RECHERCHER SUR LA POINTE :

Une radioscopie de navets cinéphiles à la recherche de leurs pépites.
épisode 2/6
2/6
«Love» de Gaspar Noé.

Au cœur de Love

Émois

épisode 2/6

Le Robert en ligne définit laconiquement le navet comme une «œuvre sans valeur», renvoyant à l’argotisme nanar qui souligne mieux la ringardise de l’objet décrit. Dans mon dictionnaire, s’y ajoute de l’incompétence ou quelque chose d’un peu has been.

C’est l’impression que me laisse souvent le travail de Gaspar Noé. Se plaçant dans la continuité de Pasolini (la rigueur philosophique en moins), le réalisateur argentin a développé un goût clivant pour le frontal esthétisé. Pas un de ses films n’est à l’abri de la controverse. Le hic, c’est qu’il s’agit souvent de beaucoup de bruit pour rien…   

Au cœur de Love

Quatrième long métrage signé Noé, Love est un mélodrame érotique «auteuriste», qui n’a rien de mélodramatique, ni d’excitant, ni de profond (je vous laisse choisir votre blague ici). Murphy sort depuis deux ans avec Electra quand il et elle invitent leur voisine Omi à partager leurs jeux sexuels. Après la grossesse accidentelle de cette dernière, le couple se sépare, Electra disparait et Murphy se remémore leur temps passé ensemble. Mon avis général sur Love peut se résumer en une question: comment un film dont l’ouverture présente une masturbation non simulée peut-il être si ennuyeux? 

Est-ce la narration plate, chronique d’une relation pseudo-fusionnelle remplacée par le chemin de fer du jeune couple avec enfant, où l’homme est presque présenté comme une victime au détriment des deux femmes? Est-ce l’absence de charisme et d’implication de comédien·nes, certes agréables à regarder (ça dépend des goûts), mais tristement robotiques? Est-ce le découpage fragmentaire abscons cachant la banalité du récit? Est-ce la longueur abusive, la gratuité des scènes de sexe qui ne servent qu’à exhiber leur réalisme? Sont-ce les citations musicales obligées du spleen parisien alternant Satie, Bach et Carpenter? Ou bien les dialogues aussi profonds qu’une sous-tasse, comme le très original: «Love is life. Love is light.», ou encore le magnifique: «A young person without love is like a sparrow without air»?

Mais, il y a un mais: un curieux animal rescapé de cette arche à la dérive, un animal belge qui s’appelle Benoît Debie, directeur de la photographie virtuose signant pour Love un festin d’images léchées (sans mauvais jeu de mot). Adepte des couleurs fortes, notamment les noirs, il sculpte les coïts en clairs-obscurs caravagesques[1][1] Né à Liège en 1968, Benoît Debie fait des études de cinéma à l’IAD avant de commencer sa carrière à la télévision, puis en tant qu’assistant à la réalisation avec les frères Dardenne. Son talent éclot dans le court métrage Quand on est amoureux c’est merveilleux de Fabrice du Welz avant qu’il signe la photographie d’Irréversible, sa première de six collaborations avec Gaspar Noé. Il travaille ensuite en tant que chef opérateur auprès de cinéastes tel·les que Dario Argento, Harmony Korine, Lucile Hadzihalilovic et Ryan Gosling. En 2019, il reçoit le César de la Meilleure photographie pour The Sisters Brothers de Jacques Audiard..

© DR.
Il parvient même à insuffler au film la chaleur sensuelle et infernale qui lui manque…

Dans son cadre où règne une élégante symétrie, il parvient même à insuffler au film la chaleur sensuelle et infernale qui lui manque, grâce à l’intensité de ses rouges et de ses oranges, cristallisée dans la dernière image du film, et reprise pour la campagne d’affichage.

Deux plans se démarquent particulièrement à mes yeux. Le premier est celui d’une lampe dont l’ampoule tremble au plafond (visible dans la bande annonce) qui, outre les effets stroboscopiques, rappelle, avec son abat-jour habilement choisi, les plus beaux exemples de quadratura de la Renaissance figurant des paradis en trompe-l’œil, comme L’Assomption de la Vierge du Corrège ornant le dôme de la cathédrale de Parme.

Cathédrale de Parme, détail. ©DR.

Le second, un baiser échangé dans un restaurant, illustre le génie colorimétrique de Benoît Debie qui parvient à créer des palettes complètement hors normes. Ici, il juxtapose un camaïeu de verts bleutés avec du rose bonbon, du jaune et même de l’orange, la lumière semblant émaner du plafond, des personnages, et même du faux ciel derrière eux. Le rendu oscille entre la peinture et la sculpture, entre l’acrylique et le pastel, suggère un rêve éveillé.

Si une belle photographie à elle seule ne suffit que rarement à la réussite d’un film quand toutes les autres qualités requises lui font défaut, elle souligne immédiatement aux yeux du public à quel point l’entreprise cinématographique compte bien plus que des équipes dévouées à la vision dogmatique d’un·e réalisateur·ice. On y trouve une collection d’individualités dont l’expertise, les talents et la sensibilité peuvent, parfois, nous lancer une bouée de fraîcheur et d’originalité au milieu d’océans bien fades…


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