La Barakakings à Naast Monique
Émois27 janvier 2024 | Lecture 5 min.
épisode 1/4
Samedi, c’était la deuxième fois que je voyais la Barakakings à Naast Monique et c’était la je-ne-sais-quantième fois que j’avais la gorge toute pleine d’émotions à l’idée de partager ce genre de sentiments avec la petite centaine de personnes dans cette salle familière qui sent les paillettes. Cette joie un peu féroce qui vient quand on est spectateurice d’un show qu’on sent proche de nous, qu’on sait irrévérentieux et précieux. Cette intuition de se confondre dans le public lorsqu’on se retrouve à peu, devant un spectacle dont on partage les codes et l’impudence. Cette conscience du privilège d’en être, lorsqu’une masse de talent et de travail performe dans un lieu qui n’a rien de l’institution et tout de l’intime.
Reprenons du début. La Barakakings, c’est un collectif d’artistes drag qui souhaite visibiliser et accorder des opportunités aux drags kings et autres formes de drag : queer, queeing, truc, créature… en bref, toutes sortes de drag sauf les drag queen. Pas par désamour, mais puisque davantage d’espace et de visibilité leur sont accordées. Le drag c’est un art de la scène, dans lequel des individu·es se créent un personnage et performent les genres, traditionnellement à travers le lip sync ou la danse, mais ça peut se décliner sous de nombreuses formes.
Ça permet, par exemple, de se questionner sur les masculinités, de se marrer de celles qui dominent, et d’en inventer des nouvelles. Dans la Barakakings, on retrouve ainsi Raoul Les Mécaniques, un tombeur né, paré à la drague et au rock, qui chante avec vulnérabilité et danse avec une confiance d’un autre temps dans un slip orné de ce qui semble être une coquille de protection à paillettes noires. On admire aussi Melty’n PotHead, dragqueer à l’univers fascinant, qui chante Billie Eilish avec tout l’amour de la pop et un talent digne de ses talons, en fixant quiconque l’ose de ses pupilles blanches. Et puis Shlaggy Daddy, dandy doux et vulnérable mais précis, Dante Chaos qui vient de la lune et de ses marées et Dicklan, tout d’ego et de posture. Il est important de comprendre que le drag, ce n’est pas un cliché, ce n’est pas juste s’habiller en mec, ce n’est pas juste aller chercher les graves et montrer son cul.
Même si parfois, c’est aussi montrer son cul. Le drag c’est un art complexe, c’est une montagne de taf, c’est une communauté, c’est un talent qui se doit d’être multiple et osé, et ce sont des individu·es de tous genres et de tous poils qui finissent par se retrouver à cinq sur scène, tout de jeans vêtus, pour faire un concert de boys band mémorable. Le drag c’est je n’ose imaginer combien d’heures de répétition pour trouver une choré à la fois absurde et calibrée, pour parodier des chansons de manière certes drôle mais aussi politique, pour travailler des tenues, des maquillages et des coiffures qui te propulsent dans leur univers, à tel point que c’est difficile de les reconnaître après, quand iels dansent dans la foule en marcel sur le plancher de la salle de Naast Monique.
ll y a quelque chose d’infiniment doux et puissant à y assister dans ce lieu de lutte et d’amour qu’est Naast Monique. Naast Monique est une occupation qui a pris place dans une ancienne industrie textile, que les services des pompiers transformeront en caserne un jour. C’est un lieu queer, par et pour des personnes meuf-trans-bi-pédé-gouines-queer-tds, qui est devenu un espace de référence, de rassemblement, d’action, de soutien, de création. C’est un lieu qui défend les droits de la communauté LGBT+, qui accueille et porte des projets qui renforcent cette communauté en lui offrant sécurité, célébration, force et nombre. S’y déroulent par exemple une permanence juridique et administrative queer, des ateliers d’automassage, une bibliothèque queer et féministe et un café queer, qui permettent de découvrir le lieu autrement qu’à travers les fêtes qui s’y déroulent, qui ne sont qu’un pan de leur identité. C’est un lieu qui est là pour nous et nos ami·es, ce qui signifie, très simplement, que nous nous y sentons à notre place, que nous n’y sommes pas en marge. Faire l’expérience de la marginalité est épuisant. Il est absolument nécessaire d’avoir des lieux et des évènements qui soient conçus pour nous, parce que se retrouver entre personnes partageant des expériences similaires, des identités connexes et des valeurs communes permet, enfin, de lâcher. Parce qu’il est possible de s’y présenter tel·les que l’on est, il est possible d’y porter les vêtements que l’on souhaite, il est possible d’y célébrer nos corps aux histoires hybrides et puissantes, il est possible de s’y embrasser sans crainte, il est possible d’y danser sans retenue, il est possible d’y fermer les yeux sans danger. Parce que nous nous y rappelons que nous sommes nombreux·ses, et qu’ensemble il peut être doux de faire famille.
Et dans la famille queer venue voir un spectacle de la Barakakings à Naastmonique un samedi 25 novembre 2023, je demande.
Je demande une soirée de fin d’automne, fraîcheur et noirceur, 19h devant les portes de l’ancienne fabrique, quelques ami·es en avance.
Je demande, derrière la porte, un prix libre et conscient. Chacun·e paie ce qu’iel peut.
Je demande, à droite, un immense garage aux lumières tamisées, canapés et tables dépareillés mais confortables, des vêtements à échanger, un kicker aux footballeureuses pailletées, des gens qui causent.
Je demande, à gauche, une salle avec un bar, une sono et un espace scénique. La bière est à un euro cinquante. La sono fait équipe de son mieux avec des régisseureuses dévoué·es. La scène n’est pas surélevée mais les spotlights font le taf. Quelques tapis devant pour les chanceux·ses arrivés à temps.
Je demande une petite centaine de personnes joyeusement entassées, assis-debout comme iels peuvent, qui chantent quand il faut chanter, applaudissent quand iels veulent, et crient leur amour dès que possible.
Par chance je demande aussi, cette fois, le chiot de ma pote, minuscule cocker noir endormi sur ses genoux sous une explosion de confettis et d’encouragements bruyants. Tendre petit chien qui fait maintenant partie de la famille et qui dansera avec sa maîtresse sur ce même sol bétonné lorsque le DJ set aura pris place, ses minuscules grandes oreilles rebondissant dans les bras de mon amie et ce constat: il va être bien ce chien, à la maison.
Avec joie et apaisement je demande, ne pas être la seule personne queer de la pièce. C’est de cela que vont parler mes quelques prochains textes. Qu’est-ce que ça fait, de ne pas être la seule personne queer de la pièce. Du bien, c’est ça que ça fait.
___
Plus d’informations sur la Barakakings:
Vous trouverez plus d’information sur instagram: @labarakakings, ou sur @labarakakings | Linktree. Iels ont aussi une newsletter si vous avez envie d’être tenu.e.x au courant de leurs activités: barakakingsbxl@gmail.com.
Leur prochain show aura lieu le 6 et 7 février 2024 au Cabaret Mademoiselle.
Plus d’informations sur Naast Monique:
Vous trouverez plus d’informations sur le site naastmonique.pink. Il est possible de s’inscrire à leur newsletter pour être tenu·es au courant de leurs activités. Gardez en tête que c’est un lieu par et pour les personne meuf-trans-bi-pédé-gouines-queer-tds et leur allié·es. Les personnes non queer sont les bienvenues, mais toujours minoritaires.
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