RECHERCHER SUR LA POINTE :

Raoul Les Mécaniques

Artists against stigma

En chantier

Laurence Van GoethemFrançois, il y a 3 ans tu sortais ton EP Pills in Water, un projet né de ton propre cheminement vers une prise de parole publique concernant le VIH. Qu’est-ce qui te pousse aujourd’hui à organiser Artists against stigma?

François VaianaCe festival est en quelque sorte le prolongement naturel de mon EP et de mon engagement au sujet du VIH. Je voulais créer un festival qui donne la parole aux artistes vivants avec le VIH (parfois abrégé en PVVIH, personnes vivants avec le VIH) ou qui explorent cette thématique dans leurs créations. Chaque année, autour du 1er décembre[1][1] journée mondiale de lutte contre le SIDA, on trouve principalement des événements qui parlent de statistiques et d’avancées médicales, ce qui est très bien, mais il y a très peu de place pour l’humain, le vécu, et l’émotionnel. À part des choses en lien avec la photographie ou l’art plastique, il existe peu de festival de spectacle vivant. Avec Luca Modesti[2][2] activiste notamment au sein de Conigli Bianchi, Luca Modesti travaille à l’intersection entre l’art et le VIH du collectif HIVisible, nous avons rencontré Marcia Poelman, fondatrice du Antwerp Queer Arts Festival, et elle a tout de suite été d’accord de nous aider à monter ce festival, avec l’aide du Tonneelhuis d’Anvers[3][3] Le Toneelhuis est hébergé au Bourla Théâtre.

Léona Winter ©DR

Vous proposez un «positive lunch» le dimanche, suivi de performances. Pourquoi avez-vous choisi de faire ça à l’heure de midi?

François VaianaOn s’est inspiré des drags brunchs, qui se font régulièrement dans la communauté drag: le dimanche, les gens viennent en famille, et mangent au milieu de performances. On propose un lunch dans le foyer du théâtre Bourla, c’est vraiment un endroit magnifique, et puis il y aura une deuxième partie avec des spectacles dans la grande salle du théâtre.

Qui sera programmé et comment avez-vous sélectionné les artistes?

François VaianaOn a fait un appel à projet, et on a reçu 68 propositions en un mois. Des artistes nous ont écrit de partout, de Kigali, du Mexique, de Grèce, des Etats-Unis. J’étais très impressionné de l’engouement qu’il y a eu dans les propositions. On a vraiment senti la nécessité d’un espace de parole. On aurait bien voulu faire venir des gens du Rwanda ou du Congo, mais nous n’avons pas les financements. Le lunch sera animé par le grand drag king bruxellois, Raoul Les Mécaniques, il sera le maitre de cérémonie. Il y aura aussi un danseur hollandais, Bas van der Kruk, qui performera sur une poésie composée par le public. Ebony Nyota, notre Miss Bear Belgium 2023[4][4] événement lié à la culture bear et body positive, compétition destinée à des personnes aux formes physiques variées, qui travaille à l’entrée du Stammbar (l’un des plus grands bars échangistes bruxellois) va chanter et lip syncer[5][5] Dans le domaine du spectacle, cela désigne la technique du playback où l’artiste incarne une chanson en mimant le texte chanté. Caribe et Simon(e), deux performeurs colombiens vont nous présenter un tableau vivant traitant l’intimité sexuelle. Sur la grande scène, il y aura la création de danse de Juan (Cruz Cizmar), la projection du documentaire Letters to Myself, réalisé par Marina Vergueiro, poètesse, journaliste et avocate, militante séropositive lesbienne originaire du Brésil. Mel Rattue (activiste chez Act Up Londres) partagera son histoire de mère et de survivante du VIH. Elle va parler des femmes trans, des femmes hétéros, de la migration, de plein de choses. Nous avons la chance d’avoir également la grande drag libanaise Diva Beirut, qui fera plusieurs performances sur la Palestine, le Liban, des sujets très actuels. Elle va aussi donner la parole aux personnes queer musulmanes, ou originaire du Moyen-Orient… La grande scène sera plus politique, mais elle se terminera joyeusement avec Léona Winter, célèbre drag queen française[6][6] Lauréate du Drag Race France, un concours de drag queens, qui a fait son coming out séropositif en direct à la télévision., qui chantera.

Mel Rattue ©DR

Il s’agit tous d’artistes porteurs du VIH?

François VaianaCe ne sont pas que des personnes vivant avec le VIH, on ouvre le débat aux gens qui travaillent sur le sujet du VIH. Par exemple, Juan Cruz Cizmar, à qui on a commandé une pièce de danse, ne vit pas avec le VIH, mais il est concerné par cette thématique. On veut s’assurer d’une forme de diversité parmi les performeur·euses, qu’il y ait une représentation correcte de toute la société.

Caribe et Simon(e) ©DR

Est-ce que cette diversité que vous souhaitiez avoir a été difficile à atteindre?

François VaianaOui, parce qu’on se rend compte qu’il y a beaucoup d’hommes gays blancs pour qui c’est plus facile de parler de leur sérologie en public, alors que pour beaucoup d’autres personnes, c’est plus difficile. Ça reste un tabou dans plusieurs communautés. Il a donc fallu trouver des gens prêts à en parler, même si pas directement concernés. Les femmes hétérosexuelles sont les plus stigmatisées, et aussi les gens issus de migration, en attente de papiers, et qui ne peuvent pas recevoir les soins comme ils voudraient.

Le festival s’adresse à quel genre de public?

François VaianaTout type de public. Pour la toute première performance du brunch, il y a un petit «trigger warning» par rapport à la nudité et la sexualité, mais pour le reste, les gens peuvent venir avec leurs enfants s’ils le souhaitent, les drags sont très fort·es pour être politique et fun à fois.

Diva Beirut ©DR

Juan, tu as reçu une commande de création, quelle était la demande exactement?

Juan Cruz CizmarOn m’a demandé de faire une pièce de danse qui parle des couples sérodiscordants, c’est-à-dire quand une des deux personnes est porteur de VIH et l’autre pas[7][7] La transmission du VIH est impossible si le partenaire séropositif suit son traitement et a une charge virale indétectable, permettant ainsi d’avoir des relations sexuelles non protégées sans risque de contamination..
Ça m’a parlé vu que je suis moi-même dans un couple sérodiscordant. C’est un sujet qui n’est pas spécialement central dans notre couple, enfin de mon point de vue en tout cas, mais je voulais essayer d’être honnête et d’exposer comment ça me touche quand même, quelque part. Il y a des endroits ici et là, qui donnent une forme particulière à ce qu’on partage.

Juan Cruz Cizmar ©DR

Comment as-tu travaillé pour créer cette pièce?

J’ai commencé à faire un peu de recherche sur le sujet, à discuter avec mon partenaire et avec d’autres gens qui sont en couples sérodiscordants. Je ne sais pas pourquoi, mais la première idée qui m’est venue, c’est d’écrire et de performer une lettre d’amour dédiée à mon partenaire. Parce que la danse, c’est très abstrait comme art, j’ai voulu lui ajouter une chose concrète, j’ai donc choisi d’y ajouter un texte.
Cette lettre d’amour se termine avec une réflexion plus ouverte: lui, il est blanc, européen, il habite en Belgique, donc il a accès au système de soins de santé, le mois prochain il va avoir sa médication, et l’année prochaine aussi, et l’année d’après aussi. Ce n’est pas vraiment le cas en Argentine (le pays dont est originaire Juan), ou ailleurs.

Que serait notre amour si nous vivions ailleurs?

Donc là, je me suis posé la question: Que serait notre amour si nous vivions ailleurs? Comment serait notre relation dans un pays où les soins de santé seraient moins accessibles? Est-il dépendant de la politique d’un pays, d’un moment? Est-ce qu’on s’aimerait avec autant de sérénité si on habitait un autre endroit du monde?

Juan Cruz Cizmar et nino_uncut ©DR

Vous serez combien sur scène?

Juan Cruz CizmarDeux danseurs, Marcos Arriola et moi, et trois musiciens: nino_uncut au chant, Florian Jeunieaux à la guitare et Théo Lanau à la batterie.

Tu crées des projets très liés au social, par exemple à Molenbeek [8][8] Juan travaille aussi à l’ASBL Espace tous, https://www.espacetous.com où tu travailles avec des amateur·ices. Est-ce que la danse est un moyen de créer du lien?

La danse est là comme un moyen de dialoguer avec l’autre. Pour moi, la danse exprime l’amour, qui est aussi un outil de transformation sociale et politique. L’amour que nous partageons mon partenaire et moi, notre dialogue, cette écoute mutuelle, c’est un exercice qu’on devrait pratiquer d’une façon activiste.

L’amour que nous partageons mon partenaire et moi, notre dialogue, cette écoute mutuelle, c’est un exercice qu’on devrait pratiquer d’une façon activiste.

S’aimer malgré nos différences, s’aimer sans essayer de dominer l’autre, sans l’obliger à s’adapter, à changer de vie, à être quelqu’un d’autre. L’amour, ça peut commencer juste par regarder l’autre avec un peu de tendresse. Peut-être que ça aussi, c’est politique.

François VaianaOn ne parle jamais assez d’amour, je trouve, et finalement, quand on regarde toutes les performances qui vont être jouées à ce festival, c’est un peu une grande histoire d’amour qui va être racontée. Je trouve que c’est important, parce que quand tu es séropositif et que tu es seul, tu peux très vite te sentir isolé.

Ce festival a donc aussi une dimension éducative, militante. C’est important encore aujourd’hui?

François VaianaNotre société a peur de «la maladie» et des «malades». Quand on pense aux années SIDA, ça a complètement bouleversé notre société. Une grande peur s’est installée par rapport au corps de l’autre, pas juste sexuellement, mais au corps de l’autre de manière générale. L’objectif de cette journée est de casser la peur et la stigmatisation envers les personnes vivants avec le VIH et le SIDA. De donner une place aux personnes concernées pour raconter leur histoire. Remettre l’humain et l’émotionnel au centre de la conversation. On veut aussi montrer qu’il n’y a pas de danger de transmission à partir du moment où tu te soignes. (= I indétectable égale intransmissible).

Où en est la situation de l’épidémie aujourd’hui?

Avec la montée universelle de la droite et de toutes les coupes budgétaires qu’il y a de la part des Etats-Unis, notamment avec la suppression de l’USAID[9][9] L’USAID a été partiellement arrêtée suite à des décrets de l’administration Trump, qui a suspendu les programmes d’aide internationale pour les réévaluer. Cette décision a entraîné la suppression de la majorité des programmes, des licenciements massifs de personnel, et des conséquences humanitaires graves dans le monde, comme des fermetures de centres de santé et une augmentation de la mortalité. L’agence a été officiellement démantelée, et ses fonctions résiduelles sont intégrées au Département d’État. Lire ici : https://www.amnesty.fr/actualites/etats-unis-demantelement-usaid-aide-humanitaire-quelles-consequences-sur-le-terrain), on va revenir à des chiffres effrayants qu’on a connu dans les années 1980-90, principalement en Afrique et en Asie, et probablement ici aussi. L’épidémie est en train de remonter, parce qu’ils ont arrêté toutes les subventions pour la prévention. C’est un sujet essentiel qui va malheureusement prendre de l’ampleur dans les années à venir.

Le dimanche 30 novembre 2025, le Bourla ouvre ses portes à Artists Against Stigma, un événement unique qui réunit art, engagement et communauté.

Organisée par l’Antwerp Queer Arts Festival, le collectif HIVISIBLE et Toneelhuis, cette édition propose un Positive Lunch dans le somptueux foyer, suivi d’un spectacle théâtral dans la grande salle.

Programmation : Luca Modesti, François Vaiana et Marcia Poelman

Infos et tickets ici


Vous aimerez aussi

Sandrine Bergot, artiste, créatrice, cofondatrice en 2007 du Collectif Mensuel, prendra le 1er septembre la direction du Théâtre des Doms, vitrine de la création belge francophone à Avignon. ©Barbara Buchmann-Cotterot

Sandrine Bergot, cap sur les Doms

Grand Angle
Spectacle: DISCOFOOT , Chorégraphie: Petter Jacobsson et Thomas Caley. Avec les 24 danseurs du CCN – Ballet de Lorraine, un arbitre et trois juges artistiques DJ: Ben Unzip, Dans le cadre du Festival Montpellier Danse, Lieu: Place de la Comédie, Montpellier , le 30/06/2024

Discofoot, Roller Derviches et leçons tout public

Au large