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Chaque mois, Nicolas Baudoin vous invite à explorer plusieurs ouvrages édités qui échappent d’une façon ou d’une autre aux rouages de la traditionnelle chaîne du livre. Des littératures actuelles qui s’épanouissent loin des prés carrés.
épisode 8/8
8/8

Entre Strasbourg et Liège, des livres inattendus

En chantier

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En mai, j’ai fait ce qu’il me plaisait, c’est-à-dire voyager beaucoup et lire encore plus. Cet état d’esprit sportif m’a mené jusqu’à Strasbourg où j’ai grapillé un fanzine mystérieux dans un bar, mais aussi visité la «rétrospection» de Julie Doucet, cette bédéiste connue internationalement dont la carrière a commencé par un fanzine de 12 pages reproduit dans le magasin de photocopies où elle travaillait. Qui sait si, parmi les trois titres présentés, se cache un destin similaire? Pour le savoir, il faudra bien que vous vous y intéressiez.

Eulogie, zbeul et ufologie sont les thèmes respectifs des trois publications que je vous présente ce mois-ci. Courtes et efficaces, elles ont été glanées à Liège, Bruxelles et Strasbourg. Suivez le guide!

Damien Chlouch et Rémi Levaufre, Sans titre, Pain Perdu, printemps 2024 ©DR / Scan: ZLR
Damien Chlouch et Rémi Levaufre, Sans titre, Pain Perdu, printemps 2024 ©DR / Scan: ZLR

Sans titre[1][1] Damien Chlouch et Rémi Levaufre, Sans titre, Pain Perdu, Le Havre,  printemps 2024, 18 p., 9€

Liège, 27 avril. Il fait soleil cette année encore sur le festival LaBD, alors on alterne entre boire des bières dehors et parcourir les étals à l’intérieur. Difficile de ne pas y trouver son bonheur: les lignes éditoriales se croisent et ne se ressemblent pas, des revues, des livres, des fanzines de Belgique, de France, d’ailleurs se côtoient joyeusement.

Je découvre tout guilleret le stand des éditions Pain Perdu, une maison du Havre que je ne connaissais pas, mais dont les livres font briller mes yeux instantanément. Un mélange de nonchalance et de soin tout à fait charmant parcourt leur catalogue.

Dans leur dernière publication, un fanzine sans titre, les illustrations hallucinées de Rémi Levaufre composent le paysage dans lequel se déploie le texte de Damien Chlouch. Dans celui-ci, un narrateur zone dans une ville qu’il connaît par cœur avant de tomber sur une dispute de couple bruyante et dramatique. Cette petite distraction dans sa balade lui donne l’occasion de se lancer dans un panégyrique du zbeul[2][2] Un mot d’argot pour dire le désordre ou le chaos carrément., tandis que défile en images une galerie de personnages citadins tous plus cramés les uns que les autres, dessinés avec rage par des feutres acidulés. Les rétines bien grillées, j’ai fini ces quelques pages avec un grand sourire un peu débile sur le visage et je me suis recommandé une bière.

Romane Constant, Oraison Funèbre pour Zelda1990, Dépense Défensive, janvier 2024 ©DR / Scan: ZLR
Romane Constant, Oraison Funèbre pour Zelda1990, Dépense Défensive, janvier 2024 ©DR / Scan: ZLR

Oraison funèbre pour Zelda1990 [3][3] Romane Constant, Oraison Funèbre pour Zelda1990, Paris, Dépense Défensive, janvier 2024, 60 p., 300 ex., 13€

Bruxelles, 1er mai. Comme tous les premiers mercredis du mois, des lectures s’enchaînent au premier étage du bar Le Pantin pour la soirée Et caetera, devant un public attentif malgré la chaleur et la promiscuité. Dernière dans la liste, Romane Constant arrive sur scène avec un livre sous le bras.

C’est un petit volume rose, avec un chien au regard tombant sur la couverture, mais dont le contenu n’a rien de mignon. L’autrice y parle de la mort d’un frère, de la disparition d’un ami, fusionnant la matière de ces deux événements selon une équation simple: mort = séparation. Cela lui permet surtout de dessiner les contours éclatés d’une famille dont les membres ne sont reliés que par le nom d’un père violent. Alternant entre prose et poésie, les phrases de Romane Constant ne sont pas très solidaires. Elles épousent une pensée en fragments, poussent l’ambiguïté jusqu’à confondre père, frère et amant.

S’il annonce un éloge, Oraison funèbre pour Zelda1990 n’enjolive rien de la réalité. Journal de deuil, journal intime, on entre dans le texte avec un sentiment de profanation. D’ailleurs, l’autrice nous interpelle: «J’écris un livre qui ne vous est pas destiné.», avant de poursuivre comme par provocation: «D’ailleurs, je n’écris pas de livre.»

Journal de l’étrange EUCLID n°1, GHOST-TOWN-NOSTALGIA PRODUCTION, mai 2024 ©DR / Scan: ZLR
Journal de l’étrange EUCLID n°1, GHOST-TOWN-NOSTALGIA PRODUCTION, mai 2024 ©DR / Scan: ZLR

EUCLID – Journal de l’étrange n°1 [4][4] Anonyme, Journal de l’étrange EUCLID n°1, Strasbourg,GHOST-TOWN-NOSTALGIA PRODUCTION, mai 2024, 9 p., prix libre

Strasbourg, 17 mai. Je suis fier de vous présenter une vraie rareté. Dernier exemplaire disponible au comptoir du bar La Taverne française, le Journal de l’étrange EUCLID est une gazette à prix libre et anonyme, sans doute par mesure de sécurité. Elle révèle en effet des phénomènes étranges, voire carrément paranormaux, qui se déroulent pour le moment dans la capitale européenne, peut-être lié (ou pas) à son récent statut de Capitale Mondiale du Livre.

Au fil de ces 9 pages denses, explications parascientifiques et témoignages «liés à l’observation d’un Homme-Papillon de Nuit» permettent de se maintenir à jour en termes d’actualité poétique. Gratuit dans tous les sens du terme, ce fanzine photocopié renoue avec l’immédiateté et la désinvolture des pratiques éditoriales bricolées.

Y aura-t-il d’autres numéros? Personne ne peut le prévoir. Néanmoins, en fin de journal, une annonce nous avertit de l’ouverture imminente et officielle du Bureau d’Investigation et de la Recherche de l’Étrange et du Paranormal. Gardez donc l’œil ouvert (le troisième) et ne vous prenez pas trop au sérieux dans les jours qui viennent. À la prochaine!


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