de production privilégiés: quelques agrafes et une photocopieuse. On retrouve dans leurs productions beaucoup de dessins caricaturaux et des blagues graveleuses, en mode «punk à l’ancienne», destinés à un public assez restreint et avec une volonté de rester dans l’ombre.
La nouvelle génération dispose de nouveaux outils technologiques (les logiciels de mise en page sont devenus plus répandus par exemple) et présente des zines beaucoup plus aboutis, en tout cas sur le plan esthétique. Il y a une vraie recherche autour des techniques d’impression, on le voit avec l’explosion des productions en risographies, qui rendent la pratique moins accessible à une personne lambda. On voit aussi qu’il y a une volonté parmi les acteurices de mettre en avant une «valeur d’artiste» et de dégager une rémunération à partir de leur pratique, notamment avec l’organisation de marché de microédition, mais aussi en visibilisant leur travail sur les réseaux sociaux.
À Bruxelles, tout ce petit monde se mélange, échange, s’intéresse à ce que font les autres, même si on observe des divisions au point de vue des valeurs politiques. Il y a quand même un idéal démocratique commun : c’est une pratique libre, sauvage, qui n’est toujours pas rémunératrice pour la grande majorité des acteurices. La scène se construit aussi à travers des événements, des rencontres, des «inter-réseaux», c’est une aventure profondément humaine.
Est-ce qu’on peut en déduire que c’est un milieu diversifié?
À Bruxelles, on observe quand même que c’est un milieu très majoritairement composé de personnes blanches, jeunes, avec un bagage culturel plutôt important, souvent d’origine française. Dernièrement, on observe aussi une représentation féministe et queer de plus en plus prononcée, ce dont je me réjouis personnellement.
Des initiatives comme Amour & Sagesse, un journal écrit et publié par des personnes âgées, ou les livres de l’Autre «lieu» réalisé par des personnes en état de souffrance psychique, permettent d’élargir un peu la palette des profils représentés. Mais ce sont des initiatives extérieures qui communiquent trop peu avec la scène, justement.
Après, Bruxelles est extrêmement cosmopolite et je me suis uniquement intéressée à la partie francophone de cette scène, ce serait intéressant de voir comment ça se passe dans d’autres communautés linguistiques.
As-tu des recommandations pour les personnes qui s’intéresseraient plus largement à ce sujet?
Je recommande de lire La scène du zine de Montréal d’Izabeau Legendre, autoédité en 2021. L’auteur était mon relecteur de mémoire et je m’inspire fortement de ces analyses dans mon travail. Ce qui est intéressant, c’est qu’il part de l’exemple de Montréal puis étoffe son analyse au gré de ses voyages, il théorise ce qu’est une scène mais aussi les inter-réseaux essentiels au monde du zine et de la microédition, qui se tissent à travers des événements par-delà le monde et des groupes sur Internet. C’est un livre accessible, extrêmement intéressant, avec des analyses fouillées et pointues.
Côté universitaire aussi, je connais quelqu’un qui prépare un travail de fin d’étude sur le sujet, avec un intérêt plus spécifique pour le domaine de l’illustration. Et en ce qui me concerne, je parlerai peut-être bientôt plus de mes recherches, puisque mon mémoire a été sélectionné par le Cultural Management Funds à Anvers.
En attendant, si vous voulez me soutenir, je vais bientôt me lancer dans la vente de broches inspirées des pubs Lidl. Je les ai testées pendant 6 mois sous toutes conditions météorologiques et elles tiennent le coup! (rires)
Pour aller plus loin…
♥ Découvrir «l’achronique de Karolina» où celle-ci épingle trois publications trouvés à la librairie Rile*.
♥ Lire le mémoire de Karolina en accès libre: clic clic!
♥ S’abonner à son compte Instagram pour précommander ses broches Lidl.
♥ Écouter l’émission «Non Essentiel.le.s» (Radio Campus) où Karolina s’entretient avec Sabine de Ville:
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