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Chaque mois, Nicolas Baudoin vous invite à explorer plusieurs ouvrages édités qui échappent d’une façon ou d’une autre aux rouages de la traditionnelle chaîne du livre. Des littératures actuelles qui s’épanouissent loin des prés carrés.
épisode 5/7
5/7

Sexe, manga et astragalisme au «Off» du Festival d’Angoulême

En chantier

épisode 5/7

Il y a tout juste un mois, le 51e Festival de la Bande-dessinée d’Angoulême se terminait sans trop de bruit ni d’extase. N’ayant pu y assister pour des raisons économiques et logistiques[1][1] Avez-vous déjà essayé de louer un airbnb à Angoulême pendant les festivités?, j’ai demandé à Éléonore Scardoni de ramener quelques perles, repérées préalablement, du Future Off, le « pendant underground » de la manifestation.

Grâce à sa complicité, je vous présente ce mois-ci trois publications chinées pour vous dans ce paradis du zine. Même si j’ai essayé d’orienter mes choix vers des productions récentes, aucune d’entre elles n’est parue en 2024[2][2] Promis, je me rattraperai le mois prochain!. Autre détail plus croquignolesque, aucune n’appartient non plus au genre de la bande-dessinée traditionnelle.

Extrait de GOGOGO magazine #1 + l’enveloppe dans laquelle Éléonore avait mis mes achats pour me les donner. ©DR / Scan: ZLR
Extrait de Precious Liquid magazine #1 + des références secrètes aux oeuvres dont je parle plus bas. ©DR / Scan: ZLR

L’origine du dé[3][3] Florian Estève (texte) et Felix Ernoult (ill.), L’origine du dé, Montpellier, éditions Microgram, nov. 2023, 50 exemplaires, 6€

Six points noirs sur une surface blanche. C’est une couverture très simple, dans un format plutôt atypique: un A4 plié dans la longueur. On y verrait plutôt un domino qu’un dé, mais c’est pourtant de ce drôle d’objet dont il sera question entre ces pages.

De manière très prosaïque et documentée, Florian Estève y liste en effet les différents avatars qu’a connu le dé au cours de son histoire, ses usages ludiques et politiques, sa mystique. On ne sera pas surpris d’apprendre que l’auteur de ses lignes est rompu à l’exercice de vulgarisation, il gère notamment une chaîne YouTube autour de sa passion pour l’histoire des jeux de société. Par de nombreux aspects, cette publication est d’ailleurs le prolongement d’une de ses vidéos.

Au cœur de ces explications, un mini fanzine propose d’initier le lecteur ou la lectrice au jeu de rôle… à l’aide d’un dé. Felix Ernoult illustre ce minuscule «LVDEH» [4][4] Livre dont vous êtes le héros ou l’héroïne où l’on croise des champipèdes, des démi-orques et Mireille Dumas. Lecture plaisante et plaquette très chic, à glisser dans sa bibliothèque entre Le coup de dés de Mallarmé et Cardmania de Marcello.

L’origine du dé, novembre 2023. ©DR / Scan: ZLR
L’origine du dé, novembre 2023. ©DR / Scan: ZLR

Precious Liquid Magazine #1[5][5] Precious Liquid Magazine #1, Paris, Precious Liquid Media, sept. 2023, 500 ex., 72 p., 22€

Assez joué. Parlons bien, parlons porno. Dans ce nouveau magazine expérimental, se croisent des témoignages sur la vie sexuelle des auteurices, des dessins à la Julien Ceccaldi rappelant les hentais et des montages photographiques kitsch célébrant les heures les plus sombres de Tumblr. Onze[6][6] De Corentin Garrido, Cristiano Codeço de Amorim, Emile Cerf, Christine Janjira Meyer, Lala Albert, Kittyx666xxCharli3x, Nino Cadeau, Yasmine El Amri, Sebastien Millot, Nadhir Nor et Alice Darrow contributions hypersexualisées, hypertextualisées.

C’est un œuvre générationnel qui se présente à nous, sur papier glacé certes mais faisant continuellement référence à ce qui se passait derrière l’écran, une fois laissé sans surveillance. La pornographie est ici une métaphore, un sujet, plutôt que l’objet même du livre. Difficile de fantasmer réellement sur ces pages lisses, calmes, esthétisées.

Au cœur de ce bel objet, un texte, présenté en français puis en anglais, a retenu mon attention. On le doit à l’artiste Yasmine El Amri. Radicalement, il s’éloigne d’une sexualité attendue pour nous emmener «sur les massifs de la Sainte-Victoire près d’Aix, chaleur sèche, journée classée noire». C’est un paysage aride, fait de rocs et de béton, que la narratrice explore, d’abord avec une amie puis seule. À la frontière entre sensualité et (éco)sexualité, l’écriture de Yasmine El Amri bande son arc, capte notre attention, nous offre un regard. « J’emprunte un chemin différent, une pente douce en direction du soleil, je n’ai aucune idée du paysage qui viendra ensuite. »

Precious Liquid Magazine #1, septembre 2023. ©DR / Scan: ZLR
Precious Liquid Magazine #1, septembre 2023. ©DR / Scan: ZLR

GO GO GO Magazine #1[7][7] Collectif GOGOGO, GOGOGO magazine n°1, déc. 2023, 120 p.

De mon point de vue, le lancement du premier numéro du GO GO GO magazine, dû au tout jeune collectif GoGoGo, constituait l’événement de ce Futur Off. Le samedi 27 à la Baraka, une soirée thème «cyber ferme» marquait l’occasion avec une série de DJ sets plus mystérieux les uns que les autres[8][8] Qui se cache derrière l’excellent pseudo «Jambonstar»?. Et il y avait de quoi se réjouir.

Biberonné·es à Pokemon, aux animes et aux mangas, ces jeunes auteurices-illustrateurices proposent un nouveau magazine trimestriel qui suivra cinq aventures entamées dans ce premier numéro[9][9] «Bibi et jenny» de Julie Tocherport, «Détective Canon» de Romane Bourdet, «Nightbreed» de Philippe Nguyen, «Baby Diable» de Maverick Juan et «Lucky Girl Syndrome» de Marie Derambure. Reprenant le format et les recettes du fameux Weekly Shōnen Jump[10][10] Magazine de prépublication de mangas hebdomadaire de type shōnen créé par l’éditeur Shūeisha en 1968 et toujours en cours de publication, la publication réussit à honorer ces influences sans les émuler. Le sens de lecture français est par exemple conservé et, autant graphiquement que narrativement, on ne se refuse pas les bizarreries, même si l’ensemble reste très efficace.

J’étais particulièrement ravi de découvrir le travail de Marie Derambure, réalisatrice d’un magnifique court-métrage d’animation que je vous conseille vivement (c’est la saison du festival Anima, en plus). Elle signe ici une drôle de bande-dessinée intitulée «Lucky Girl Syndrome» qui débute par un cauchemar dont on n’est jamais complètement certain·e d’être quitte. Le petit pouchat a perdu son fiancé Baby, arrivera-t-il à le retrouver ? Dans un univers miniaturisé, aussi kawaï que suspect, Pouchat suit les pas de son amoureux et s’entretient avec divers insectes, avant de…

La suite au prochain épisode!

GOGOGO magazine #1, décembre 2023. ©DR / Scan: ZLR
GOGOGO magazine #1, décembre 2023. ©DR / Scan: ZLR

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