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épisode 2/3
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«Quelque chose de paisible, de tranquille et de beau»

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épisode 2/3

Voir un couple de lesbiennes dans un film hongkongais n’est pas courant. Et encore moins un couple de femmes âgées. Votre premier objectif en réalisant ce film était-il de les montrer?

Je pense qu’en général, au cinéma, on voit peu de personnes de plus de cinquante ans, quel que soit le pays. Et plus particulièrement si l’on parle de la communauté LGBTQIA+.

À Hong Kong, après cent ans de cinéma, je pense qu’il doit y avoir moins de vingt films lesbiens. Réaliser un film lesbien est déjà très rare, se concentrer sur des femmes plus de soixante ans l’est encore plus.

À Hong Kong, après cent ans de cinéma, je pense qu’il doit y avoir moins de vingt films lesbiens. Réaliser un film lesbien est déjà très rare, se concentrer sur des femmes plus de soixante ans l’est encore plus. Mais je ne ressentais pas particulièrement le besoin de traiter de cela. Dans mon film précédent, Suk Suk, j’avais déjà abordé le thème de la vieillesse dans la communauté gay de Hong Kong. Ici, l’histoire m’est venue lors d’une conférence à Hong Kong sur les droits de succession des personnes LGBTQIA+. Au cours de cette conférence, l’orateur a cité quelques cas très similaires à l’intrigue de All Shall Be Well. Je lui ai demandé de me présenter quelques-unes de ces personnes. Je les ai ensuite interviewées et j’ai décidé d’écrire un scénario basé sur leurs expériences. On parle de la mort de partenaires au sein de longues relations. Donc l’histoire est devenue organiquement celle d’un couple de plus de soixante ans.

Ray Yeung Suk Suk Teddy Award February 2020©DR

Ce que vous semblez montrer, c’est toute l’ambiguïté qu’entretient la société hongkongaise avec la communauté LGBTQIA+.

La jeune génération n’a aucun problème à aller au cinéma pour voir des films LGBTQIA+, et les gens en général sont plus ouverts à l’idée. Cela dit, cette tolérance n’est pas très profonde.

C’est vrai. Hong Kong était une colonie britannique et pendant très longtemps l’homosexualité était illégale. La loi a été modifiée et l’homosexualité décriminalisée. Depuis, les gens peuvent la pratiquer en privé, mais ils ne bénéficient d’aucun des autres droits dont jouissent les couples hétérosexuels. Et bien sûr, il n’y a pas de mariage entre personnes de même sexe. Au fil des ans, et en particulier au cours de la dernière décennie, la société s’est montrée plus ouverte à l’égard des homosexuel·les et de la communauté LGBTQIA+. J’organise le festival du film gay et lesbien de Hong Kong depuis 2000. J’ai été témoin de nombreux changements entre l’époque où les homosexuel·les devaient rester extrêmement discret·es et aujourd’hui. La jeune génération n’a aucun problème à aller au cinéma pour voir des films LGBTQIA+, et les gens en général sont plus ouverts à l’idée. Cela dit, cette tolérance n’est pas très profonde, comme vous pouvez le voir dans le film. On l’accepte souvent de manière superficielle. Mais lorsqu’il s’agit de droits, je ne pense pas que notre société soit encore prête.

Pourquoi, à votre avis ?

Je pense que les gens sont encore très traditionnels, surtout les personnes avec des croyances religieuses. Celles-ci considèrent que c’est mal ou anormal.

Comment avez-vous choisi la distribution de All Shall Be Well?

Trouver Pat a été un long processus. J’ai eu du mal à trouver la personne qui convenait au rôle. J’ai regardé beaucoup de vieilles séries télévisées et j’ai fini par penser à Maggie.

Patra Au a joué un rôle secondaire dans mon dernier film et je l’ai trouvée excellente. Je voulais retravailler avec elle. En écrivant le scénario, je pensais à elle. Je le lui ai montré et elle a accepté le rôle. Trouver Pat a été un long processus. J’ai eu du mal à trouver la personne qui convenait au rôle. J’ai regardé beaucoup de vieilles séries télévisées et j’ai fini par penser à Maggie. Je lui ai écrit, mais elle était à la retraite depuis trente ans. Heureusement, elle avait vu et aimé Suk Suk et elle a eu la gentillesse de me rencontrer. Je lui ai présenté le projet. Après avoir lu le scénario, elle a décidé de jouer le rôle.

Pourquoi ce rôle a été si difficile à trouver ?

Pat est un peu un garçon manqué. À Hong Kong, les actrices de cette tranche d’âge sont généralement à la retraite et celles qui travaillent encore jouent surtout des mères ou des grands-mères. Elles sont donc déjà bien ancrées dans ce mode de jeu, et si vous leur demandez soudainement d’interpréter un garçon manqué, le public risque de ne pas trouver cela convaincant. Je voulais vraiment trouver une personne avec la fraîcheur de Maggie. Dans une ancienne série télévisée, elle jouait le rôle d’une personne qui se travestissait un peu, et j’ai trouvé qu’elle était très bonne dans ce rôle. C’est ce qui m’a décidé à l’appeler.

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Et pour le reste de la distribution?

J’ai collaboré avec Tai Bo dans Suk Suk et je voulais à nouveau travailler avec lui. Je lui ai proposé le rôle de Shing qu’il a accepté. Les autres acteurs et actrices ont fait des auditions. Malgré le fait qu’ils et elles avaient déjà une carrière établie, je préfère toujours faire passer des auditions.

Vous avez obtenu des performances très émouvantes de la part de tout le monde. Comme approchez-vous la direction d’acteurs et d’actrices ?

D’abord, il faut bien les choisir. C’est pourquoi j’insiste tant à faire des castings. J’ai pu voir si ces personnes étaient capable de jouer dans le style que j’aime, plutôt subtil, jamais trop exagéré. Ensuite, lorsqu’on commence le travail à proprement parler, j’ai l’habitude de donner aux plus grands rôles une histoire assez détaillée de leurs personnages. Ensuite, j’organise des répétitions et des lectures. Les acteurs et les actrices peuvent ainsi lire le scénario dans son intégralité et comprendre la fonction de leur personnage dans le récit. Ensuite, je leur demande de se lire mutuellement leurs histoires individuelles, afin que tout le monde comprenne le vécu des autres personnages, et à partir de là, je fais beaucoup d’ateliers de jeu et de répétitions. L’idée est que les membres de la distribution sachent exactement ce que vous voulez. Je pense que la plupart des bons acteurs et des bonnes actrices peuvent s’adapter et vous donner ce dont vous avez besoin.

Avez-vous fait beaucoup de prises?

Nous avons dû travailler avec un très petit budget. Le film a été tourné en vingt-et-un jours seulement.

Non. Nous avons dû travailler avec un très petit budget. Le film a été tourné en vingt-et-un jours seulement. Nous ne pouvions donc pas nous permettre de faire beaucoup de prises. Je pense que nous pouvions en faire entre deux et cinq. Jamais plus.

Cela exige de s’entourer de personnes que vous connaissez bien, n’est-ce pas ?

En effet, la plupart des membres de l’équipe ont déjà travaillé avec moi sur Suk Suk. Tout le monde savait quoi faire. Ce sont des gens sont très professionnels et très rapides. À Hong Kong, les équipes qui s’engagent dans un projet ont pour principal objectif de vous aider à le réaliser efficacement. Il s’agit de personnes prêtes à sacrifier une partie de leur temps libre, en prenant parfois des très courtes pauses, en restant flexibles pour faciliter les choses.

Pourquoi avez-vous choisi de ne pas utiliser de musique?

J’ai toujours eu l’impression que la musique est surutilisée au cinéma. En particulier pour dicter au public ce qu’il doit ressentir. Et je pense vraiment que chaque réaction doit rester très personnelle

En fait, à l’origine, nous avions prévu une bande originale. Mais quand nous l’avons intégrée au film, elle faisait retomber la tension que nous souhaitions obtenir, même si la compositrice a écrit une partition très minimaliste. J’ai toujours eu l’impression que la musique est surutilisée au cinéma. En particulier pour dicter au public ce qu’il doit ressentir. Et je pense vraiment que dans ce type de film, chaque réaction doit rester très personnelle. Beaucoup de monde a déjà vécu un deuil ou une trahison. Je préférerais donc ne pas y ajouter de la musique. Le public doit apporter ses propres émotions et sa propre compréhension du voyage qu’on lui propose.

Visuellement, vous passez de scènes très intimes en gros plans et à des grandes fresques de la ville et de la nature qui l’entoure. Était-ce un choix esthétique conscient d’avoir cet équilibre ?

Oui, je pense que c’est important. D’abord, l’histoire est très intime et chacun des personnages principaux a ses propres objectifs, ses rêves et ses conflits. Pour exprimer cela, il faut des gros plans, il faut montrer leurs sentiments, d’autant plus que je n’utilise pas beaucoup de dialogues. Je préfère les silences et les pauses pour établir les émotions des personnages. Mais en même temps, l’histoire parle beaucoup de la ville, de la société hongkongaise, de ses injustices et ses inégalités. Et du manque d’espace à Hong Kong. La ville est donc à bien des égards l’un des personnages essentiels du film. Pour ce qui est des scènes de randonnée, nous avons tourné dans une réserve naturelle. Cet environnement symbolise la vie qu’elles ont eu ensemble: quelque chose de paisible, de tranquille et de beau.

Quelques critiques belges n’ont pas perçu l’attitude de la belle-famille d’Angie comme étant homophobe, affirmant qu’il s’agissait uniquement d’une question d’argent. D’où vient cette erreur d’après vous?

Vous pouvez très facilement réorganiser l’histoire pour transformer la belle-famille en méchants manichéens. J’ai délibérément voulu éviter cela. Je souhaitais que le public puisse s’identifier aux membres de la famille.

D’une certaine manière, cela prouve ce que je voulais exprimer. C’est exactement la raison pour laquelle le film est écrit de cette manière. Vous pouvez très facilement réorganiser l’histoire pour transformer la belle-famille en méchants manichéens. Mais si vous les montrez de cette manière, le film devient un conte de fées, avec ses héros et ses antagonistes. J’ai délibérément voulu éviter cela. Je souhaitais que le public puisse s’identifier aux membres de la famille, s’interroge sur la décision qu’ils auraient prise. Leurs choix reflètent leurs valeurs et leurs préjugés. Il est évident que les personnes qui ont réagi de la sorte auraient fait la même chose. J’espère qu’elles se remettront au moins en question en examinant leur propre système de valeurs et déterminer si leur façon de penser est affectée par une forme d’homophobie institutionnalisée. C’est ce que j’aimerais faire: amener le public à réfléchir et à réévaluer son avis sur la question.

Était-ce le principal message que vous vouliez faire passer avec ce film?

J’ai passé du temps avec de nombreuses personnes ayant vécu l’expérience de Angie. J’ai rencontré des partenaires de couples homosexuels qui ont été expulsées de leurs familles après le décès de leurs compagnes. Pour beaucoup, c’était un vrai choc. Pendant des années, elles ont eu l’impression d’être en bons termes avec leur belle-famille. J’ai été très touché par ces histoires. Je voulais m’assurer que celle d’Angie soit la plus authentique possible. L’une des femmes que j’ai interrogées a mis beaucoup de temps à récupérer son allocation auprès de la famille de sa partenaire. Je lui ai demandé si ce processus, qui a dû être douloureux, en valait la peine. Elle m’a répondu : « Oui, parce que je voulais que tout le monde sache que nous étions amantes, que nous avions une relation amoureuse ». Si elle ne s’était pas battue, les membres de sa belle-famille auraient pu soutenir qu’elles étaient juste amies. Pour elle, ce n’était donc pas seulement une question d’argent. Elle voulait s’assurer que sa relation existait aux yeux du monde entier. C’était très important pour elle. C’est ce que j’avais besoin de dire avec mon film.


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