L’histoire de Souleymane
Émois15 décembre 2024 | Lecture 3 min.
épisode 12/12
Tandis qu’il pédale dans les rues de Paris pour livrer des repas, Souleymane répète son histoire. Dans deux jours, il doit passer son entretien de demande d’asile, le sésame pour obtenir des papiers. Mais Souleymane n’est pas prêt.
Vous aurez tôt fait de lire que l’histoire de Souleymane est un film «important», que son histoire nous dit vraiment quelque chose sur notre société, qu’elle donne la parole à ceux qui ne l’ont pas.
Encore et encore, il faut souligner l’importance de la distance et de la prudence quant aux notions de vérité et d’influence au cinéma. Je crois qu’un film n’a pas le pouvoir d’affirmer quelque chose. Un film pose une question, présente des représentations éphémères et interroge la trace qu’elles ont laissé en nous. Heureusement, pour moi, L’histoire de Souleymane a ceci de très beau qu’elle ne crie pas, qu’elle raconte doucement.
J’avoue avoir souvent ressenti ces dernières années un épuisement, voire une frustration, face à certains drames dits «sociaux», surtout quand ceux-ci sont pressés de distribuer des rôles, présentant des «gentils» et des «méchants». C’est qu’ils semblent vouloir me rassurer à tout prix: «Tu es quelqu’un de bien/ tu comprends ce monde qui souffre/toi au moins, tu n’es pas du côté des salauds». Manquant souvent de précaution dans l’artifice de leur politique, ces spectacles frôlent parfois dangereusement avec un didactisme assez détestable, qui emprisonne l’imagination et en dicte ses frontières.
C’est donc très ému que je suis sorti vendredi dernier de l’avant-première du film qui ne sortira en salles que le 17 décembre 2024. L’émotion ne m’a pas quitté et j’aimerais vous encourager à voir en salles ce qui restera certainement comme un de mes grands moments de 2024.
Il m’a semblé d’y voir quelque chose de novateur, qui m’a permis d’entrer en résonance avec lui.
C’est la possible renaissance d’une forme de drame que je croyais tellement recyclée qu’elle en devenait inopérante mais qui trouve ici un nouveau souffle par l’artifice du son. Qui aurait dit qu’au lieu de noyer le drame sous les bruits impitoyables de la ville, l’on pouvait à l’inverse, en taisant les bruits, nous rapprocher du personnage?
Dans une douceur cotonneuse et rêveuse, Boris Lojkine ne nous hurle pas son message – qu’on croira d’ailleurs avoir trop vite compris alors que la fin viendra délivrer toute la complexité qui semblait manquer. Le film révèle, en effet, toute sa détermination dans la deuxième partie.
Tout le discours du film ne se construit pas dans une confrontation, mais dans une ouverture de l’espace. Un drame non anxiogène et une invitation à partager le cadre tous ensemble. Le fond et la forme de cette démarche de collectivité atteint une résonance tout à fait marquante dans la dernière scène du film, dont je me remets encore tout juste.
En respectant la complexité de tous ces personnages, L’histoire de Souleymane fait de son vrai sujet l’artifice narratif du cinéma, lieu du mensonge des images, qui ne bougent que dans notre œil pour imiter la vérité. Souleymane, comme le cinéma, c’est à la fois l’histoire qu’on raconte bien fort pour tout le monde et celle qu’on chuchote, tout doucement, juste pour les amis.
FR 2024
Réalisateur: Boris Lojkine
Scénaristes: Boris Lojkine; Delphine Agut
Distributeur: Pyramide Distribution
Genre: Drame
Durée: 1h33 min
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