RECHERCHER SUR LA POINTE :

Vue d'atelier, Marion Hawecker ©Beatrice-Grandclement

La pratique de plumassière

En chantier

Marion Hawecker vit et travaille à Dole (France). À la croisée entre pratique artistique et savoir-faire artisanal, Marion a fait de la plume d’oiseau son médium de prédilection. Elle intervient sur la plume en s’inspirant des méthodes traditionnelles et en ajoutant de nouvelles approches qui lui permettent d’explorer toutes les possibilités de création. Ses réalisations interrogent notre rapport au vivant, à la nature, et explorent le thème de la métamorphose.

Oriane ThomassonQuel est le fil conducteur dans ta pratique de plumassière à travers les différentes œuvres et séries que tu as réalisées jusque maintenant?

Marion Hawecker Je crois que ce médium de la plume vient interroger chez moi notre place dans le monde, à nous humains, parmi les autres vivants et le cosmos. La plume est un intercesseur formidable. Elle me permet d’explorer cette recherche récurrente dans mon travail d’exprimer ce qui vit. D’interroger l’incarnation, la chair et de faire parler «les peaux du monde»: ce rapport sensuel et sensitif aux êtres et au paysage. Il aborde aussi la question de l’expression du cycle «vie-mort-vie» et de l’impermanence des choses et êtres qui se manifeste par la présence récurrente des formes souples et des mouvements fluides.

Vue d’atelier, Marion Hawecker ©Béatrice Grandclément

Conçois-tu de grandes séries distinctes, avec des inspirations différentes?

J’ai l’impression que mon travail est fait de tâtonnements successifs qui se superposent et se croisent, d’où l’impression d’une production plutôt chaotique qu’ordonnée en sujets distincts.

Cela se déploie de manière arborescente, comme une sorte d’arbre taxonomique…

Les séries sont des pistes exploratoires nouvelles, avec des contraintes de formes, de supports ou de matériaux distincts, qui s’articulent comme des variations autour d’un même thème et de sources d’inspiration communes. Cela se déploie de manière arborescente, comme une sorte d’arbre taxonomique dont je n’arrive pas à classer les espèces, mais seulement leurs filiations.

D’où te viennent les idées de formes et qu’est ce qui t’inspire pour concevoir tes différentes pièces? As-tu des modèles?

Je puise mes formes dans un catalogue imaginaire inspiré «d’objets à réaction poétique» que je glane, collectionne physiquement ou mentalement: des débris de roches, concrétions calcaires, géodes, galets, corail, bois, os. Formes polies, mouvantes, mêlant à fois courbes d’un corps humain à celles d’un animal ou d’une topographie. Ils sont comme des fragments simultanés du réel. Je fais un peu de même avec ce que j’appelle les peaux du monde, peau de caillou, froufrou de lichen, toison de bryophytes… Le règne minéral prédomine beaucoup dans mes pensées avec ses audaces chromatiques. Quant au végétal et à l’animal, j’aime jouer avec leurs analogies texturales.
Il y a également les influences plastiques du maniérisme, avec ses mouvements fluides et confondus, les corps enlacés, langoureux, exagérés, suspendus dans une action dramatique, le flou, et ma fascination pour le sujet de l’extase. Et il y a évidemment les thèmes de la vanité et de la nature morte de chasse qui rôdent sans cesse dans mon esprit.

Marion Hawecker, Métamorphoses ©Marie Benattar

Quels liens entretiens-tu avec la nature, et les animaux qui semblent si présents dans ton travail?

Je crois que je fantasme davantage ce lien avec la «Nature» que je ne l’ai en réalité. Même si j’en fais profondément partie je m’en sens aussi très étrangère. Il y a tant de manières d’être au monde! Je me demande toujours comment les vivants non-humains perçoivent les choses. Alors, j’observe avant tout. Je marche.

Je me fais toute petite, silencieuse. J’écoute. Je touche, je caresse.

Je me fais toute petite, silencieuse. J’écoute. Je touche, je caresse. Je glane. Je traine. Je remplis mes poches. J’essaie tant bien que mal de reconnaître le chant des oiseaux. De lever les yeux au ciel la nuit. C’est quelque chose d’assez ordinaire, mais d’essentiel pour moi. Lorsqu’une silhouette sauvage surgit dans le paysage, je suis toujours autant émerveillée. Je suis contente de pouvoir vivre ces brefs instants tous les jours en habitant désormais à côté d’une forêt.
La rencontre avec la matière-plume m’a également permis de réapprendre à regarder davantage mon environnement et ceux qui l’habitent, notamment grâce à la lecture de certains penseurs du vivant. On ne se promène plus de la même manière après quelques pages de Jean-Christophe Bailly ou d’Anne Simon.

Ton travail semble évoquer un dialogue entre l’organique et l’artificiel, comment les deux s’entremêlent pour toi?

Je ne m’interroge pas forcément sur la question de l’artificialité. Je fais tout cependant pour dissoudre mes gestes. Je veille à ne pas laisser ma trace humaine dans la création des textures et des mouvements. Je tente de disparaître le plus possible, de coloniser mes corps-supports comme un organisme vivant qui s’installe dans un nouveau milieu, élément par élément, plume par plume. De suivre les courants que je dessine de la manière la plus «organique» possible. J’essaie de rendre mes pièces les plus «vivantes» et autonomes possibles. Je rêve de les voir respirer.

Marion Hawecker, Cyané ©Marie Benattar

Sur la relation au temps et au geste

Réalises-tu des croquis préliminaires ou des petites maquettes, par exemple? Comment se déroulent étapes par étape la conception, puis la réalisation d’une de tes œuvres?

Je dessine toujours des croquis, plutôt brefs, mais tout au long de la réalisation si besoin. Ils sont nécessaires pour figer l’instant du mouvement que j’imagine, et chercher des articulations entre les différentes parties de la pièce ou des transitions de textures. Il y a toujours quelques croquis préparatoires, puis j’élabore une gamme de différentes sortes de plumes que je souhaite mettre en scène, où des teintes, reflets, textures sont convoqués. Ensuite, la préparation du corps-support, allant du papier, au plâtre, à l’argile, ou au textile. À cette étape, la manipulation du support produit également la forme qui est parfois très floue à l’étape du croquis. Je travaille depuis peu avec des corps en textile souple qui me permettent de faire évoluer le volume quasiment jusqu’à la pose des dernières plumes. Puis je viens littéralement habiller ce corps de peaux et de phanères, de cuirs, fourrures, crins de cheval surcyclés, fibres textiles, végétaux, perles, et surtout de plumes.

Marion Hawecker, détail, Chez Olivia ©Antoine Grenez

Combien de temps en moyenne te faut-il pour réaliser une œuvre de petite dimension et une plus grande?

Je peux passer quelques jours sur une petite pièce type «Pomone» et jusqu’à 200h sur «Echo», par exemple.

Y a-t-il une étape de ton processus que tu trouves particulièrement stimulante ou difficile?

Stimulante, quand j’applique les plumes sur mon support. Lorsque je m’amuse dans les transitions impossibles de teintes ou de textures, à trouver LA bonne plume qui trouvera sa place pour faire l’illusion d’une toison naturelle. Ou lorsque je découpe des plumes en formes d’écailles, c’est très répétitif mais j’ai plaisir à le faire.

Vue d’atelier, Marion Hawecker ©Béatrice Grandclément

Où te procures-tu les plumes: les collectes-tu toi-même, travailles-tu avec des fournisseurs spécifiques?

Je travaille avec des fournisseurs spécifiques et grâce à des dons de plumes de mue, de rebuts de chasse, et un peu de stocks anciens.

Quelles sont les étapes les plus minutieuses ou les plus délicates dans la création d’une œuvre en plume?

Cela dépend de chaque personne, mais le plus souvent, cela va être l’étape dite de «finition» d’une pièce lorsqu’il y a besoin d’arrêter un mouvement par des plumes encollées (technique qui consiste à appliquer de la colle à l’aide d’une lame de couteau sur toute sa surface ou partiellement, et qui demande un peu de pratique). Il y a également la technique de la marqueterie avec des plumes encollées et découpées selon un dessin donné qui peut être une des techniques les plus minutieuses.

Marion Hawecker, Galène ©Marie Benattar

Y a-t-il un geste ou une technique que tu as mis du temps à maîtriser et qui est devenu essentiel dans ton travail?

La découpe des plumes. On met un certain temps à savoir bien découper une plume sans la cranter. C’est devenu assez récurent dans mon travail, sans trop y réfléchir. Cela me permet de sélectionner davantage des parties de plumes qui m’intéressent mais aussi de valoriser des plumes présentant des «défauts», et ainsi d’avoir peu de déchets.

As-tu des projets futurs ou des envies d’explorer de nouvelles directions dans ton travail?

Mon intention est surtout de finir des projets en cours et de compléter des séries que je tarde à étoffer. Mais les nouvelles directions de travail sont plutôt d’ordre technique, axées sur l’apport d’autres matériaux textiles, ou de récupération, ainsi que de développer de nouveaux savoir-faire et des techniques de transformation de la matière-plume avec la teinture naturelle par exemple. Sans parler de plusieurs projets de collaboration qui me tiennent aussi à cœur.

Marion Hawecker, détail, Chez Olivia ©Antoine Grenez

___

En 2021, Marion Hawecker est lauréate du Prix de la Jeune Création des Métiers d’Art des Ateliers d’Art de France. Elle est invitée à présenter son travail en Europe, en 2021 à la biennale De Mains de Maitres au Luxembourg, la biennale Révélations à Paris et la Grassimesse à Leibzig en 2022, puis la biennale des métiers d’art HomoFaber à Venise en 2024. Née à Strasbourg en 1986, elle vit et travaille actuellement à Dole (Jura, France). D’abord architecte diplomée de l’ENSA de Strasbourg en 2010, elle s’initie en 2015 au savoir-faire de la plumasserie au sein de la Maison Lemarié à Paris, œuvrant pour les maisons de prêt-à-porter de luxe et de haute couture durant trois années.

Vue d’atelier, Marion Hawecker ©Béatrice Grandclément

Vous aimerez aussi

Sandrine Bergot, artiste, créatrice, cofondatrice en 2007 du Collectif Mensuel, prendra le 1er septembre la direction du Théâtre des Doms, vitrine de la création belge francophone à Avignon. ©Barbara Buchmann-Cotterot

Sandrine Bergot, cap sur les Doms

Grand Angle